Le fermoir en bijouterie : rencontre avec Anna Tabakhova

Jan 24, 2017

Il y a quelques mois, Anna Tabakhova publiait le livre « Le fermoir en bijouterie » un ouvrage remarquable et remarqué par l’ensemble de la profession (en France comme à l’international) qui retrace l’histoire étonnante et complexe de ce petit élément qui occupe une place d’une extrême importance dans la conception et la réalisation d’un bijou.

En effet, le fermoir permet, comme son nom l’indique, de fermer une pièce et par cette action, de sécuriser le porteur qui ne doit pas perdre son bijou. De là s’exerce depuis maintenant de nombreux siècles toute l’ingéniosité des orfèvres – puis des joailliers – dans la conception de ceux-ci. Qu’ils soient à nœud, à cliquet, à clavette, à ressort, en crochet ou encore à vis (et la liste est encore très longue !), il n’existait à ce jour aucun livre sur ce sujet. En presque 300 pages finement documentées et parfaitement illustrées, l’auteure livre ici un travail que tous les bijoutiers, étudiants ou plus largement amoureux du bijou doivent avoir dans leurs bibliothèques.

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Couverture de l’ouvrage en française. Photo : reproduction interdite © anna tabakhova at editions terracol

J’ai donc proposé à Anna de nous rencontrer pour discuter de son projet et de sa concrétisation. Interview.

1- Bonjour Anna, peux-tu te présenter à nos lecteurs ? 

Pendant de nombreuses années, ma vie professionnelle s’est exercée comme responsable de la logistique pour de grands groupes industriels. Ce qui d’ailleurs me permet de gérer la logistique pour cet ouvrage. Puis durant de nombreuses années, je me suis investie  en tant que bénévole auprès du Planning Familial. Je voulais m’investir auprès des gens. C’est aussi ce qui transparait avec le livre, je voulais le plus beau livre possible, qui convienne à un très large public et qui soit un véritable apport. Et puis, je suis venue à la conception de bijoux où le fermoir occupe une grande importance.

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Fermoirs contemporains. Photo : reproduction interdite © anna tabakhova at editions terracol

2-Cela fait maintenant plusieurs années que tu imagines tes propres collections de bijoux. Pourquoi avoir choisi ce médium et comment la bijouterie est entrée dans ta vie ? 

C’est une passion qui remonte à l’enfance. Je suis une collectionneuse dans l’âme et j’ai commencé avec les pierres, la géologie mais aussi la gemmologie. Depuis que je suis enfant, j’amasse des photos, des objets… J’ai un goût particulier pour les pierres inhabituelles en bijouterie : cobalto-calcite, fleurs de calcédoine, météorites ou encore perles baroques. Les pierres rares me tiennent à cœur : béryls rouges, bénitoites, diamants de couleurs dont des caméléons occupent une grande place dans cette collection. S’ajoute aussi un ensemble de perles fines : conch, mélo, horse-conch. C’est d’abord cet amour pour les minéraux qui me guide. Je vois cela comme « un hommage à la beauté du monde ».

Pour les fermoirs, tout est parti de la découverte en 2005 à Genève des fermoirs interchangeables qui étaient très populaires en Allemagne. J’ai découvert par hasard une pièce étonnante chez un joaillier et sa conception m’a fascinée. Cela a été comme un révélateur. Je suis « tombée » en arrêt devant ce système car, à mon sens, il magnifie les bijoux en ajoutant une notion de réversibilité. Et j’ai commencé à réfléchir à une ligne de bijoux et j’ai démarré mon activité de bijoutière.

La découverte de ce fermoir en Suisse a fait naître une passion pour ces éléments. J’ai donc naturellement commencer à collecter des photos, à visiter les musées d’Europe et à constituer ma propre collection de fermoirs anciens. Je me suis aperçue qu’il n’existait aucune étude sur le sujet. Le fermoir était, jusqu’à présent, le grand oublié des historiens du bijou et les écoles ne possédaient pas de manuel sur ce sujet spécifique pour leurs étudiants…

J’ai alors entrepris de faire modifier tous mes bijoux avec des fermoirs interchangeables. Puisque cela me plaisait, je me suis dit que cela devait plaire à d’autres. Et c’est comme cela que tout à commencé !

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Les fermoirs des bijoux en cheveux. Photo : reproduction interdite © anna tabakhova at editions terracol

3-As-tu suivi une formation liée à la joaillerie ou à la gemmologie ?

