Totalement marteau

Déc 16, 2014

 Mon père était sertisseur, je suis sertisseur, un peu par obligation finalement. Je venais tout petit à l’atelier, après l’école. J’y faisais mes devoirs car ma maman travaillait de nuit, alors c’était mon père qui me ramenait à la maison. J’ai commencé à toucher les outils vers huit ou neuf ans, avec une interdiction de toucher aux échoppes avec lesquelles j’aurai pu me blesser. Sans parler des produits chimiques. Si je m’en approchais, je me prenais une rouste !

Il y avait toujours du monde dans cet atelier, ça parlait toutes les langues, ça s’engueulait souvent aussi. Les voisins arméniens venaient boire un arak de temps en temps, et on entendait les chants de la synagogue qui était de l’autre coté de la cour. J’ai adoré très tôt cette ambiance, je m’y sentais bien. Et puis, je voyais mon père ouvrir les plis, vérifier les pierres, dire si telle pièce était réalisable ou pas, je l’entendais pester après ses pierres. Il râlait tout le temps !! Mais surtout, j’ai appris le silence à ses côtés.

Il sertissait les émeraudes au marteau. Tu vois, il ajustait sa pierre, la descendait comme il fallait, vérifiait le calage et quand c’était bon… Bam ! Un coup de marteau et la griffe se rabattait juste là où elle devait se rabattre. Mais pour ça, je ne devais plus respirer. Il lui fallait toute sa concentration. Dans toute sa vie, il a du casser une ou deux pierres, pas plus. Il disait que s’il pouvait faire ce métier, c’est parce qu’il était superstitieux. Du coup, il refusait systématiquement de sertir des opales. «Des pierres du diable» qu’il les appelait. Pourtant c’est moins emmerdant qu’une émeraude à sertir, bref… C’était mon père. Et je pourrai en parler encore des heures.

Moi, j’ai pris la suite il y a 25 ans environ. J’ai été son apprenti, puis son salarié, puis un jour il m’a dit «j’arrête !». Quand j’ai démarré avec lui, je me voyais déjà sertir des pierres exceptionnelles. Il m’a sorti des plaques de cuivre et des échoppes, puis il m’a montré la pierre à affuter. J’ai préparé ses outils et tracé des trais à l’échoppe sur des plaques durant des mois. Histoire d’apprendre à tenir mes outils et de savoir réaliser des filets parfaitement droits. Puis il m’a fait sertir des petits cailloux, puis des plus gros… et ainsi de suite. Depuis, je n’ai jamais arrêté…

H., sertisseur depuis 25 ans.

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 Ce que j'aime particulièrement c'est me prendre la tête. Gratter de la fonte, ça, c'est obligatoire, mais je ne fais pas ce métier pour ça. Non, j'aime trouver des solutions, me battre avec le métal, l'ajuster et le dompter en fait. Je n'ai pas envie de créer, j'ai envie...