Jusqu’au 24 mars 2018, la galerie parisienne La joaillerie par Mazlo, lieu avant-gardiste incontournable du bijou contemporain, propose avec l’exposition The Alchemical Egg de porter à la fois un regard étonnant et d’une très grande pertinence sur la notion de transformation de la matière qui est à la base de l’Alchimie.
Fin de la route (Rubedo) Broche. 2017. Argent, or pur, patine de nielle. Courtesy of Gigi Mariani
Cette discipline – définie comme oculte dès Moyen-Age – avait pour objectif de comprendre ce que le philosophe grec Anaxagore avait formulé vers 450 av. J.C « Τὸ δὲ γίνεσθαι καὶ ἀπόλλυσθαι οὐκ ὀρθῶς νομίζουσιν οἱ Ἕλληνες· οὐδὲν γὰρ χρῆμα γίνεται οὐδὲ ἀπόλλυται, ἀλλ´ ἀπὸ ἐόντων χρημάτων συμμίσγεταί τε καὶ διακρίνεται. Καὶ οὕτως ἂν ὀρθῶς καλοῖεν τό τε γίνεσθαι συμμίσγεσθαι καὶ τὸ ἀπόλλυσθαι διακρίνεσθαι » Cette phrase est souvent traduite par la maxime « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent puis se séparent à nouveau » que reprendra Lavoisier, père de la chimie moderne par sa célèbre phrase « Dans la nature, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme« . Mais pour beaucoup, l’alchimie se résume à la recherche de la pierre philosophale qui aurait pu transmuter la matière en or. C’est bien plus que cela !
Tempête météorologique (Nigredo). Broche. 2017. Argent, or jaune 750, patine de nielle. Courtesy of Gigi Mariani
Mais avant d’en arriver la compréhension des phénomènes chimiques et physiques qui modifient la matière, cette discipline fut surtout associée à la sorcellerie, cette accusation idéale pour pousser vers le bûcher les opposants du pouvoir en place et du clergé. Sa mise en parallèle avec la bijouterie semblait donc inévitable puisqu’il s’agit là d’un métier où la transformation des matières est la base même de sa pratique. Il est d’ailleurs de bon ton de rappeler que durant de très nombreuses années, le lycée Nicolas Flamel fut le grand lycée technique parisien dédié à la bijouterie-joaillerie…
Nigredo. Broche. 2017. Émail, cuivre, argent, verre. Courtesy of Wendy McAllister
1- Traduire l’Alchimie en bijoux
C’est tout le principe de cet événement imaginé par la curatrice et historienne de l’art Nichka Marobin. Créé en partenariat avec la Hannah Gallery, elle fut présentée pour la première fois lors du salon Joya en octobre 2017 à Barcelone. Elle réunit quatre artistes aux origines et inspirations très différentes : Aurélie Guillaume (Canada), Gigi Mariani (Itie), Tore Svensson (Suède) et Wendy McAllister (Etats-Unis). Son objectif, comparer les cheminements alchimiques et artistiques – parfois comparables à des errements tant le process de création peut parfois se relever difficile voir douloureux – et fixer ceux-ci dans le temps.
Red. Broche. 2017. MDF (bois), argent, peinture. Courtesy of Tore Svensson
Le point de départ de cette réflexion est un tableau de Jerôme Bosh auquel le titre de l’exposition fait référence. Son œuvre, souvent jugée hermétique, est peuplée de symboles liés à la connaissance de la matière, à la vie après la mort, à la transformation des corps ou des âmes.
Rubedo: Le Soleil. Broche. 2017. Émail sur cuivre, argent, argent sterling, or pur, acier inoxydable, revêtement en poudre. Courtesy of Aurelie Guillaume
2- Les trois étapes de la connaissance alchimique
Il s’agit des trois états (parfois même quatre) qui mènent à la renaissance. Ces différents principes sont décrits dans la réalisation du Grand Œuvre que l’on retrouve dans des fragments d’écrits de l’alchimiste égyptien Zozime de Panopolis (IIIe siècle ap. J.C.). Ainsi la compréhension de la transformation de la matière passe par :
Albedo. Pendentif / Pendant. 2017. Émail, cuivre, argent, feuille d’or 24 carats. Courtesy of Wendy McAllister
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Le Nigredo, l’œuvre du noir, représente le le commencement. Il s’agit, ici, de broyer les éléments, de les mélanger, de les fondre, de les cuire. Souvent symbolisée par le corbeau ou par la planète saturne, cette étape est le pendant de la destruction (la mort) qui précède la reconstruction.
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L’Albedo, l’œuvre du blanc, la purification. Du noir au blanc… La précédente matière est lavée, purifiée pour revenir à un état propice à sa transformation. Souvent symbolisée par un cygne ou la lune, cette étape est en réalité un instant zéro de la matière. Ce moment où tout est possible. La naissance, la première pierre d’un devenir.
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La Citrinitas, l’œuvre du jaune, symbolisant l’apparition de la chaleur. La cuisson qui permet la recombinaison des éléments vers son état final. C’est souvent la planète Vénus qui illustre ce nouvel état. On pensera bien sur au tableau de la naissance de Vénus qui sort d’une coquille dans le célèbre tableau de Botticelli.
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Enfin, le Rubedo, l’œuvre du rouge, représentant la fournaise, la chaleur ultime, l’heure de la transformation, parfois comparé à l’orgasme. Il est question de renaitre sous une nouvelle forme et démarrer une nouvelle vie. Comparable à l’illumination, il s’agit du plus haut niveau de connaissance, la Gnose. Cet état est symbolisé par le soleil ou le phénix.
Ce moment magique (Albedo). Broche. 2017. Argent, patine de nielle. Courtesy of Gigi Mariani
Vous l’aurez compris, ces principes se retrouvent dans la bijouterie. Depuis la fonte, le creuset initial jusqu’à la forge où le métal rougeoie pour ensuite se transformer et se plier aux désirs du joaillier – ici considéré comme un sachant. Car ici, plus qu’ailleurs, le contrôle de la température répond à des principes inaliénables dans la maitrise des arts de la métallurgie. Courez voir cette exposition, enthousiasmante à de nombreux égards et inédite par le regard philosophique qu’elle porte sur le message que délivre un bijou. Je crois que vous ne serez pas déçus !
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La joaillerie par Mazlo
31 rue Guénégaud, Paris 6
Mardi-vendredi : 14-19 heures
Samedi : 11-13 et 14-19 heures
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À bientôt !