Je suis autodidacte. Je cherche des informations, je pars donc de l’observation du réel puis je cherche plus spécifiquement des études sur le sujet qui m’intéresse. Je croise alors les informations et j’émets des hypothèses. C’est cette même méthode que j’ai appliquée au fonctionnement de certains fermoirs antiques qui pour certains n’avaient jamais été étudiés.  Pour la bijouterie, j’ai travaillé à l’établi chez Thierry Anfray, joaillier et professeur à l’École de la rue du Louvre. Mes connaissances en  gemmologie se sont nourries et enrichies de longues lectures de la revue américaine « Gems and Gemology ».

Je me souviens aussi de ce que m’a dit Jean Vendome que j’ai interviewé pour le livre : « c’est une richesse de ne pas savoir« . Le manque de données a été stimulant pour mes recherches. J’ai cherché, imaginé, envisagé. J’ai fait de vraies découvertes pour lesquelles j’ai demandé à Thierry Anfray d’expliciter le fonctionnement de certains fermoirs grâce à des croquis qui illustrent le glossaire mais aussi des fonctionnements tout au long du livre. Il faut souligner que 32 historiens du bijou ont été interrogés.

4-Quand est réellement né le projet du livre et combien de temps a-t-il fallu pour le réaliser ? 

J’ai commencé ma collection de fermoirs en 2007. Et en 2013, dans le cadre du « Parcours bijoux », j’ai été amenée à faire une conférence au Musée des Arts décoratifs de Paris. Devant l’intérêt suscité, j’ai décidé d’en faire un livre. La réalisation du livre fut comme pour celle d’un bijou. Ce sont les finitions qui sont les plus longues : 9 mois de travail pour le concevoir mais deux ans pour le finaliser complétement. Écrire n’est pas tout. Il y a un énorme travail administratif de documentation et d’édition pour lequel ma précédente vie m’a aidé : traduction, copyrights à identifier et à payer, bons à tirer aux 76 contributeurs, maquettage du livre, traitement des photos, corrections, relations avec l’imprimeur puis création de la maison d’édition et de la boutique en ligne pour le commercialiser. Tout cela a nécessité de la curiosité, de l’organisation et de la persévérance pour finaliser ce projet!

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Fermoirs pendentifs. Photo : reproduction interdite © anna tabakhova at editions terracol

5-Comment s’est passée la collecte des informations nécessaires à ce livre car c’est définitivement l’ouvrage le plus complet sur le sujet. Comment as-tu sélectionné les fermoirs présents dans le livre ? Car je suppose que tu as été confrontée, aussi, à des choix éditoriaux. 

J’ai d’abord rassemblé tous les éléments en ma possession depuis près de 10 ans. Des achats de fermoirs « historiques », des gravures anciennes, des photos prises dans les musées au cours de mes voyages et des données de toutes sortes, catalogues d’expos, livres… Puis je les ai mis en perspective, dans le temps et dans l’espace, pour en extraire un fil conducteur, une analyse. Et j’ai ainsi identifié quatre typologies de fermeture.

Ensuite, j’ai cherché les périodes manquantes dans l’ensemble de mes données. J’ai fait en sorte de n’ignorer aucune période. Je n’ai pas cherché la facilité puisqu’il y a 22 musées impliqués et 76 contributeurs de 30 pays.

Le choix des fermoirs était basé sur la notion de « remarquable ». J’ai eu envie d’étonner à chaque page. Il ne s’agit pas seulement de montrer un fermoir d’une époque ou d’un lieu, il faut qu’il soit étonnant. J’ai ajouté des études spécifiques que l’on retrouve grâce aux onglets dans le livre, à l’image de celle sur l’origine de la boite-cliquet qui n’avait jamais été étudiée, 2000 ans de fermeture de torques, les fermoirs pendentifs d’Europe du Nord ou encore le bijou régional à transformation. Enfin, il y a également 7 interviews, le bijou dans la sculpture, la peinture, la littérature, un fil historique, un glossaire illustré, une bibliographie et enfin un index détaillé.

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Glossaire. Photo : reproduction interdite © anna tabakhova at editions terracol

6-Tu as fait appel à des contributeurs du monde entier. Comment les maisons et les musées ont accueilli le sujet et comment se sont passées ces collaborations ? 

Les collaborations ont été magnifiques car ma passion m’a ouvert toutes les portes.

Les musées m’ont accueillie avec curiosité et avec une très grande bienveillance. Nous avons fait des découvertes ensemble car tous les musées ont été intrigués par le sujet. Les marques également avec les grandes maisons de la place Vendôme ou de la rue de la Paix mais aussi Hermès, Vhernier à Milan, Wallace Chan à Hong Kong.

