Un château et un orfèvre

Sep 1, 2017

Cet été, j’étais en congés dans les Cévennes. C’est un rituel, chaque année, de retourner dans ce coin de Lozère d’où est originaire toute ma famille. Un retour aux sources en quelque sorte. Durant le mois d’aout, je suis allée enfin visiter un lieu que je connais de nom depuis bien longtemps mais où je n’avais jamais eu l’occasion de me rendre. Non pas que ce soit très loin de la maison familiale mais la route – qui tourne beaucoup en plus d’être étroite – est assez fatigante et je l’emprunte donc peu. Faisant fi de cela, je me suis rendue au château de Saint-Germain-de-Calberte pour une raison bien particulière : vous raconter comment un ciseleur-orfèvre lyonnais en est tombé amoureux et à décider de le restaurer depuis plus de 50 ans…

Le château tel qu’on le découvre durant l’ascension, 2017. Photo : ©MarieChabrol/legemmologue.com 2017

Le château au début du XXE siècle. Photo : Collection JFM

En 1964, qui se souvenait qu’un castrum se cachait au milieu de la végétation ? Peu de gens sauf quelques Calbertois et autres cévenols passionnées d’histoire médiévale. Situé sur un piton rocheux en schiste, au milieu de la vallée du gardon de Saint-Germain, celui-ci regroupe un grand logis rectangulaire, une tour carrée, une chapelle castrale, une tour ronde et cinq bâtiments, le tout cerné d’une enceinte. S’y ajoute un village, en ruines, adossé à l’enceinte, et lui-même protégé d’un rempart avec un porte d’accès au Nord. Pour s’y rendre, il faut emprunter un sentier en terre, aujourd’hui parfaitement praticable puis grimper par un escalier taillé dans la roche. Mais cela ne fut pas le cas durant longtemps. Le lieu est mentionné dans les texte dès 1092, il fait parti de ces châteaux féodaux qui tenaient les vallées cévenoles. Alors contrôlé par la seigneurie d’Anduze, il est confisqué en 1229 par le roi de France Louis IX au terme de la croisade des Albigeois. C’est alors le début d’une longue dispute de propriété entre l’évêque de Mende et le roi. Revenu à la famille de Portes, celle-ci le vend en 1320. En 1322, il devient la propriété des Budos avant d’être à nouveau confisqué par le roi Philippe VI en 1340 car ils ont pris parti pour les Anglais durant le guerre de 100 ans. Il revient dans la famille en 1384 à la fin d’une longue bataille juridique.

Le sentier pour monter au chateau. Photo : ©MarieChabrol/legemmologue.com 2017

Finalement, et sans que l’on en connaisse les raisons exactes, le village est complètement vidé de ses habitants entre la fin du XIIIe et le milieu du XIVe siècle.  Puis le château Saint-Pierre est abandonné au début du XVe siècle. On sait que cet abandon est volontaire, en témoigne l’absence de mobilier archéologique. Les gens ont fermé les bâtisses et sont partis, peut-être pour s’installer dans le bourg voisin de Saint-Germain-de-Calberte, mieux desservi, plus simple d’accès et en forte expansion. Parmi les raisons potentiellement invoquées, il y a la présence en grande proportion dans le château et le village de scories d’un minerai de fer riche en magnésium et manganèse qui servait certainement à la fabrication d’armes. Peut-être s’est-il raréfié ? Le château était peut-être un point de péage entre les deux vallées et il devenait inutile. La présence (ou plutôt l’absence d’eau) est aussi une raison possible. L’habitat dans les Cévennes est dispersé et depend de la présence de sources potables qui ravitaillent en eau les fermes. L’entretien des sources est ici une question de survie ! Et nombres de hameaux ici ont été abandonnées pour cette raison. La nature reprenant ses droits et le temps faisant son œuvre, il tombe alors dans l’oubli.

Le village abandonné. Photo : ©MarieChabrol/legemmologue.com 2017

En 1964, quand Irène et Daniel Darnas en deviennent propriétaire, la plupart des bâtiments sont à terre. Ils décident alors d’entreprendre sa restauration complète : durant des dizaines d’années, ils viendront travailler durant les vacances scolaires – avec leurs enfants (la plus petite a deux ans quand les travaux débutent) et en transportant les matériaux à la main car les véhicules ne peuvent emprunter le chemin jusqu’en 1972 – ne tenant pas compte du scepticisme des Calbertois. Le lieu, très isolé, n’a pas été pillé et la plupart des pierres sont encore sur place. Il faut dire que le château construit dans du schiste se confond dans la végétation ambiante et que les ruines ne sont visibles que si l’on y prête garde. Finalement, le lieu est ouvert au public et l’électricité y arrive même en 1976.

Bracelet en or jaune 750 créé par Daniel Darnas. Photo : ©MarieChabrol/legemmologue.com 2017

L’intérieur du château. Photo : ©MarieChabrol/legemmologue.com 2017

Il faut entendre Irène et Daniel raconter cette aventure, car s’en est bien une ! Durant presque 10 ans, Il a fallu monter sur le dos les sacs de ciment de 50kg, les jerricanes d’eau depuis la rivière jusqu’au raccordement du chateau à une source, les poutres en châtaignier, le ravitaillement… Puis ils ont réussi à poser un treuil manuel qui leur a facilité de manière importante le travail. Depuis l’an dernier, celui-ci est d’ailleurs automatisé avec télécommande et autant vous dire que c’est un vrai soulagement pour tout le monde ! Il faut écouter Daniel, passionné de mathématiques et de géométrie, vous raconter comment fut construit le chateau, les coudées particulières des architectes de l’époque et les questions qui en résultent. Car le lieu date vraisemblablement d’avant l’an 1000 et fut longtemps un lieu de culte païen. La présence d’un menhir, couché, recouvert par la chapelle (témoignant d’une christianisation des lieux) en est une preuve indiscutable. Laquelle est construite selon la coudée d’Al-Mamoun (ou coudée noire), une mesure inventée par le calife du même nom du IXe siècle. Les architectes des lieux ont été initiés à ces mesures particulières comme au nombre d’or. Comment sont-ils arrivés dans les Cévennes et où ont-il été initiés ? C’est une énigme. Enfin, le soleil au plus haut de la journée, frappe le sol de la chapelle (à l’emplacement du menhir) le 29 juin, jour de la Saint-Pierre. Vous l’aurez compris, c’est un lieu très particulier.

Médaille en or jaune 750 créée par Daniel Darnas. Photo : ©MarieChabrol/legemmologue.com 2017

Aujourd’hui, vous pouvez le visiter en semaine de mi-juillet à mi-septembre de 16 à 19 heures. L’accès payant (5€) permet de financer l’entretien de l’extérieur du site.

La fille de M. Darnas, Isabelle, est médiéviste de formation et ‎conservatrice en chef du patrimoine au conseil départemental de Lozère. Chaque bâtiment a fait l’objet de fouilles puis d’études qui ont été publiées. La dernière campagne s’est terminée en 2003. C’est un lieu dont je vous conseille la visite car cela en vaut vraiment la peine. Rien que pour imaginer le travail fourni par cette famille de passionnés pour reconstruire les bâtiments. Enfin, vous y découvrirez quelques pièces de Daniel Darnas, ciseleur et orfèvre de métier, qui présente une partie de son travail durant l’été dans ce lieu.

À bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.