Karine Niemand, l’art, le rêve, les bijoux

Déc 7, 2018

Il est des interviews plus longues que d’autres à concrétiser. Mais, en général, lorsque l’on on y arrive, elles se révèlent parmi les plus passionnantes et les plus enthousiasmantes. Ma rencontre avec Karine Niemand remonte à quelques mois déjà. Nous nous étions croisées lors d’une exposition à l’Hôtel de Ville de Paris et je me souviens que son travail avait été l’un des plus intéressants à voir ce soir de vernissage. Aujourd’hui, je vous invite donc à découvrir le parcours de cette artiste joaillière dont le petit atelier du 12e arrondissement de Paris mérite véritablement votre visite.

karine niemand

Karine Niemand dans l’Atelier Envoûtant. Photo : Marie Chabrol

L’ouverture de l’atelier de la rue de la Voûte remonte à Septembre 2015 mais l’histoire entre Karine et la joaillerie débute au hasard d’un voyage au Cambodge et au Vietnam en 2005… C’est pour elle le moment d‘embrasser pleinement une pratique artistique qui l’a, jusqu’à présent, accompagnée depuis son adolescence sous la forme de d’activités extra-professionnelles. Car, avant de se tourner vers la joaillerie, Karine a eu plusieurs vies. Lesquelles ont fortement influencé sa manière d’aborder le bijou.

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Bracelet sculptural en argent, or, citrine et quartz à inclusions d’oxyde de fer. Photo : Marie Chabrol

Celui-ci, objet de parure mais aussi objet d’art, se doit de transmettre un message, de porter une signification et de marquer des Temps de vie importants de notre passage si rapide sur cette terre. Karine arrive ainsi, avec une vision poétique de la joaillerie, à rendre durable l’éphémère. Mais revenons quelque peu en arrière… Au début des années 90.

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Broche « Eros & Thanatos » en argent et or, quartz à inclusions. Photo : Karine Niemand

Karine Niemand le dit elle-même «J’avais un bon niveau scolaire. J’étais d’un milieu populaire où l’on ne faisait pas forcément de longues études ou des études artistiques. Venant d’une famille issue de l’immigration, la question de l’intégration par l’école était une valeur importante. Aussi quand j’ai eu la possibilité de pouvoir entrer à Sciences-Po Lille, il n’était pas question de refuser». Elle suit ensuite un 3eme cycle (DESS) en urbanisme à Sciences-Po Paris, formation également pluridisciplinaire, où elle travaille en collaboration avec des architectes ce qui enrichit encore son regard professionnel et qui se retrouve aujourd’hui dans ses bijoux. Au début des années 2000, la voilà à Montreuil pour pratiquer de manière réelle la requalification de friches industrielles. A cette époque, les villes de la petite couronne parisiennes subissent des mutations profondes. L’augmentation des prix parisiens inaugurent le phénomène de gentrification qui va bouleverser durablement Montreuil, Pantin, Les Lilas et la banlieue de l’Est Parisien. Karine voit les promoteurs arriver, les friches industrielles se détruire, les opérations immobilières de bureau, de logement social ou privé se multiplier et certains logements précaires ou ateliers d’artistes être déplacés, souvent de manière douloureuse pour tous. Elle restera trois ans sur ce poste qu’elle qualifie comme extrêmement formateur. La suite de sa carrière se passe dans l’immobilier d’entreprise, sur un versant plus financier qui l’amènent à bien saisir les tenants de son premier secteur professionnel.

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Bague en argent texturé et or sertie d’une opale d’Australie. Photo : Marie Chabrol

Issue d’une famille aux origines diverses : italienne, allemande, polonaise, elle va très vite, dès l’enfance, s’interroger sur ce mélange culturel qui est le sien. Sa pratique artistique démarre tôt avec de la peinture, du bricolage, du théâtre mais surtout de l’écriture. Laquelle l’accompagne toujours aujourd’hui à l’atelier de la rue de la Voûte. Dès 2000, elle inaugure sa pratique du voyage. Elle visitera des pays comme le Maroc, Cuba, le Sénégal, le Bénin où les cultures comme les couleurs la nourrissent intensément. Puis ce sera l’Asie du Sud-Est. En 2005, à 29 ans, elle quitte son travail et part pour six mois au Cambodge puis au Vietnam. «J’ai découvert les pierres gemmes sur les marchés de Phnom Penh et de Pailin. Mes premiers saphirs et spinelles viennent de là» explique Karine. Elle arpente la région du Rotonah Kiri et découvre l’artisanat local et les réalisations des hommes et des femmes de cette province du Nord-est Cambodgien. «Adolescente, j’ai lu les textes de Joseph Kessel, de Marguerite Duras, Blaise Cendrars, par exemple. Je voulais vivre ces voyages rêvés à travers la littérature» ajoute celle qui découvre à la fois de visu des pays «très chargés d’Histoire» ainsi que d’autres formes de spiritualités qui la guident désormais dans ses créations.

