La renaissance de Fawaz Gruosi

Mai 3, 2021

Quand le communiqué de presse de la maison Fawaz Gruosi Genève est tombé dans ma boite mail, j’ai d’abord été étonnée. Il était donc de retour. Puis très vite la curiosité a pris le dessus. L’homme avait disparu des radars joailliers depuis plus de deux ans. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la discrétion était devenue son modus operandi. Un virage à 180° pour celui qui était un habitué des soirées de la jet-set, des tapis rouges et des mannequins toutes plus somptueuses les unes que les autres. Qui a oublié son apparition grisogonesque au bras d’une Bella Hadid déshabillée par Alexandre Vauthier à Cannes en 2016? Mais ce temps lointain est révolu, la Maison De Grisogono n’a pas résisté au scandale des Luanda Leaks*. Fawaz avait su quitter le navire dès 2018.

Fawaz Gruosi by Damian Foxe

Alors Fawaz a pris son temps, il a rejoint ses filles et ses petits-enfants basés à Londres. Les projecteurs se sont éteints et – dans l’ombre – l’homme a reconstruit son image et peut-être aussi un peu sa légende. Souvent décrit tel un phénix, il s’est réinventé, reconstruit, entouré, rassemblant ses fidèles collaborateurs, ses artisans qui le suivent depuis la création de sa première maison en 1993. Sa boutique éponyme vient de voir le jour à Londres dans le réputé quartier de Mayfair, son nom est gravé au-dessus, mais les ateliers restent à Genève d’où le nom de la maison : Fawaz Gruosi Genève. Toujours aussi élégant, l’homme dont les yeux clairs fascinent se raconte. Rencontre avec un monstre sacré de l’industrie joaillière.

Bague en or rose 750 (~ 22,90 Gr) sertie de 1 rubellite taille émeraude (~ 4,35 Ct), 253 diamants blancs taille brillant (~ 10,80 Ct) et opale rose (~ 34,70 Ct). Photo : Fawaz Gruosi Genève

« Né le 8 aout 1952 à Damas« , l’homme grandit au Liban où il passe une grande parti de son enfance. Une mère italienne, un père libanais qui disparait lorsqu’il a huit ans et c’est le grand départ. La famille quitte le Liban pour l’Italie et s’installe à Florence. « Je suis resté jusqu’à 22 ans dans cette ville incroyable qui a eu une très forte influence sur la formation de mon goût et de ma vocation d’esthète » ajout-il en parlant également de son père, un homme qui « avait le sens des affaire, un caractère méditerranéen, qui aimait la bonne cuisine et avait une grande joie de vivre. Il m’a énormément manqué même si je l’ai perdu étant enfant.« 

Parce qu’il faut travailler et que les études ne l’intéressent pas, il a quitté l’école à 17 ans, il accepte alors la proposition d’intégrer la maison Torrini, une des plus anciennes joaillerie du monde puisqu’elle remonte à 1369. « Ma mère était furieuse » dit-il « car je devais travailler alors que je venais de me marier et je ne savais pas quoi faire, j’avais 19 ans et ma femme était enceinte de notre premier enfant. » A l’époque l’homme n’a pas le train de vie qu’il aura ces dernières années et il entre en joaillerie un peu par hasard, il faut bien le reconnaitre. Les rencontres, son bagou et son aisance relationnelle feront le reste, il finit par partir pour Londres, toujours pour la maison italienne. Car, il y a chez Gruosi quelque chose du chat qui retombe toujours sur ses pattes…

Collier en or blanc et or rose 750 (~ 79,75 Gr) serti de 531 diamants blancs taille brillant (~ 18,55 Ct), 520 rubis taille brillant (~ 19,30 Ct) et 93 émeraudes billes zambiennes (~ 735,85 Ct). Photo: Fawaz Gruosi Genève

