Le décret relatif au commerce des pierres gemmes

Juin 17, 2015

Je reçois régulièrement des mails de demandes d’explications relatives à la réglementation sur le commerce des gemmes.

Les questions concernent principalement les traitements qu’elles ont pu recevoir et ce qu’il est obligatoire d’indiquer lors de l’exposition d’une pierre dans le but de la vendre. Je reçois aussi des questions sur les recours en cas de contentieux sur la nature exacte d’une gemme ou la détection postérieure à la vente d’un traitement. Et, c’est effectivement un sujet assez compliqué.

Détail d’un stand lors du salon Minéral Expo de la porte de Charenton en 2013 à Paris. Les pierres traitées comme les pierres naturelle sont clairement signalées aux consommateurs. Photo : M. C.

Par ailleurs, deux journalistes américains de la chaine CBS Chicago ont mis en ligne – il y a quelques semaines – un reportage sur les rubis traités par remplissage de verre au plomb dans des magasins aux USA, relançant ainsi le débat. Puis il y a eu un rappel de rapports pour presque 500 diamants par le GIA et enfin plusieurs articles sur le traitement par diffusion au cobalt appliqués aux spinelles. À cela, s’est ajoutée une discussion entre confrères et nous en sommes venus à la conclusion qu’exposer l’état de la réglementation actuelle française était nécessaire. Cet article est donc le fruit d’une réflexion et d’une écriture commune avec des gemmologues et des négociants. Je remercie, entre autres, Thierry Pradat et Didier Frediani pour la relecture, les ajouts et les commentaires pertinents durant la rédaction de ce post.

N’oublions pas, non plus, que le consommateur est devenu de plus en plus exigeant sur ce qu’il achète. Et c’est une excellente nouvelle. Il souhaite donc connaître la nature exacte du produit qu’il va acquérir et la présence éventuelle de traitement. Le traitement n’est pas en lui-même problématique, mais c’est la dissimulation de celui-ci qui pose un vrai problème d’éthique. Explications :

  • Historique des dispositions juridiques relatives au commerce des gemmes

Plusieurs décrets et arrêté ont successivement enrichi l’arsenal juridique concernant la dénomination des pierres et des perles lors de leur commercialisation :

Décret n° 50-1312 du 7 octobre 1950 concernant spécifiquement le commerce des objets en écaille, en ivoire, en ambre et en écume. Publié au JO 22-10-1950, il porte sur la réglementation d’administration publique concernant les lois du 1er aout 1905 et du 21 avril 1939. La loi de 1905 a depuis été codifiée dans le Code de la Consommation aux articles L. 213-1 et suivants.

Décret n° 2002-65 du 14 janvier 2002 relatif au commerce des pierres gemmes et des perles. C’est le texte le plus important pour la profession et pour les consommateurs.

Arrêté du 1er février 1993 relatif à l’interdiction de la mise sur le marché et de l’emploi de certaines substances et préparations dangereuses ou vénéneuses et plus spécifiquement l’interdiction de l’emploi des sels de plomb pour la fabrication de revêtements de perles d’imitation.

  • Que dit exactement le décret du 14 janvier 2002 ?

Le décret dont l’objet est la réglementation du commerce des pierres gemmes et des perles définit dès l’Article 1 les « dispositions applicables aux pierres gemmes, aux pierres synthétiques, pierres artificielles et imitations de pierres gemmes, aux matières organiques d’origine végétale ou animale, traditionnellement utilisées en joaillerie, aux perles fines, aux perles de culture et aux imitations de perles fines et de perles de culture. »

Ses 14 articles précisent qu’elles doivent être les informations qui doivent être données aux acheteurs éventuels des pierres gemmes et des perles et comment celles-ci doivent s’appliquer. Il est entré en application le 1er février 2002.

Avec ce décret, les termes « fin« , « fines« , « précieux« , « précieuses« , « semi-précieux« , « semi-précieuses« , « semi-fins« …etc., sont abrogés. On parle désormais des « pierres gemmes » pour caractériser l’ensemble des pierres formées dans des gites naturels. (Art. 1 et Art. 5)

Les perles sont caractérisées comme suit : les « perles » ou « perles fines » sont réservés aux sécrétions naturelles, sans intervention humaine, dans un mollusque sauvage (Art. 6). Les « perles de culture » sont le résultat d’une intervention humaine et dont la conception est provoquée artificiellement (Art. 7). La « perle d’imitation » est elle une perle fabriquée en vue de copier la couleur et l’apparence des perles de culture ou des perles fines.

Si la définition des termes est assez facile à comprendre, il est en revanche plus compliqué de bien saisir comment le décret réglemente les informations qu’il est obligatoire de délivrer à tout acheteur potentiel d’une pierre gemme. Et tout particulièrement celles relatives aux traitements qu’elle a pu recevoir.

Le décret est clair et stipule que la mention « traité » (ou nom du traitement : par exemple « topaze irradiée » ou « topaze traitée par irradiation« ) doit être formellement indiquée dès lors que les pierres ont subit un traitement : (Art. 2)

  • par irradiation
  • par laser
  • par colorant
  • par diffusion en surface
  • par emplissage, éventuellement à titre de résidu d’un traitement thermique, de matières étrangères incolores solidifiées dans les cavités extérieures qui présentent des ruptures de réflexion visibles à la loupe de grossissement 10 fois
  • par toute autre méthode de laboratoire modifiant leur apparence, leur couleur ou leur pureté.