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Karine lors de son voyage au Cambodge. Photo : Karine Niemand

Lors de son passage par Hanoï, elle trouve sur les marchés des bobines de fil de cuivre. C’est avec ça qu’elle va commencer à travailler métal et à l’apprivoiser. Elle va ainsi commencer à le crocheter en y incluant des pierres. Entre temps, un ami commun la met en relation avec le Directeur de l’Institut Pasteur de Phnom Penh ce qui l’amène vers une mission humanitaire en urbanisme, en coopération avec la Ville de Paris. Après cette expérience, vient le temps du retour en France.

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Bague en argent et or issue de la série des « Pi ». Elle est sertie d’un quartz à inclusions de dumortierite. Photo : Marie Chabrol

Rentrer, oui. Mais comment concrétiser de manière durable l’expérience de l’Asie et sa découverte du bijou comme mode d’expression privilégié ? Karine choisit déjà de se former en gemmologie, sa rencontre avec les pierres au Cambodge a initié une curiosité qu’elle ne veut pas perdre. Elle s’inscrit et passe son DU de Gemmologie à Lyon où elle travaille sur les opales de feu, une gemme qui la fascine également. Elle continue d’explorer sa pratique du métal : «fabriquer, c’était me confronter à la matière. Elle n’est pas simple, elle ne s’apprivoise pas d’un claquement de doigt». Elle enchaîne donc avec les cours du soir en bijouterie à Nicolas Flamel/Ecole Boulle, passe le CAP Art du Bijou en candidate libre, installe son premier atelier tout en multipliant les stages et expériences en joaillerie, orfèvrerie et travail du métal. C’est notamment un stage au Crédit Municipal de Paris qui lui ouvre le domaine du bijou ancien et lui fait entrevoir des notions d’expertises de celui-ci. Les catalogues de ventes lui font découvrir un monde de signatures et d’influences, elle va alors – entre autre – se passionner pour le travail de Jean Vendôme qui est, pour elle, une véritable révélation.

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Argent texturé dans les mains de Karine. Photo : Marie Chabrol

Désormais également maman d’une petite fille et après ses premières expositions à partir de 2010 – notamment à la galerie Arte Viva à Levallois ou dans des expositions dédiées au bijou contemporain- elle inaugure en 2015 l’atelier du 12e arrondissement de Paris.

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Pendentif « La Rose » en argent et or, grenat. Photo : Karine Niemand

Les propositions créatives de Karine sont différentes de la joaillerie traditionnelle. C’est justement là que réside tout l’intérêt de sa démarche artistique. En se construisant en dehors du système, elle ouvre un champs de possibles infini où le bijou devient parure, puis objet, puis marqueur de son temps . Or et argent texturés, oxydations, patines, etc… tout intéresse Karine. Aux pierres plus conventionnelles, elle oppose les agates colorées, les quartz à inclusions où «la pierre est souvent l’âme centrale de la pièce», ce qui fait écho notamment aux propos d’André Breton qui considérait les cristaux comme les emblèmes de la création poétique.

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Broche « La Danseuse » en argent, or et quartz à inclusions fait partie de la série des « Broches Curieuses », un ensemble de bijoux qu’elle construit progressivement au fil de son inspiration. Photo : Marie Chabrol

Elle défends ainsi le «faire» et le «fait-main» loin du tout CAO qui caractérise notre joaillerie actuelle et qui permet une «approche du bijou à la manière de l’écriture automatique si chère aux surréalistes» rendant à ce médium le coté fusionnel intrinsèque qui caractérise pleinement le rapport premier de l’Homme au métal. Avec les «Etoiles Filantes» elle raconte un «instantané durable». Ici les quartz à inclusions révèlent toute la poésie qui les anime (du latin anima : donner une âme). Les thématiques de la transformation, du temps, de la mémoire et de la liberté occupent par ailleurs une place importante et transversale dans son travail.

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Bague en argent et opale issue de la série « Les Ailes ». Photo : Marie Chabrol

Robert Desnos disait «Une place pour les rêves, mais les rêves à leur place», voila qui me permet de conclure cet article. Karine offre une joaillerie où les symboles entrent en résonance avec la matière ; elle pose et offre un regard poétique sur les tourbillons de la vie et les traduit en bijoux. S’il est un joli lieu à connaître à Paris, son atelier fait parti de ceux-là..

A bientôt !

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L’Atelier Envoûtant vous reçoit sur rendez-vous au 34 rue de la voûte 75012 Paris. Vous pouvez la joindre par téléphone au 06.70.77.85.15. Enfin, Karine exposera son travail entre février et juin 2019 au Pôle Bijou de Baccarat dans le cadre de l’expostion « L’Amour des voyages ». Je ne peux que vous inciter à aller la découvrir à cette occasion.

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.