Repéré par Harry Winston en personne, il part pour l’Arabie Saoudite. Il a alors 21 ans. Puis, l’appel de l’Italie résonne à nouveau… « J’ai intégré la maison Bulgari. Là, j’étais responsable des ventes privées des collections de haute joaillerie. En quête de réussite et de reconnaissance, je me suis vite fait un nom dans cet univers luxueux et très fermé. Souvent considéré comme étant un grand vendeur, je parcourais le monde pour présenter, en avant-première, des sélections haut de gamme à un public de célébrités, de jet-setters et de millionnaires, triés sur le volet. Mais je n’étais pas pleinement satisfait d’uniquement vendre des bijoux.« 

Sa rencontre et son mariage avec Caroline Scheufele en 1995 inaugure une nouvelle vie pour celui, qui vient de créer en 1993 sa propre maison. L’aventure De Grisogono est lancé. Fawaz a du nez pour les affaires et un talent pour créer des tendances. Les diamants noirs, c’est lui. Les diamants icy, c’est encore lui. On se souvient de la bague « Spirit of De Grisogono diamond » ornée d’un diamant noir de plus de 300 carats. Le plus gros carbonado du monde à l’époque. En 2012, il vend son affaire et la quitte en 2018. Une vie digne des grands studios, un destin à couper le souffle, c’est aussi ça Fawaz Gruosi.

Boucles d’oreilles en or, diamants bruns, rubellites et ivoire de mammouth. Photo: Fawaz Gruosi Genève

Mais dans cette nouvelle vie londonienne, il n’y a pas beaucoup de diamants, en tout cas pas de diamants noirs, et c’est peut-être une excellente nouvelle! Alors pourquoi initier une nouvelle marque? « J’ai créé cette marque, parce que je sentais que je pouvais faire encore mieux qu’avant ! Mes nouvelles collections sont différentes : elles sont de notre époque. Je les ai créées avec beaucoup d’amour. J’ai toujours eu foi en mes goûts, en mes choix, aussi originaux soient-il. Jusqu’à présent, cette intuition m’a toujours servi. Alors, cette nouvelle aventure joaillère dévoilera une facette plus intime de ma personnalité et ne porte donc aucun nom d’emprunt mais mon nom, naturellement » déclare-t-il calmement.

Bracelet en or blanc et or rose 750 (~ 80,95 Gr) serti de 2 saphirs bleus Sri Lankais taille ovale (121,62 Ct), 40 émeraudes zambiennes taille baguette (~ 9,40 Ct), 108 saphirs roses taille ovale (~ 153,10 Ct), 234 saphirs roses taille brillant (~ 4,15 Ct) et 453 saphirs bleus taille brillant (~ 1,40 Ct). Photo: Fawaz Gruosi Genève

Alors que trouve-t-on dans les premières pièces de la maison? De la couleur! Car c’est bien ce qui marque quand on découvre les premiers visuels. Cela pétille, éclate, éclabousse presque. Il y a de la joie partout, la couleur est omniprésente. Rubis somptueux, émeraudes aux teintes chaudes, turquoises remarquables mais aussi péridots, améthystes, diamants aussi, rubellite, opale rose, corail… On ne sait plus où donner de la tête. La fabrication est assurée à Genève. On retrouve à la tête de l’atelier M. Patrick Affolter : « Pour cette nouvelle aventure, Patrick, mon ancien directeur des ateliers est à mes côtés. Il est l’interprète de mon imagination, de mes rêves. C’est à lui qu’incombe le soin de transformer mes idées depuis notre atelier à Genève » nous explique M. Gruosi. Le passé est ce qu’il l’est mais l’avenir est là. Nul besoin d’être devin pour comprendre que la passion pour la création de pièces d’exception est toujours aussi tenace chez cet homme de 69 ans. Quand les photos montrent une pureté à la limite du possible, il parle des couleurs. Saturation parfaite, homogénéité exquise, voilà ce que l’on peut dire des matières acquises patiemment. « Je suis inspiré par tout ce qui m’entoure, je regarde la forme des choses et je m‘en inspire, ou bien les couleurs. Aussi, je travaille avec la même équipe depuis des années donc nous avons à peine besoin de nous parler » complète celui dont on comprend qu’il sait parfaitement où il veut aller avec sa marque désormais éponyme: « l’infini de la mer, le tumulte des vagues, l’élégance d’une femme… tout m’inspire. Je veux créer des bijoux qui racontent des histoires et génèrent de l’émotion chez celle ou celui qui les porte ou les regarde.« 

