Rencontre avec le dessinateur suisse Florian Wicki

Nov 21, 2022

J’ai eu le plaisir de rencontrer Florian Wicki lors de mon premier passage à Genève il y a maintenant presque 6 ans. Une amie commune qui se reconnaitra nous a présenté lors des viewings des maisons de ventes aux enchères Christie’s et Sotheby’s. Je me souviens d’avoir beaucoup apprécié son énergie et sa manière de me parler du bijou. A l’époque il était encore étudiant et je m’étais dit qu’il fallait suivre ce jeune homme d’un œil attentif. C’est donc ce que j’ai fait. Et j’ai observé. Durant ces dernières années, je l’ai vu évoluer, puis entrer en Master et j’ai eu un coup de cœur énorme pour sa collection de fin de diplôme et pour la séance photo où sa grand-mère est absolument magnifique. Il y a dans ces photos une bienveillance, une joie et une énergie enthousiasmante. Alors, il y a quelques mois, j’ai tenté ma chance pour lui proposer de se prêter au jeu de l’interview. Et il a accepté. Rencontre !

M. Florian Wicki.

1- Pouvez-vous vous présentez rapidement ?

Bonjour, je m’appelle Florian H.A. Wicki est je suis un jeune créateur de bijoux et accessoires, genevois et suisse. J’imagine des collections, les dessine, je réalise surtout des gouaches de bijoux (en trompe-l’œil), et fabrique, ensuite, les bijoux imaginés.

2- Quel métier vouliez-vous exercer lorsque vous étiez enfant ?

Avant d’intégrer le monde de la bijouterie, de la haute-joaillerie, et des accessoires, j’avais trois souhaits de métiers :

Le premier, vers l’âge de dix ans, était celui de devenir menuisier et de travailler auprès de l’entreprise familiale Vial & Wicki S.A. à Genève. Le patron était mon grand-père et gérait les ateliers de construction de l’entreprise créée par dans les années 1950 par mes arrière-grands-parents : Henri L.-J. Vial et Clémence A. Billon. Grâce à cette entreprise de grands projets de construction ont vu le jour à Genève.

Ensuite, mon fort intérêt pour le dessin a pris le dessus. Le métier qu’exerçait mon père avant de faire une carrière régalienne (militaire et sapeur-pompiers) était architecte. Crayons en mains, j’imaginais déjà mille constructions de bâtiments et d’objets.

Et finalement, c’est vers l’âge de douze ans, que je me suis dirigé dans le monde de la bijouterie. Cette projection est surtout dû à l’histoire familiale que me racontait ma grand-mère paternelle : Madame Myriam D. Vial-Wicki. Elle avait un grand-père entrepreneur, à Genève et région, se nommant Adrien J. Billon. Il s’était intéressé à la bijouterie, à la mécanique et au dessin sur émaux. Il avait développé une belle manne dans divers domaines de cette branche. Il fabriquait notamment, vers 1910, des fermoirs à ressort. Ce passé, cette histoire, Adrien J. Billon, la Belle Époque et l’Art Nouveau, m’ont fasciné jusqu’à en faire mon choix de vie professionnelle.

Design et gouache par ©Florian H.A. WICKI, broche, 2019

3- Et finalement quel est votre poste / métier actuel ?

Aujourd’hui, j’ai le grand bonheur d’enseigner le Dessin, le Dessin de Bijoux, le Dessin Technique, l’Histoire de l’Art et du Bijou, et parfois, je supervise les travaux en atelier de bijou auprès de l’école de production de bijoux Saint-Eloi, à Annecy. J’essaye de transmettre ma passion ! Je donne également une formation pour adultes sur le monde du bijou (histoire, technologie, atelier).
Je réalise aussi des gouaches pour des maisons joaillières, et pour tout autre société du domaine créatif qui a besoin d’un dessin pour la représentation d’un objet. Le dessin n’est pas seulement un moyen servant l’industrie pour comprendre les volumes, les textures…etc. ; mais pour moi c’est le summum du luxe. Évidemment cela sert ma cause, mais quel plaisir pour votre client lorsqu’il reçoit la représentation de son projet.

4- Quelles études avez-vous suivi ?  Et plus spécifiquement, quel est votre parcours de formation en relation avec le domaine de la joaillerie ?

