Aurélien Delaunay, gemmologue au LFG

Fév 28, 2015

Pour ce deuxième rendez-vous Carrière, je suis allée rencontrer Aurélien Delaunay qui exerce la profession de gemmologue au Laboratoire Français de Gemmologie. Avec gentillesse et patience, il s’est prêté au jeu des questions – réponses pour cette nouvelle interview professionnelle. Un immense merci à lui !

Observation pureté loupe10xExamen d’un diamant à la loupe. Photo : LFG

  • Aurélien, pouvez-vous présenter rapidement ?

Je m’appelle Aurélien Delaunay, j’ai 32 ans et je suis originaire du vignoble de l’Anjou.

  • Quel métier vouliez-vous faire petit ?

Je voulais être archéologue et faire comme Indiana Jones. Mais quand quelqu’un m’a dit qu’il fallait faire une section littéraire, j’ai reculé et je me suis orienté vers la géologie.

  • Et finalement, quel est votre poste aujourd’hui ?

Je suis gemmologue, responsable de laboratoire et plus spécifiquement du service « Diamants » au Laboratoire Français de Gemmologie (LFG).

  • Vous pouvez nous parler de votre parcours initial d’études ?

Après un baccalauréat scientifique, j’ai suivi des études de géologie, sciences de la Terre et de l’Univers à l’Université d’Angers puis à l’Université de Nantes où j’ai obtenu un Master 2 en Géosciences Planétaires.

  • Les gemmes, plus précisément, vous passionnent depuis quand ?

Elles me passionnent depuis l’enfance. J’étais déjà attiré par les cailloux, je ramassais beaucoup de pierres que je trouvais jolies sur les plages ou dans les chemins de campagne. Puis, la question de l’orientation professionnelle est venue. Au collège, il y a eu un forum des métiers d’organisé. Mon père, qui travaillait à la mairie, savait qu’il y avait quelqu’un dans la commune qui exerçait un métier en relation avec les pierres. Je lui ai envoyé une lettre lui demandant s’il voulait venir nous exposer son métier. Pascal Entremont, Chasseur de Pierres, était à l’étranger à ce moment-là et n’a pas pu venir. Mais il me convia à le rencontrer chez lui. Ayant des passions communes, nous avons sympathisé. Il m’a alors expliqué le métier, m’a conseillé de suivre des études de géologie à Angers puis de les continuer à Nantes, pôle de la gemmologie où je devais rencontrer ses amis (qui sont devenus aussi les miens), les professeurs Bernard Lasnier et Emmanuel Fritsch.

  • Et quel parcours de formation spécifique à la gemmologie avez-vous suivi ?

J’ai suivi le Diplôme d’Université de Gemmologie à Nantes tout en me formant à la gemmologie classique de manière autodidacte. Mon mémoire portait sur « L’hydrogène dans le diamant et étude d’un diamant fibreux ». Il y a de nombreux supports informatifs sur la gemmologie (livres, internet, forum, etc.). Puis il a fallu que je passe le diplôme de l’Institut National de Gemmologie afin de travailler là-bas.

  • Les pierres gemmes, on ne les trouve pas vraiment en France. Vous avez voyagé ?

J’ai voyagé mais pas spécialement pour trouver des pierres. Après, je ramène toujours un morceau de caillou (si cela est autorisé) même si ce n’est pas une pierre précieuse. Mais j’ai trouvé des choses intéressantes en France pouvant être façonnées : saphir trapiche, quartz en Bretagne, chiastolite, grenats, etc. Pour le reste, je voyage beaucoup grâce aux musées.

  • Rentrons dans le vif du sujet : présentez-nous votre lieu de travail et son fonctionnement ? Vous nous parlez un peu de votre équipe ?

