Sophie Simon, des pierres, des pierres et encore des pierres !

Jan 6, 2023

Sophie Simon est négociante en gemmes, gemmologue et joaillière. Cela fait maintenant plusieurs années que nous nous connaissons et sa personnalité solaire me réjouit à chaque fois qu’elle croise mon chemin. J’adore sa manière de parler des pierres et ses sélections gourmandes qu’elle partage sur les réseaux sociaux au gré de ses voyages, la plupart du temps en Asie. A force de l’écouter me parler des pierres qu’elle aime tant, au moins autant que moi (ne nous mentons pas!), je me suis dit qu’il fallait que je vous la présente ; même virtuellement au travers de cette interview joyeuse et réjouissante, comme elle ! Rencontre avec une passionnée et une grande professionnelle.

Sophie Simon

1- Peux-tu te présenter en quelques lignes ?

Je m’appelle Sophie, je suis née en 1980 en France, je suis gemmologue FGA et négociante en gemmes de couleurs. Je suis également bijoutière-joaillière de formation. J’habite Paris.

2- Que voulais-tu faire enfant ? Et pourquoi ?

En réfléchissant bien je pense que c’est une question que je ne me suis pas vraiment posée, enfin pas enfant. Mes grands parents paternels étaient musiciens et professeurs au conservatoire national et dès l’age de 6 ans j’ai commencé l’apprentissage de la musique. J’ai ajouté rapidement le chant et le violon ainsi que le travail à l’orchestre. A 8 ans j’ai débuté la dance moderne puis la danse classique, finalement assez similaire dans l’apprentissage : précise et exaltante. J’ai donc aussi voulu devenir danseuse. Arrivée à 15 ans, les études académiques ne m’attirait pas du tout et je n’envisageais pas une carrière faite de concours et de sacrifices, les deux lois régissant le monde de la musique et de la danse classique… Et tous les adultes me demandaient ce que je voulais faire ! Adepte du déguisement permanent, la Haute Couture me fascinait, les costumes et bijoux de scène aussi, et j’étais inspirée par les personnalités de ma mère et de mes grand-mères. J’empruntais souvent leurs sautoirs en argent, essayant les diamants et les clips et bracelets géants colorés à la mode des années 90. L’expression manuelle ne manquait jamais et j’ai pu apprendre les travaux de dames, le petit bricolage et le jardinage, je ne rêvais pas vraiment d’être ailleurs dans le futur. 
Entourée de férus d’Histoire, de nature et de géologie comme mon père et mon grand père de cœur, (tous deux géologues amateurs) j’avais une conscience constante du monde présent autour de moi et sous mes pieds. Leurs collections de minéraux sont aujourd’hui mes trésors et je les considère à l’origine de ma passion des pierres. Les récits de voyages à travers le monde, puis les découvertes des autres pays et de leur traditions m’ont fait réalisé que j’aimais voyager. J’ai été fascinée très tôt par l’Asie et j’ai toujours pensé que réellement j’aurais dû naître sur le continent Asiatique !
A 16 ans je savais que je voulais faire quelque chose de mes mains. Au bon moment est arrivée l’opportunité de visiter une école de bijouterie joaillerie, dont l’une de mes cousines avait suivi la formation et l’adolescente instinctive que j’étais à compris que sa vie serait donc vouée au bijou.

Assortiment de tourmalines multicolores taille émeraude du Nigéria. Photo : Sophie Simon

3- Et finalement, quel est ton travail actuel ?

Je dédie ma vie au bijou! Ma destinée a changé de formes de nombreuses fois au cours de ma « carrière » mais le dénominateur commun a toujours été le bijou. Travailler désormais avec les gemmes me permet d’être aux premières loges de leurs créations. 

4- Comment est-tu arrivée à ce poste ?