Néanmoins, le décret précise aussi que la mention « traité » n’est pas obligatoire dès lors que les gemmes, les matières organiques, les perles fines et perles de culture ont fait l’objet de pratiques lapidaires traditionnelles : (Art. 3)

  • une imprégnation par une substance fluide incolore (de l’huile par exemple, nda)
  • traitement thermique s’il n’y a pas de résidus de chauffage dans la gemme ou si les résidus de chauffage ne provoquent pas de rupture de la réflexion à la loupe 10x.
  • un blanchiment sans adjonction de produit ou de vernis
  • Un décret qui doit être mis à jour

Seul souci, les pratiques traditionnelles qui étaient sans grandes conséquences ont depuis maintenant une vingtaine d’année fait l’objet d’améliorations conséquentes et se sont vues remplacées par des traitements modifiant considérablement l’aspect des pierres. Et c’est bien là que le décret en vigueur actuellement nécessiterait une mise à jour.

Ainsi que l’explique Thierry Pradat, négociant en gemmes : « le décret de 2002 n’est – aujourd’hui – plus assez précis et il faudrait (dans l’absolu) signaler tous les traitements. Y compris, et surtout ceux qui sont admis depuis des siècles tels que le chauffage sans additif ou l’huile incolore. C’est d’ailleurs ce que font déjà les laboratoires. Ainsi, si on suit ce raisonnement, les citrines issues d’améthystes chauffées (99% des citrines en vente de nos jours) devraient être signalées comme des pierres traitées. »

C’est pourquoi nous conseillons, et bien que le décret de 2002 ne rende pas cela obligatoire, de donner aux clients potentiels une information exhaustive et précise. Pour notre part, toute substance ajoutée à une matière gemme et tout traitement appliqué en vue de modifier l’aspect d’une pierre doivent être déclarés aux consommateurs. Les laboratoires le font déjà en précisant, par exemple, si une pierre contient de l’huile. Ainsi, une pierre « huilée » de façon traditionnelle verra la mention « huile » notée sur son certificat. Il y a quelques mois, le Laboratoire Français de Gemmologie avait fait paraitre un article dans la revue AFG sur un rubis huilé en provenance du Myanmar (Droux et Fritsch, 2014). Richard W. Hughes a lui aussi publié récemment un article sur la recrudescence de pierres huilées en provenance de ce pays. Cette information doit, selon nous, être donnée bien que le décret ne le prévoit pas. Mais comme vous le savez, le Code de la Consommation (L. 111-1) oblige tout commerçants à donner à tout client potentiel ou réel toute l’information sur le produit mis en vente. C’est d’ailleurs ce que préconisent – par exemple – l’International Colored Gemstones Association (ICA) ou l’American Gem Trade Assoication (AGTA).

On peut comprendre que la réglementation n’aille pas aussi loin. Si nous reprenons le cas de l’huile, il faut aussi avoir à l’esprit que les lapidaires utilisent de l’huile lors de la taille et que celle-ci peut entrer de façon involontaire et aléatoire dans les fissures et les givres ouverts présents sur le brut. Dès lors, comment être assuré que l’huile en présence dans la gemme est le résultat d’une action volontaire en vue d’améliorer l’aspect de la pierre ? C’est bien là que se pose tout le problème. Comme dissocier imprégnation involontaire d’une imprégnation volontaire ?

Autre exemple, prenons deux rubis chauffés en présence de borax (Le borax est une espèce minérale de formule brute Na2B4O7•10H2O. Il est appelé aussi tétraborate de sodium décahydraté ou borate hydraté de sodium), comme ceux célèbres de Mong Hsu (Myanmar). Le borax va jouer le rôle de fondant et va pénétrer fortement dans les fractures des pierres. Lors du refroidissement, il y a recristallisation de rubis dans des fissures plus ou moins larges. Ces deux pierres sont ensuite nettoyées à l’acide et les cavités affleurantes sont dissoutes ce qui en fait des rubis ne présentant pas de rupture de réflexion à la loupe 10x donc, selon la loi, il ne bénéficieront pas dans le commerce de appellation « traité » (Art. 3 du décret 2002-65). Un de ces rubis est retaillé et une cavité remplie devient affleurante, la pierre devient donc un rubis traité selon la loi française car cette cavité sera visible à la loupe 10x. Alors que ces deux rubis auront eu le même traitement, un seul sera dénommé rubis traité et l’autre sera nommé rubis avec en commentaire traitement thermique et présence dans les cavités et fissures de matières étrangères. Cherchez l’erreur !

Là, s’arrêtent clairement les compétences du pouvoir réglementaire. Ce point devra, comme d’autres, faire l’objet d’une commission constituées de professionnels du métier et de représentants des instances internationales de la joaillerie afin de faire évoluer la réglementation française. Un texte national est-il suffisant ? Pas forcément. Afin de régler des disparités entre les réglementations des différents pays, on pourrait imaginer à terme un texte européen ou même une convention internationale qui serait ratifiée par les pays signataires à l’image de la Convention de Washington sur les règles de commerce et de protection des spécimens issus de la faune et de la flore sauvages . Citons, d’ailleurs le travail accompli dans ce domaine par la World Jewellery Confederation (CIBJO) au travers des différents Blue Book que nous vous invitons à télécharger si ces questions vous interpellent.

En attendant, le consommateur est en droit de demander une information claire lors de l’achat d’une gemme ou d’une perle, et éventuellement de demander la réalisation d’un certificat de laboratoire afin d’avoir des certitudes avant son achat. Il peut aussi, en cas de contentieux ultérieurs, faire appel à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) – laquelle travaille en relation avec des associations de consommateurs et a – dans ses missions – le contrôle des marchandises vendues sur le territoire français.

Nous espérons que ce papier vous aura permis de mieux comprendre le fonctionnement de la réglementation française en la matière et de mieux appréhender les informations que vous êtes en droit de demander lors de l’acquisition de pierres gemmes ou de perles.

À bientôt.

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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