Alors, mon parcours m’a fait passer par plusieurs écoles :

Après ma scolarité obligatoire en Suisse – vers l’âge de seize ans – j’ai d’abord fait une année en école de commerce. Très vite cela m’a lassé. Puis, à la même période, lors de cours après-scolaires, j’avais commencé à créer et à fabriquer des bijoux dans l’atelier galerie Jean-Jacques Hofstetter, à Fribourg. Il est un personnage important pour moi. Il m’a donné l’envie de poursuivre dans cette voie et de créer librement. Par ce biais, j’ai connu une artiste : Véronique Chuard. Elle enseignait dans une école d’art à Fribourg : eikon.EMF. J’ai intégré la classe préparatoire. Celle-ci était nécessaire pour pouvoir prétendre à l’examen d’entrée à l’École des Arts Appliqués de Genève – aujourd’hui Centre de Formation Professionnel Art Genève. Je suis absolument convaincu de l’importance de la classe préparatoire. Elle permet d’abord de s’ouvrir au vaste monde de la création, de s’élever davantage, de grandir, puis d’affiner ses choix d’études et de formation professionnelle.

En 2011, j’ai eu l’opportunité d’intégrer cette école, en section bijouterie-joaillerie. C’est en quelques sortes un apprentissage de qualité dans un établissement reconnu. Il s’agit d’un cursus de quatre années, en apprentissage, dans un établissement reconnu. Dans ce cursus, y sont enseignés, par exemple : la base de la bijouterie (limer droit, respecter des cotes précises), puis la joaillerie (la haute-joaillerie, classique), et le dessin de bijoux y tient une grande place, tout comme la gemmologie, et l’histoire. C’est un cursus très complet qui mène à l’obtention d’un CFC suisse (Certificat Fédéral de Capacité) avec une maturité professionnelle (qui représente se l’assimilation de savoirs des cours généraux : français, maths, allemand, anglais, histoire, etc.)

Ensuite, j’avais fort envie de me diriger dans l’enseignement, et de me spécialiser dans le dessin, le design. Mes enseignants m’ont fortement motivé à poursuivre mes études en degré académique (universitaire). Toujours sous formes de concours – regroupant notes de votre cursus scolaire, présentation d’un projet de design, et savoir-être) – la HEAD-Genève (Haute École d’Art et de Design de Genève) m’accueille pour suivre la formation de Bachelor (l’équivalant, en France, d’une Licence) en Design Produits Bijoux et Accessoires durant trois années. La HEAD est une école qui a pris une grande renommée sous la direction de Monsieur Jean-Pierre Gref. On peut y rencontrer beaucoup de créateurs, designers. J’y ai par exemple rencontré une créatrice londonienne Vicki Sarge et fondatrice de l’entreprise Vicki Sarge et Erickson Beamon. Nous avons eu la chance de travailler sur divers projets, riches et variés, avec Piaget, Adler, Agenhor…etc.

En 2019, j’avais décidé d’entreprendre deux années d’études supplémentaires pour effectuer un Master en Design Mode et Accessoires. C’est une très bonne formation, mais ce furent deux années super compliquées pour moi. Je n’y trouvais pas ce que j’attendais – tout était fort axé sur la mode, puis est arrivé la COVID, une gestion de crise pour poursuivre nos études en confinement. Je vous laisse imaginer les angoisses que cela pouvait représenter ! C’était un parcours du combattant ! Cependant, quelques temps après, je peux dire que c’était une période formidable. J’ai fait avec ce que j’avais sous la main : du parier, de la gouache, une paire de ciseaux, des archives, et surtout ma chère grand-maman. C’est de cette façon que ma collection de Master est née. Mais c’était un parcours du combattant ! Lors de ce parcours, j’ai rencontré plusieurs grands acteurs de la mode et de l’art, dont, Jean-Pierre Blanc (Villa Noailles, à Hyères). Par ailleurs, je le remercie pour son soutien.

Gouache par Florian H.A. WICKI, collier, revisiter la rose PIAGET, 2016

5- Lors de votre master à l’HEAD, vous avez mis en scène votre grand-mère dans une série photo incroyable. Est-ce que c’était une évidence au début de votre projet ? Pourquoi ce choix ?