Après mon diplôme en 2002 je suis partie directement à Paris que je connaissais donc plutôt bien et je suis restée 7 ans. j’ai eu l’opportunité de travailler et d’apprendre auprès de grands professionnels. D’abord pour la haute Joaillerie en tant que trieuse de diamants et pierres précieuses mais également pendant un moment en tant qu’assistante de production pour la créatrice de bijoux contemporains et souffleuse de verre Agathe Saint-Girons. Ce plongeon créatif entre ces deux postes m’a donné envie de développer mon travail de création et j’ai commencé à réfléchir à avoir ma propre structure. 
Pour des raisons personnelles j’ai décidé de partir de France en 2008. Je suis allée en Angleterre, à Londres. La flexibilité du système anglais m’a apporté des opportunités valorisantes. J’ai pris confiance en moi et j’ai pu m’établir en tant que créatrice de bijoux sur mesure, tout en assistant une variété de créateurs de bijoux contemporains de tous horizons, établissant avec eux un rôle lui aussi sur-mesure au sein de leurs ateliers. Je pense avoir travaillé pour toutes les structures : l’import-export de joaillerie en argent en provenance de Jaipur disponible uniquement sur salons professionnels, en passant par la haute joaillerie suisse et une galerie de minéraux et fossiles géants, l’une des plus rares en Europe, un lieu unique en Angleterre. Mon intérêt pour la minéralogie s’est renforcé car les pièces dans cette galerie étaient rares et singulières.
Durant ma dernière année à Londres, je savais qu’il me manquait un atout technique très important et malgré mon œil un peu affûté, je ne me sentais pas la possibilité d’acheter correctement mes propres gemmes. En tant que joaillière, j’avais aussi de plus en plus de requêtes pour analyser des pierres de clients. Comme je travaillais aussi pour les joailliers, la connaissance des pierres était un atout essentiel, mais j’avais besoin d’une vraie formation diplômante, afin de pouvoir apporter le plus d’éléments techniques possibles lors d’une vente. J’ai donc choisi la Gem-A et l’un de ses centres de formation accrédités à Marseille pour réaliser cette formation en Français menée de main de maître par Agata Cristol. 
Ma formation fut extrêmement précise et j’ai découvert plus de pierres que ce qui était prévu au programme. Nous avons été sur le terrain, en Thaïlande pour visiter différents lieux de négoce. La gemmologie m’a ouvert un monde magique et infini.
A l’issue de mes études à Marseille, je suis repartie à Paris. C’est à ce moment-là que j’ai réellement questionné mon rôle au sein de la joaillerie française et que j’ai commencé à me demander comment je voulais évoluer.

Voyage en Thaïlande, 2022. Photo : Sophie Simon

5- Quel a été ton parcours d’étude ?

J’ai choisi d’étudier un total de 6 années à Saint-Amand-Montrons dans la région Centre. Je suis diplômée d’un CAP bijoutier métaux précieux et CAP joaillerie, ainsi que d’un Brevet des Métiers d’Art en joaillerie. Cette école, ses enseignants et la qualité des locaux et outils m’ont ouvert la voie d’un secteur professionnel enrichissant et fascinant. Les stages que j’ai effectués m’ont permis de tester les différentes facettes de la création joaillière et je voulais tout essayer pour savoir où je me sentirais le mieux.
J’avais à cœur de comprendre comment se déroulait le quotidien d’un bijoutier-réparateur de quartier, la production dans une maison de sous-traitance de haute joaillerie (pièce par pièce, système par système, pas de 3D à l’époque!…), j’ai tellement aimé que j’y suis allée une deuxième année, puis au sein d’un bureau de style femme d’une maison de Haute-Couture et l’atelier d’un créateur de bijoux contemporains aux procédés que je dois garder confidentiels.
Les méthodes et techniques traditionnelles étaient enseignées par des professeurs-artisans, ouvriers, designers, anciens chefs d’ateliers. Il y eu aussi l’organisation de rencontres et la découverte de tout l’univers du bijou contemporain et du bijou d’auteur. Le groupe de design CORPUS de Strasbourg notamment et les créateurs Christophe Burger et Brune Boyer m’ont particulièrement impacté. Mon univers s’est élargi, tout pouvait être bijou.
Nous allions tous les ans à Bâle, autrefois ouvert aux négociants de tous horizons, et j’ai pu être très active au sein du journal de l’école et grâce à cela j’ai participé aux rencontres des écoles de bijouteries européennes qui étaient organisées par les pays membres, découvrir les techniques traditionnels d’autres pays, l’histoire de l’art du bijou, visiter les écoles et découvrir le bijou contemporain. 
Entre le moment où j’ai été diplômée et aujourd’hui, 20 ans se sont écoulés. J’ai eu la chance de rencontrer les bons professionnels au bon moment. Lesquels m’ont intégré dans leurs ateliers ou bureaux et m’ont transmis leurs savoir au service de la pierre ou des bijoux. Puis, le marché comme le monde mondialisé s’est transformé après la crise de 2008.
Même si mon parcours d’étude du bijou s’est terminé en 2002, je pense que tous mes postes suivants ont fait parti de mon apprentissage, m’amenant à mon travail actuel de négoce. Sans la transmission de mes pairs, ma formation n’aurait pas été complète.
Je suis « née » bijoutière mais quand je suis devenue gemmologue j’ai su alors que j’avais une relation plus intense avec les pierres qu’avec le métal. J’adore toujours faire des bijoux pour mon plaisir, je pense avec envie aux dieux indiens aux bras multiples, et les journées sont trop courtes, je ne le dirais jamais assez !