J’ai mobilisé des collectionneuses et des antiquaires français, anglais et américains qui m’ont fourni des photos ou pour certains m’ont vendu des fermoirs.

J’ai contacté des créateurs, artistes, plasticiens du monde entier suite à une recherche volontariste que j’ai mené : Tchéquie, Pays-Bas, Israel, UK, Australie…

7-Tu as certainement des anecdotes à nous raconter sur le processus de réalisation de cet ouvrages ?

Je pourrais écrire un livre sur les anecdotes !

-Le plus extraordinaire c’est un fermoir égyptien de 3800 ans qui n’avait jamais été étudié en tant que tel et dont j’ai découvert le fonctionnement avec l’aide de la conservatrice au Musée du Louvre

-C’est aussi le Victoria and Albert Museum qui m’a permis de remonter à l’origine de la boite cliquet et qui m’a dit « Venez avant l’ouverture et on ouvrira les vitrines« . Le même musée m’a adressé des remerciements élogieux sur ce travail : « Vous avez rendu aux historiens et aux joailliers un immense service« .

-C’est Elizabeth Gage à Londres qui m’a dit « merci pour ce que vous avez fait au nom de la joaillerie ».

J’ai été émerveillée par la conception des fermoirs égyptiens à languette et rainure inventés il y a 4000 ans. Car c’est une invention qui a été oubliée il y a près de 2300 ans. Je suis remontée aux documents originaux d’égyptologues pour découvrir, par exemple, des notes de 1934 écrites par Winlock (directeur du Metropolitan Museum de New York) qui décrivait les astuces qu’utilisaient les orfèvres égyptiens pour les fermoirs amovibles. J’ai par la suite créé un fermoir sur ce principe que j’ai exposé à la Biennale des Métiers d’art Révélation, au Grand Palais, en 2015.

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La version anglaise du livre. Photo : Photo : reproduction interdite © anna tabakhova at editions terracol

8-Pourquoi avoir créé une maison d’édition ?

Parce que quelqu’un doit payer le livre et que celui qui paie décide.

Nous avons donc initié une maison d’édition familiale comme il existe d’ailleurs des maisons de joaillerie « familiale ».  Les éditions Terracol existaient sous la forme d’une association car mon compagnon Christian Désagulier publie depuis longtemps de la littérature. Nous avons créé une SARL, mon ami est le directeur des Éditions Terracol et le directeur littéraire. Notre fille Julia Tabakhova en est la directrice artistique. Elle a eu l’idée de la couverture et a supervisé la charte graphique de l’ouvrage : fil historique qui permet de se situer, les onglets « études », la couleur de la typo. C’est grâce à elle que le livre est agréable à lire.

Personnellement, j’ai fait fi des règles éditoriales classiques. Je ne voulais pas de légendes mais je voulais que cette légende soit le titre de la page. Je voulais un juste équilibre entre contexte historique et description du fermoir. Il faut donner du plaisir et j’ai pensé à tous les publics :

  • Une couverture anti-griffures pour les bijoutiers (le livre ne se salit pas)
  • Un glossaire pour les étudiants
  • De grandes photos pour les amoureux des bijoux
  • Un index très détaillé pour les historiens
  • Un petit prix pour tout le monde

9-Tu as en effet décidé d’un prix très abordable pour un ouvrage de cette qualité. Je l’ai croisé dans de nombreux ateliers et il suscite un grand enthousiasme. Comment cela-a-t-il été rendu possible ?

J’étais convaincue que cela était faisable et je l’ai fait. Ce petit prix, c’est pour que tout le monde puisse se l’offrir.

Ce livre ne bénéficie d’aucune subvention, d’aucun sponsoring. Aucun contributeur n’a payé pour y figurer. J’ai payé tous les copyrights aux musées et droits d’auteur.

Je voulais le plus beau livre possible car la matière collectée le méritait. J’ai fait un appel d’offres pour la maquette et j’ai eu 80 réponses. Il a fallu piloter une équipe complète : infographiste, graphiste, correctrice, traductrices, imprimeur…

Le petit prix (48,50 € en français, 55€ en anglais) je l’ai voulu pour que tout le monde puisse se l’offrir. Le corollaire c’est la vente en circuit court, directe ! Et la logistique est assurée pour le monde entier.

Mon rêve c’est que chaque étudiant, chaque bijoutier, chaque curieux du bijou ait ce livre sur son étagère.

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Le livre est disponible sur le site des Éditions Terracol. Je ne peux que vous inciter à vous le procurer, c’est un ouvrage de référence à avoir dans sa bibliothèque.

À bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

ma Bibliothèque idéale

Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.