Je travaille au Laboratoire Français de Gemmologie, le plus ancien laboratoire de gemmologie au monde. Créé en 1929 à la demande de la profession, il a pour but d’analyser toutes les matières gemmes. C’est le plus important laboratoire français qui émet des rapports d’analyses scientifiques sur les pierres précieuses (diamants, rubis, saphirs, émeraudes, etc.) et les perles. Lesquelles gemmes peuvent être déposées par divers clients professionnels ou particuliers. Nous sommes une équipe de quelques gemmologues, certains avec des spécialisations marquées sur les diamants, les pierres de couleur ou les perles. Nous avons aussi des personnes s’occupant de toute la partie administrative.

  • Comment êtes-vous arrivé à ce poste ? Racontez-nous votre parcours professionnel.

Mon parcours professionnel est, comme mon parcours de formation, fondé sur des rencontres. Ces moments qui font que l’on prend tel ou tel chemin. Après avoir terminé ma formation universitaire en gemmologie, je suis resté plus longtemps à l’université pour travailler sur mon mémoire. Il y avait une soutenance de mémoire la semaine suivante et un des membres du jury, le directeur du LFG de l’époque, avait besoin de petite main suite à une demande accrue de rapports sur des diamants. J’étais là au bon moment et je suis resté ainsi quasiment 1 an au LFG à grader les diamants. Ensuite, je suis allé enseigner la gemmologie à l’Institut National de Gemmologie où j’étais responsable de la collection et du contenu scientifique des cours. Pendant deux ans, j’ai essayé d’apporter un maximum de choses à cette école. En 2011, le LFG a été racheté par l’Union Française BJOP, j’ai été contacté par le Professeur Emmanuel Fritsch qui est conseillé scientifique au LFG car ils étaient à la recherche d’une personne pouvant s’occuper des diamants. J’ai postulé, ils avaient mon CV, me connaissaient et tout s’est fait en quelques minutes. Depuis, le LFG a évolué, de nombreux équipements ont été rachetés, une nouvelle équipe compétente s’est mise en place. Aujourd’hui, le LFG suit des procédures scientifiques strictes qui renforcent ses bases et ne font que conforter sa place de référence en la matière.

  • Parlons un peu de votre travail, typiquement une journée / semaine de travail ressemble à quoi ?

Je m’attache au bon fonctionnement du laboratoire. Spécifiquement, je grade les diamants soumis en couleur, pureté, taille, je leur fais subir une batterie de tests pour vérifier qu’ils ne sont pas synthétiques ou traités. Quelques fois, il arrive que certains diamants soient plus problématiques et je peux passer plus de temps à faire des recherches pour trouver des critères de différenciation.

Ensuite, il m’arrive de travailler sur des pierres de couleur ou sur des perles si la charge de travail est importante dans ces services.

Enfin, je veille à la bonne marche du laboratoire en validant toutes les analyses et tous les rapports émis.

  • Que préférez-vous dans votre métier ?

Chaque pierre étant différente, il y a de nombreuses façons de les aimer. Disons que rechercher si une pierre est synthétique et/ou traitée est quelque chose de fascinant. C’est un peu jouer au détective à chaque fois.

  • Quels sont les aspects plus négatifs ou plus ennuyeux ?

L’aspect le plus ennuyeux, s’il faut en trouver un, c’est peut-être la répétition des tâches lorsque vous gradez de nombreux diamants à la suite.

  • C’est un métier stressant ?

C’est un métier assez stressant car il y a de nombreux enjeux. Les clients sont souvent pressés ce qui nous oblige à travailler vite et bien. Cette « vitesse » est un risque que nous veillons à minimiser le plus possible en prenant le temps des analyses et en expliquant au client pourquoi nous avons besoin de temps supplémentaire sur certaines pierres.

  • Il y a certainement des aspects insoupçonnés par le grand public ?

Nous exerçons un métier de passion, mais l’aspect scientifique et rigoureux est primordial. Une analyse ne se fait généralement pas en 5 minutes et nous devons, à chaque fois que nous émettons un résultat, avoir les preuves de ce que nous avançons. Nous avons la chance d’analyser des merveilles de la nature comme des petites pierres peu attirantes.