6- A quoi ca ressemble une journée type et est-ce que ça existe en fait ?

Pour ma part j’ai abandonné la journée type, mis à part que je suis à mon bureau à 9h tous les matins et que ma journée s’articule ensuite autour des projets clients, des recherches et sélections spécifiques, des expositions et impératifs variés. Le choix d’être à mon compte était principalement lié au fait de pouvoir travailler à mon rythme, que ce soit pour laisser du temps aux voyages et à la recherche, la sélection des pierres et tout le travail administratif. Les rendez-vous avec les joailliers sont les moments les plus importants bien sûr, plusieurs heures de découvertes où le créateur se plonge dans les couleurs et prend le temps de s’inspirer. Cela me fait toujours penser à un jardin où on vient cueillir son bouquet.
Je vis en adéquation avec mes besoin environnementaux et le soin que je porte à mon travail. J’ai aussi choisi d’adhérer à une certaine vision du bijou, celui du créateur joaillier, qui accorde les mêmes valeurs que moi sur la manière d’acheter et de revendre, où la démarche de création est propre à chacun, où les tendances n’ont pas souvent cours et les clients ne sont pas des statistiques. J’aime découvrir leur univers créatif et m’adapter, j’aspire à ce qu’ils se sentent tous précieux lors de cette expérience. Je suis mise au challenge chaque jour de trouver les gemmes qui sauront épouser leurs désirs et la planète nous offre des centaines de nuances de couleurs, quel bonheur!

Tourmaline verte du Nigéria. Photo : Sophie Simon

7- Qu’est-ce que tu préfères dans ton travail et ce que tu aimes le moins ?

Ce que je préfère le plus est de pouvoir travailler sur mes pierres, préparer des sélections sur-mesure et les présenter aux joailliers, échanger avec mes collègues lors des événements et expositions .
Ce que j’aime le moins est de ne pas pouvoir acheter telle(s) ou telle(s) pierre(s) pour diverses raisons et que les journées ne fassent pas 54 heures.

8- Quelles sont tes pierres préférées et pourquoi ?

Je dirais la tourmaline. C’est la pierre précieuse qui à mon goût a le plus de couleurs disponibles de tout le règne minéral. Les grenats sont tous incroyables aussi, les variétés et les nuances de couleurs toutes très intéressantes . 

9- As-tu des idées sur les tendances à venir dans les pierres ? Et si tu devais mettre en avant une pierre méconnue, tu choisirais laquelle ? Pourquoi ?