Oui, j’ai fait ce choix, effectivement. Ma collection de Master : Fleurs de l’âge, est un hommage. Ma grand-maman est une femme inspirante. Elle possède ce chic, cette aura, qui caractérise pour moi la beauté, l’éducation, d’une certaine époque que je ne retrouve plus aujourd’hui. C’était le mariage entre la Belle Époque, l’embourgeoisement, le déclin de l’ancienne Europe, des patriciens, de l’aristocratie, avec le phénomène des trente glorieuses, un processus à la fois d’enrichissement et libéralisation, dont celle de la femme.
Et voilà, malheureusement, la vie faisant, ce sont les derniers instants de réaliser des projets avec cette grande dame. Nous sommes très proches. J’ai perdu ma mère lorsque j’avais deux ans et demi. Ma grand-maman paternelle représentait ensuite la figure maternelle que je n’ai plus. Elle tient une place toute particulière dans ma vie.

6-Comment définiriez-vous votre positionnement créatif ?

C’est une grande question. Dont j’ai d’ailleurs horreur. Cela me fait penser à mes études académiques. Je vais cependant essayer de vous répondre. Je recherche une certaine liberté dans mon travail. J’aime aussi construire des projets. Mais ce que j’ai remarqué – depuis ces quinze dernière années – que mon œil est très attiré par : les formes en courbes et contre courbes, l’art de représenter la nature, une idéalisation d’un paradis, l’utilisation de mythes. Cela fait fortement penser à l’esthétique baroque, classique, éclectisme napoléonien, non ?
En plus de cela, j’apprécie tout particulièrement remettre des styles au goût du jour : que le Baroque, la Belle Époque, l’Art Nouveau, l’Art Déco, ne soit pas perçu comme vieillot.

Différentes photos de la collection « Fleurs de l’âge ». Concept, création, design, fabrication : ©Florian H.A. WICKI. Photographie : ©Jonas Baechler. Mannequin : Myriam D. VIAL-WICKI

7- Comment abordez-vous votre métier de designer?

Designer, en français, veut dire dessinateur, me semble-t-il. Pour moi cela passe d’abord par le dessin, et une suite d’idées ou de sentiments, sensations, mis en forme par la main. Donc le design est avant tout le travail d’un être humain, pas celui de machines. Le rôle du designer, en tant que créateur, est aussi de proposer une vision du monde, par l’esthétisme, par le choix des matériaux, par les idées (par l’histoire) que l’on veut transmettre.
J’essaie au maximum de travailler des matériaux locaux. Pour un bijoutier ce n’est pas forcément aisé ; on devrait pourtant y parvenir. Mais voilà, le choix de ma spécialisation dans le dessin ne m’implique plus directement à travailler des métaux et de pierres de l’étranger ; je n’utilise plus que du papier et des pigments. En même temps, et dans les faits, je suis bien conscient qu’un dessin implique, en général, une fabrication et l’utilisation de rare ressources enfouies sous terre.

8- Vous travaillez dans une école qui forme entre autre au métier de joaillier. Pouvez-vous nous raconter le fonctionnement de l’établissement et ses différences par rapport à la France (si vous les connaissez) ?

Oui, j’ai le grand plaisir de pouvoir enseigner et transmettre des techniques à des jeunes élèves, dans une École Technique de l’art du joyau, à Annecy. L’école Saint-Eloi est un établissement récemment ouvert : en 2021. Cette structure fonctionne grâce à de généreux mécènes, grâce à des commandes d’entreprises du domaine de la bijouterie, de la haute-joaillerie, et de l’objet. Cette école a une place toute particulière dans la région d’Annecy. Elle permet à de jeunes personnes de se former à un métier, à un CAP, puis à un BMA. De nombreuses entreprises recherchent des ouvriers dans divers domaines, comme par exemple : le polissage, le nettoyage de fontes, la réalisation de modèles en cire perdue, etc. La direction et les enseignants de l’école Saint-Eloi préparent à ce contexte de l’emploi.
J’aimerai juste rebondir encore sur la place d’apprentissage. De mon point de vue suisse, où le système de formation n’est pas le même, Il me semble qu’en France existe un désamour de l’apprentissage. Ou du moins une mauvaise image qui le caractérise. Quel dommage ! Il est absolument nécessaire de donner les bons outils à nos jeunes. Ils construisent leur futur et le futur de notre société occidentale. Les études, ce n’est pas tout pour faire un monde. Si vous n’avez pas une classe moyenne, faites d’ouvriers, d’artisans, de gens qui connaissaient et savent travailler les matériaux, on ne va nulle part. Notre société ne serait rien ; le luxe n’existerait pas, la fierté des cultures non plus. Chaque région cultive son originalité. Il n’est certainement pas indigne de dire haut et fort que l’on a fait un apprentissage. Il faut absolument changer cette image.