Bague en or blanc 18K (~ 21,30 Gr) sertie de 9 diamants blancs taille navette (~ 1,70 Ct), 31 émeraudes taille cabochon (~ 32,00 Ct), 246 émeraudes taille brillant (~ 4,05 Ct) et turquoise (~ 22,45 Ct). Photo: Fawaz Grusi Genève

La maison s’est aussi bien entourée pour sourcer les pierres. Certains choix sont aussi audacieux : l’opale rose fait son grand retour, le jade également. « Comme vous pouvez l’imaginer le sourcing des pierres pour mettre en place une maison de haute joaillerie nécessite un important approvisionnement en termes de pierres. Il grandira encore en fonction des ventes, des expositions et autres événements dès que la situation mondiale le permettra. En ce qui concerne la transparence, cette dernière est totale puisque l’ensemble des pierres importantes sont mises en vente avec un certificat délivré par les plus grandes instances certifiées mondialement dans le domaine, autant pour les diamants que pour les pierres de couleurs. En ce qui concerne les pierres plus petites dites de pavage, notre approvisionnement s’effectue avec les meilleurs fournisseurs reconnus et certifiés » explique celui vient également d’introduire l’ambre dans ces dernières pièces. Les créations sont-elles différentes de ce à quoi il nous a habitué? Pas tant que ça, on retrouve dans chacune des pièces son esprit et l’opulence à laquelle il nous a habitué. Les formes sont généreuses, les contrastes colorés saisissants, les matières flamboyantes. Il n’y a ici aucune tendance, juste un parti pris créatif que confirme M. Gruosi en expliquant que sa maison a « une place toute particulière puisqu’elle travaille dans un premier temps par passion. » Ajoutant, « j’ai toujours été à contre courant des autres marques et c’est ce qui a fait notre succès. Depuis quelques années, les marques font la course à la vente de masse et du coup elles réalisent pratiquement et par obligation, plus ou moins les même collections, avec ou sans succès. J’ai toujours demandé à mes équipes de ne pas trop regarder ce que font les autres mais au contraire de laisser la Passion prendre le dessus et avec un état d ‘esprit très différent dans le travail au quotidien. Bien entendu une différence réfléchie, aboutie qui offre à nos clients quelque chose de différent. »

Boucles d’oreilles en or blanc, émeraudes et rubis. Photo: Fawaz Gruosi Genève

Il semble évident que la maison trouvera ou retrouvera sa clientèle. Le contexte actuel n’est certes pas porteur pour les événements mais le créateur a imaginé avec son équipe près de 400 pièces, des gammes access arrivent également et des montres sont depuis peu sorties des ateliers genevois. Certaines voyagent déjà dans le monde grâce à quelques collaborateurs. Et de conclure, optimiste, à son image, « oui, je prévois d’ouvrir d’autres boutiques ailleurs qu’à Londres et j’ai hâte de pouvoir voyager à nouveau pour voir mes clients à travers le monde ! » Bon vent M. Gruosi et qu’il vous soit favorable!

A bientôt

Luanda Leaks : en janvier 2020, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a montré comment Isabel Dos Santos, la fille de l’ancien président angolais, a détourné un milliard d’euros de fonds publics issus d’entreprises angolaises. En analysant une fuite de 715,000 documents, 36 médias internationaux dont la BBC, le New York Times ou Le Monde ont expliqué comment une armée de sociétés financières occidentales, d’avocats, de comptables, de fonctionnaires et de sociétés de gestion ont aidé cette femme de 48 ans à cacher près d’un milliard de dollars aux autorités fiscales. Ces révélations ont engendré le gel de ses actifs et la nationalisation de ses parts dans la société portugaise Efacec. Un conflit judiciaire toujours en cours puisque en mars 2021, la femme d’affaire angolaise déposait des documents auprès de la Haute Cour de Justice de Londres afin de contredire les révélations du ICIJ. Fawaz Gruosi n’a pas été inquiété suite aux révélations.


À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.