Par Emilie Disner, Candice Caplan, Franck Notari
GGTL-Laboratories Switzerland- 4bis route des Jeunes, 1227 Les Acacias Geneva, Switzerland
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Figure 1: La coupe analysée. Photo E. Disner.
Le laboratoire GGTL à Genève a récemment reçu une coupe sculptée dans un matériau brun organique. La coupe pesait 251.97 grammes, mesurait ≈ 12.5 / 11.0 / 11.0 cm et se trouvait dans un étui de transport en cuir (Fig. 1 et Fig. 4).
Figure 2: Dégâts liés à l’abrasion sur la partie supérieure et externe de la coupe, présentant la texture fibreuse du matériau. Photo E. Disner.
Au premier coup d’œil, l’objet semblait être fait de bois, en raison de son apparence mat, opaque et fibreuse (Fig. 2 et Fig. 3). Après un examen microscopique attentif, la coupe s’est révélée être faite en corne de rhinocéros.
L’article de Guindeuil (2014) nous permet d’établir un parallèle entre cet objet et d’autres récipients fabriqués pour la consommation d’alcool en Ethiopie chrétienne. En effet, cette pièce antique a été datée à la seconde moitié du XIXème siècle et aurait pour origine l’Éthiopie. Ce type de coupe, en forme de cône tronqué, est appelée wança (utilisée comme verre à bière) et son étui est appelé käzäna. Sa base pourrait suggérer un calice mais pas sa forme globale.
Le laboratoire GGTL possède une certaine expérience dans la certification d’anciennes coupes chinoises faites en corne de rhinocéros, mais c’est la première fois que nous recevons une coupe faite de ce matériau provenant de cette région du monde.
Figure 3: Micrographie du fond de la coupe présentant des traces laissées par le processus de fabrication. Photo E. Disner.
Figure 4 (a, b, c) : Etui de protection et de transport en cuir. Le couvercle est maintenu par quatre lanières de cuir passant sous deux ornements tressés. Les sangles sont abaissées pour fermer l’étui. Photo E. Disner.
Le couvercle de l’étui présente des traces d’abrasion qui coïncident avec les mêmes dommages que ceux observés sur la partie supérieure de la coupe (Fig. 2 et Fig. 5). Un examen attentif de ces traces a montré qu’elles constituaient une preuve évidente d’attaques de perce-bois ou d’insectes charognards. Considérant la position des dégâts, l’attaque s’est évidemment produite lorsque la coupe était dans son étui. Les insectes ont largement endommagé le cuir et, heureusement, dans une moindre mesure la coupe.
Figure 5: Les dommages sur le couvercle de l’étui coïncident avec les dommages de la coupe Photo E. Disner.
Préambule
La position de GGTL Laboratories en ce qui concerne le commerce de corne de rhinocéros est très claire, nous le condamnons fermement.
Considérant nos derniers échanges avec les autorités compétentes du territoire Suisse (Services vétérinaires, douaniers etc.), nous avons pris la décision de ne plus entrer en matière pour la certification de corne de rhinocéros, ce incluant les objets anciens (sachant qu’il est parfois difficile d’objectivement établir qu’il le soit ou non) malgré le cadre légal déposé par la CITES (https://cites.org/fra/search/site/rhinoceros).
A- Histoire et tradition
Les rhinocéros sont chassés par les humains depuis l’Antiquité tardive jusqu’à aujourd’hui, principalement en Asie et surtout pour leurs cornes. Très prisées, celles-ci sont réputées pour avoir des vertus mythiques, ne reposant sur aucune preuve, et sont ainsi utilisées à des fins médicinales traditionnelles. Elles sont également employées en tant que simples objets ornementaux.
À l’origine, la peau de rhinocéros était utilisée pour fabriquer des cuirasses et des boucliers, tandis que les cornes étaient sculptées en coupes rituelles de libation, aux vertus prophylactiques annoncées. On croyait ainsi que lorsque du poison serait versé dans la coupe, le matériau de la corne commencerait à s’agiter, prévenant du danger. Dès lors considérées comme un détecteur de poison, les cornes ont été sculptées dans des coupes complexes et raffinées, et faisaient un présent de choix vis-à-vis des dignitaires de la Chine ancienne. La sculpture met en valeur la transparence de ce matériau brun orangé, comme nous pouvons le voir sur cette coupe de libation ornée de fleurs (lotus), un motif récurrent pour ce type d’objet (Fig. 6). On dit que tout bon collectionneur des XVIème et XVIIème siècles ayant un cabinet de curiosité se devait de posséder une de ces cornes sculptées.
Figure 6: Coupe de libation chinoise, collection privée. Photo C. Caplan.