  • Expertiser des pierres, c’est parfois faire des déçus. On gère ça comment ?

Nous sommes des êtres humains, nous sommes toujours attristés par certains cas de figure. Après, nous devons rester professionnels car notre analyse est professionnelle. Il faut essayer de faire abstraction de tout cela. En tant que gemmologue, nous ne savons pas l’histoire de la pierre ou de son possesseur. Pour nous, ce n’est seulement qu’un numéro.

  • Qui dit laboratoire d’expertises peut dire – un jour – contentieux juridiques. Vous y pensez ? Vous vous préparez à ce type d’éventualité ?

Oui, c’est pour cela que tous les résultats que nous émettons sont fondés sur une expertise scientifique. Nous avons des preuves scientifiques démontrant notre résultat d’analyse. Ces analyses peuvent être « données » au client dans le cadre d’un rapport justifié.

  • Comment concevez-vous l’exercice de votre profession au quotidien ?

Comme une nouvelle enquête à chaque pierre, du plaisir.

  • Vous travaillez avec une clientèle variée : particuliers, grandes maisons, joailliers indépendants… Je suppose que les relations sont différentes. Comment gère-t-on le niveau d’exigence de chacun ?

Chaque client a un niveau d’exigence différent. Notre niveau d’exigence dans l’analyse est le même pour tous. Après, nous essayons d’être le plus possible à l’écoute de nos clients.

  • Le LFG propose des formations à la gemmologie. Vous donnez des cours ? Vous aimez transmettre vos connaissances et enseigner / écrire ?

Le LFG a toujours œuvré dans la transmission des connaissances depuis sa création en 1929. Il continue à transmettre ses connaissances grâce au nouveau pôle de formation en gemmologie ouvert il y a quelques années. Ayant donné des cours au sein de l’Institut National de Gemmologie, c’est avec plaisir que je continue à enseigner sur des thématiques comme le diamant ou la géologie. C’est toujours un plaisir de partager des connaissances en formation ou par le biais d’articles scientifiques.

  • Le diamant synthétique est de plus en plus présent sur le marché. Peut-on dire que gérer sa présence sur le marché est le défi des années à venir ?

Les diamants synthétiques deviennent de plus en plus « faciles » à fabriquer. Les avancées scientifiques dans le domaine ont fait que la croissance de diamant en laboratoire est « connue » et de moins en moins onéreuse. Les diamants synthétiques battent en ce moment des records de poids et de couleur, etc. Il faudra s’attendre dans quelques années à en voir de plus en plus, notamment dans des lots de petites pierres.

  • Une anecdote à nous raconter ?

Il y en a de nombreuses. Une petite récente : alors que je rentrais un soir en métro, j’ai vu quelques perles qui roulaient dans le métro. À chaque accélération ou freinage de la rame, je les voyais rouler de l’avant vers l’arrière. J’en ai attrapé quelques-unes, il s’agissait de perles de culture assez jolies. Un collier avait dû se casser.

  • Bon, et comment décompresse-t-on quand on a un métier si prenant ?

On essaie de passer du temps à faire autre chose : passer du temps en famille, s’adonner à des loisirs, etc.

  • D’ailleurs est-ce qu’on décroche vraiment ?

Pas vraiment, en somme, car nous sommes maintenant connectés 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les amis que nous avons sont souvent des gens du métier donc quand on passe du temps entre amis, on parle souvent du métier. Et puis en tant que scientifique, il faut faire perpétuellement une veille sur les avancées de notre secteur. Les chercheurs vont très vite dans la synthèse ou le traitement des gemmes. Nous nous devons d’être au fait de toutes ces avancées.

  • Et à l’avenir, vous vous voyez comment et où ?

Difficile à dire, tant que tout va bien et que je prends autant de plaisir à faire ce que je fais, il n’y a aucune raison que je change de métier.

image001À bientôt pour un prochain portrait !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.