Collage, par Florian H.A. WICKI, 2019

9- Un moment inoubliable à partager ici, une anecdote sur votre vie pro ?

J’espère ne pas oublier du monde ! Peut-être qu’il me faut d’abord remercier Madame Elizabeth Fisher (l’ancienne responsable du pool Mode et Bijoux de la HEAD). Elle a ouvert plusieurs portes aux étudiants de son établissement. Grâce à Madame Elizabeth Fisher et à la HEAD-Genève, j’ai, notamment, rencontré : Madame Vicki Sarge. Elle m’a souvent conseillé dans des projets, elle m’a ouvert grand les bras à Londres. J’ai aussi rencontré la famille Wiederrecht, Monsieur Pettavino, et Madame Bérénice Noel pour un projet de montre de table nous avions ensemble réalisé pour la vente aux enchères en faveur de la fondation ONLY WATCH organisé par Christie’s.
Je pense souvent à mes anciens enseignants, notamment de l’École des Arts Appliqués, à Genève, dont Madame Emmanuelle Garcia-Gavillet (enseignante de Dessin de Bijoux), Monsieur Yves Berney (enseignant de Dessin de Bijoux), Monsieur Richard Carbonnelle (enseignant l’art de la fabrication joaillière et responsable du département bijou), et bien d’autres.
J’aimerais aussi remercier l’équipe de l’école Saint-Eloi, à Annecy, qui m’a grand ouvert les bras et auprès de laquelle je peux me réaliser. Et voilà pleins d’autres moments forts…

Gouache de 2022 représentant une huppe fasciée ; broche ; concept et dessin par Florian H.A. Wicki

10- Comment voyez-vous l’évolution de votre métier ? Comment les enseignants doivent-ils concevoir leur métier dans les années qui arrivent ?

Je suis un tout jeune enseignant. Mais mes études ne sont pas si loin. A mon sens, il faut encrer les travaux dans notre vie quotidienne, faire des liens, et de ne surtout pas oublier le passé. L’Histoire, les différents styles, sont une base inépuisable pour construire le futur. Et ensuite, enseigner est presque une vocation. On se doit d’amener nos élèves à évoluer, à les faire grandir, à les amener un peu plus loin pour qu’ils prennent part à une vie citoyenne, et deviennent nos paires en bijouterie. Mais l’enseignant doit aussi être accompagné par le cercle familial de l’élève. C’est un tout. Tout seul dans un coin, il est difficile d’arriver à un résultat.

Montre de table : « CARP DIEM », 2017. Vendue chez Christie ‘s, novembre 2017, en faveur de la fondation ONLY WATCH. ©AGENHOR S.A. ©HEAD-Genève ©Bérénice NOEL ©Florian H.A. WICKI

11- Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui veulent rentrer dans ce secteur ? En suisse ou ailleurs?

En Suisse comme ailleurs, il faut être passionné, ou le devenir. Il faut persévérer. Il faut aussi se donner les moyens d’arriver au résultat souhaité. Il n’y a pas de secret : il faut travailler, il faut se cultiver un peu tous les jours, il faut beaucoup dessiner, et participer à divers projets. C’est la teneur de ce que je répète inlassablement à les élèves.

*****

En conclusion, nous voulons remercier Florian du temps accordé et lui souhaiter une belle carrière, l’encourager à poursuivre ses missions dans le monde de la création, du dessin, et de la fabrication joaillière, ainsi que d’appuyer son engagement envers nos apprentis bijoutiers. Florian reste également à la recherche de projets inspirant sa créativité. N’hésitez pas à le contacter.

Pour poursuivre cette belle rencontre avec Florian H.A. WICKI, nous vous proposons de découvrir quelques-uns de ses travaux sur sa page Instagram : florian__wicki_design .
Nous vous mettons encore les liens de l’école Saint-Eloi, à Annecy (https://www.ecolesainteloi.fr), de la Haute École d’Art et de Design, à Genève (https://www.hesge.ch/head), et du Centre de Formation Professionnelle Arts, à Genève (https://cfparts.ch).

A bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.