Par ailleurs, le comportement sexuel du rhinocéros a été préjudiciable à ses propres intérêts. Contrairement à celle de nombreuses espèces, la parade nuptiale peut durer une heure, plusieurs fois par jour. Une telle vigueur couplée à la forme suggérée est probablement à l’origine de la réputation aphrodisiaque attribuée à la corne. En effet, la consommation de corne broyée en infusion est supposée avoir de puissants effets aphrodisiaques et des vertus médicinales contre le cancer, par exemple. À ce jour, les cornes n’ont pas de vertus médicinales scientifiquement prouvées. Pourtant, ces légendes sont la principale cause du massacre des rhinocéros par braconnage. À cause des traditions, l’Extrême-Orient représente toujours le plus grand marché, avec un engouement toujours présent pour les cornes de rhinocéros.
Déjà à l’époque romaine, les rhinocéros étaient devenus rares en Asie. La Chine, par l’intermédiaire de l’Inde, a fait venir des cornes d’Afrique, qui étaient entre les mains du commerce romain. Au XVème siècle, trente ans avant l’expansion portugaise, l’amiral musulman Zheng He lance une flotte chinoise de 63 navires qui exploreront le monde à travers l’océan Indien de 1405 à 1433, au cours de sept expéditions. La Chine achète alors des cornes directement à l’Afrique. Le trafic se poursuit jusqu’à aujourd’hui.
En Éthiopie, les événements importants de la vie sociale des chrétiens sont accompagnés d’une consommation de boissons fermentées dans des tasses dédiées (voir Guindeuil, 2014). En ce qui concerne la coupe examinée, l’utilisation de corne de rhinocéros témoigne du prestige du propriétaire. Les coupes wança, destinées à boire de la bière, étaient utilisées par tous les groupes sociaux en Éthiopie. En plus de son utilisation initiale, la coupe wança, censée voyager avec son propriétaire dans un étui en bois (käzäna), pouvait également être utilisée comme un outil de mesure. Ces coupes sont généralement tournées sur un tour, ornées de deux à quatre rainures près de l’ouverture et d’un motif similaire à la base. La plupart d’entre elles sont fabriquées en corne de bœuf tandis que les plus prestigieuses sont en corne d’ivoire ou de rhinocéros. Les moins prestigieuses sont en bois ou en terre cuite. La qualité de la tasse est également jugée par sa taille et sa facture.
B- Identification de la corne de rhinocéros
Les cornes de rhinocéros, portées par les mâles et les femelles, ne sont pas des cornes stricto sensu car elles n’ont pas une base osseuse comme celle des cerfs par exemple. Elles ne ressemblent pas non plus à des défenses d’éléphant ou des défenses de morse. Les cornes de rhinocéros sont uniquement constituées de kératine agglutinée (une protéine fibrillaire présente dans les cheveux, les sabots et les ongles). On peut observer cette structure spéciale sous grossissement (Fig. 7 et Fig. 8). Cette masse compacte de cheveux étroitement soudés les uns aux autres, dure, est l’arme défensive du rhinocéros, et lui sert autant à assurer sa suprématie sur un harem que sur un territoire. Malheureusement, la corne est également assez dure pour être sculptée.
Figure 7: Structure de la corne, schémas adaptés de Hieronymus, Witmer and Ridgely (2006). Illustration C. Caplan.
Contrairement à l’ivoire qui est creux, les cornes de rhinocéros sont pleines. La couleur peut varier d’un brun rougeâtre foncé à un brun clair (miel) et, dans le cas présent, en raison des conditions environnementales et de l’âge, brun foncé.
La structure de la corne est visible sur les micrographies de la base de la coupe, où elle a été polie par l’utilisation (Fig. 8). La section apparente de la corne montre des tubules de kératine avec des points plus sombres au centre; ce sont les cavités médullaires. Notez la couleur orange brunâtre et la transparence qui caractérisent la corne de rhinocéros.
Les matières plastiques sont couramment utilisées pour imiter la corne de rhinocéros (généralement en acétate ou en polyester, comme pour l’écaille de tortue), mais dans ce cas, aucune structure interne ne peut être observée.
Figure 8: Micrographie de la base de la coupe (lumière transmise et réfléchie). On peut observer la cavité médullaire, les canaux au centre des tubules et la transparence caractéristique. Les lignes légèrement incurvées blanchâtres sont des traces faites par le tour qui a façonné l’objet. Sur la partie supérieure, la structure résultant de l’agglomération des cheveux est explicite. Micrographies F. Notari.
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Fin de la 1ere partie, la suite d’ici quelques jours sur le site !