Garantir la provenance des émeraudes ?

Août 31, 2017

C’est en tout cas l’affirmation du laboratoire de gemmologie Gübelin, mondialement reconnu, qui dévoile depuis peu une nouvelle technologie « Provenance Proof, The Emerald Paternity Test » qui a pour objectif de tracer les émeraudes soumises à ce procédé depuis l’extraction jusqu’à la commercialisation. Un objectif plus que louable quand on sait aujourd’hui l’engouement du public pour une plus grande traçabilité et transparence dans le domaine de la joaillerie. Une initiative plus que passionnante. J’ai eu l’occasion de découvrir cette nouvelle innovation et je vous propose de la découvrir aujourd’hui sur le site.

Photo : Gübelin

Il existe depuis plusieurs années maintenant des analyses conduites par les laboratoires de gemmologie et éventuellement de géologie qui ont pour objectifs d’apporter des informations sur la provenance des pierres qui leurs sont soumises. Parmi les pierres les plus demandées on retrouve bien entendu les émeraudes dont la forte valeur ajoutée (pour les plus belles) nécessitent pour de nombreux acheteurs de tout savoir sur la ou les pierres qu’ils acquièrent. Aussi l’analyse des inclusions mais aussi l’analyse isotopique par spectrométrie de l’oxygène contenu dans ces pierres permettaient d’apporter des éclaircissements quand à leurs provenances. Aujourd’hui, le Gübelin propose d’aller plus loin en marquant les pierres dès la sortie de la mine. Il ne s’agit donc pas d’analyser les pierres pour trouver les caractéristiques du gisement mais bien de fournir une carte d’identité aux pierres, laquelle peut – à priori – être lue à plusieurs reprises sans être altérée.

Le fill réalisé par le laboratoire Gübelin. Il est en anglais mais les sous-titres sont disponibles dans de nombreuses langues dont le français. Source : Gübelin / YouTube

  • Process

Pour cela, le laboratoire fait appel aux nanoparticules renfermant de l’ADN et incluant dans ce dernier des informations relatives à la mine, à son emplacement précis, à la date d’extraction, à l’entreprise qui a extrait la pierre… Les possibilités sont presque infinies. Les nano-particules mesurent 100 manomètres (0.0001 millimètres), elles sont donc invisibles par les microscopes et, selon le laboratoire, ne modifient en rien l’aspect de la pierre. Après avoir stocké les informations, l’ADN est alors « emprisonné » dans de micro-sphères de silice amorphe pour résister aux étapes de nettoyages, de polissage, de huilages qui peuvent se produire plusieurs fois dans la vie d’une émeraude. Le composé SiO2 utilisé est le même que celui qui constitue les opales naturelles. C’est parallèlement le composé le plus abondant dans la croute terrestre.

Les nanoparticules sont fixées à la paroi d’une fissure. Taille réelle de 0,0005 millimètres. Photo : Gübelin

Les nanoparticules sont stockées dans un liquide à base d’éthanol dans lequel on plonge les émeraudes brutes dès l’extraction avant les opérations de nettoyage et de tri. Ce faisant, elles se fixent partout en surface de la pierre mais elles pénètrent dans les moindres fissures. Une fois le liquide évaporé, celles-ci sont définitivement et intimement liées à la matrice gemme qui les porte. Un brevet international a d’ailleurs été déposé par le laboratoire.

Bien entendu, une pierre absolument vierge de fissures n’est pas compatible avec ce procédé mais le laboratoire Gübelin déclare « que selon les expériences menées avec cette technologie, les pierres présentent toujours des fissures submicroscopiques (dont la taille est si minuscule que le microscope ne peut le détecter – source CNRS) compatibles avec les nanoparticules et permettant l’adhérence de celles-ci sur les parois, rendant le test de paternité possible ».

  • Est-ce un traitement ?

C’est la question que je me suis posée en découvrant le procédé. Doit-on considérer ce marquage comme tel si on se réfère, pour la France, au décret de 2002 concernant le commerce des matériaux gemmes et des perles ? A priori oui puisque ces nanoparticules sont un ajout à la matière gemme hôte. Cela dit, celles-ci ne modifient ni l’aspect ni la couleur des pierres. Et en transmettant des informations cruciales sur la pierre, elles ajoutent une importante valeur ajoutée pour le consommateur ce qui n’est pas le cas de la plupart des traitements qui modifient durablement la pierre et altèrent souvent leurs valeurs financières. Mais le recul sur le procédé est quasi inexistant. Il faudra pour cela patienter plusieurs années pour savoir de manière certaine si celui-ci cause des modifications à la gemme qui l’accueille. Aujourd’hui la décision est dans les mains de la CIBJO qui doit décider de la manière de le classifier. Pour le moment, j’aurai tendance à rejoindre l’avis du laboratoire qui considère que ce n’est pas un traitement car cela n’altère pas physiquement la pierre. Je reste donc curieuse de l’avis de la CIBJO.

  • Est-ce dangereux pour la santé ?

La question se pose car de nombreuses questions sur les nanoparticules n’ont pas encore été solutionnées. Comme avec toute nouvelle technologie, une certaine prudence est de mise. On peut néanmoins affirmer plusieurs choses : l’ADN synthétique utilisé est identique à celui-ci contenu dans les plantes, les légumes…etc. Il est donc ingéré quotidiennement par l’homme. Si une question se pose, elle concerne plutôt la nanoparticule dans son ensemble. Si on se réfère aux pré-requis définis par la Commission Européenne et Occupational Safety and Health Administration (OSHA) basée aux USA, les nanoparticules utilisées dans ce cas précis ne contiennent pas d’éléments toxiques et bio-cumulatifs. Enfin, j’ajouterai avec humour, que vous n’êtes pas cesser manger les pierres qui peuvent vous être soumises. La question des risques n’est donc pas réellement de mise comparé aux problèmes soulevés par celles de la présence du dioxyde de titane dans l’alimentation.

  • Comment peut-on accéder aux informations contenues dans la pierre hôte ?

Pour cela, il est nécessaire de soumettre la pierre au laboratoire Gübelin. En effet, il est pour le moment le seul à détenir la technologie pour l’analyse et le décodage de l’ADN contenu dans les nanoparticules. Cependant, cela devrait dans les mois à venir être possible avec des laboratoires partenaires. Techniquement, comment cela fonctionne ? Les particules sont récupérées sur les parois des fissures à l’aide d’une solution tampon breveté par le laboratoire, puis soumise à une PCR Quantitative. Cette dernière analyse est une méthode particulière de réaction en chaîne par polymérase permettant de mesurer la quantité initiale d’ADN puis de le décrypter, libérant ainsi les informations codées. À ce titre, le Gübelin est le gardien des informations et le seul à y avoir accès. Il faudra donc faire appel à cette structure pour faire parler une pierre qui aura été soumise à ce procédé.

  • Peut-on modifier les informations contenues dans la pierre ? 

Selon le laboratoire, les informations contenues dans la pierre sont inviolables. Par contre, une fois que la pierre a été soumise à une lecture de ses informations, il est nécessaire de remarquer à nouveau la pierre. C’est bien entendu le laboratoire qui se charge de cette étape.

Sur cette bague, la première émeraude soumise au procédé Photo : Gübelin

  • Une première émeraude soumise au procédé.

Cette nouvelle technologie a été utilisée pour la première fois avec l’émeraude qui sertie la bague en platine Ancient Path de Gübelin Jewellery. Grâce à cet «Emerald Paternity Test», l’origine de cette émeraude d’un poids supérieur à 6 carats peut être clairement retracée jusqu’à la mine de Belmont à Itabira, Minas Gerais, au Brésil. Depuis lors, cette pierre précieuse peut être clairement rattachée à ses origines. Nul doute qu’il faudra suivre cette technologie et son évolution que je pense rapide. Le laboratoire ayant annoncé qu’il travaillait déjà à un marquage des rubis.

Je suis toujours curieuse et enthousiasmée quand je vois les avancées technologiques que réalisent les laboratoires de gemmologie. Celle-ci est , à mon sens, indissociable aujourd’hui d’une volonté toujours plus affirmé de tracer les matières premières qui entrent dans le composition des bijoux. On le voit pour l’or, l’argent, le cuivre, les pierres gemmes ne peuvent donc pas échapper à ce mouvement. Ce marquage permettra aussi, peut-être, de faire évoluer les pratiques d’extraction. Les rendant plus vertueuses. C’est certainement un rêve en 2017 mais j’espère que nous y parviendrons un jour. Quoi qu’il en soit, je vais suivre avec intérêt ce nouveau procédé, ses évolutions et ses applications futures. Et je ne manquerai pas de vous en parler. Le future est déjà là !

À bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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