Je ne préfère pas m’avancer en ce qui concerne les tendances même si le Panthone de cette année 2023 est très gourmand et ira merveilleusement bien avec le grenat Rhodolite et l’une de ses nuances : rouge-rose.
Je pense néanmoins que le Zircon naturel et ses nuances d’or à rouge sont magnifiques et je pense que c’est une pierre très méconnue et sous-estimée de nos jours. 

10- Comment te positionnes-tu face aux défis sur la traçabilité et à la fabrication qui modifie le paysage joaillier?

C’est une question essentielle du paysage actuel et c’est une bonne chose que le consommateur soit au courant des pratiques lorsqu’il veut acheter un bijou. Cependant, et au même titre que beaucoup d’industries et de plus en plus aujourd’hui, attention au green-washing et au « tout traçable ». Cela n’est possible que pour une fraction infime du marché pour l’instant, tant celui-ci est tentaculaire et le grand public n’a accès qu’au sommet de l’iceberg.  L’exploitation minière artisanale responsable est celle à laquelle je voudrais participer totalement dans le futur, ma position étant de pouvoir acquérir au maximum de gemmes qui proviennent de sources certifiées, en choisissant très attentivement mes collaborateurs. Je souhaiterai avoir 100% de traçabilité d’ici 2 ans maximum pour toutes les pierres de centre.

Selon les pierres, les origines et les volumes, certaines informations ne sont pas toujours disponibles. Le client veut parfois des réponses très précises et le marché est tout juste en train de s’ajuster à ces pratiques. N’oublions pas que des hommes et des femmes de tous pays participent à l’extraction des gemmes dans des pays aux politiques souvent très différentes des nôtres et qu’il est très facile d’avoir des exigences assis dans une tour d’ivoire. En dehors des diamants, rubis, saphirs, émeraudes et maintenant spinelles, il est encore parfois très difficile de savoir d’où viennent les gemmes exactement, tant le marché est vaste, du point d’extraction au point de taille jusqu’au point de vente en Europe. 

Sophie lors du salon de Sainte-Marie-aux-Mines. Photo : Sophie Simon

11- Dans 10 ans, tu te vois où ?

Dans un futur proche, j’aspire à tailler mes propres pierres et me permettre de tailler sur mesure pour mes clients. Une manière de « boucler la boucle » du bijou à la pierre ! D’ici 10 ans, j’espère pouvoir transmettre un peu de mon expérience. Je ne peux pas prévoir ma géo-localisation mais j’espère pouvoir continuer à voyager régulièrement pour acheter toujours plus de gemmes ! Je rêve de me réinstaller comme joaillière également, tellement de design en réserve…qui vivra verra !

12- Une anecdote, une histoire que tu voudrais partager ?

La première fois que je n’ai pu sortir une pierre de ma tête, c’était en 2005. J’ai attendu un an le retour de la personne de Madagascar pour finalement l’acheter. Une Apatite verte de 7 carats de Madagascar, ovale taille mixte avec une série d’inclusions en halo réfléchissant la lumière en fonction de l’inclinaison, elle est vraiment unique. C’était une grande dépense à l’époque et je n’ai décidément pas eu l’idée de recommencer l’expérience à l’époque ! Je ne m’imaginais pas pouvoir en faire une profession si je m’attachais autant ! J’ai toujours cette pierre que je ne vendrais bien sûr jamais.

13- Ton plus grand rêve ou la personnalité joaillière que tu rêves de rencontrer ?

J’ai rencontré beaucoup de mes « idoles » créateurs au fur et à mesure des années et j’ai la chance de travailler pour des créateurs fabuleux mais j’aurais aimé connaître Line Vautrin. Je l’aime car son oeuvre est multiple, des objets aux bijoux, utilisant un métal peu précieux comme le bronze. C’est à mon sens l’une des femmes créatrices françaises les plus importantes. J’aime particulièrement ses miroirs qui sont comme autant de broches murales et évidemment tous ses bijoux, sans aucune exception. 

14- Et pour conclure, tu dirais quoi à un jeune qui veut faire comme toi et se lancer un jour ?

Entoure toi des bonnes personnes et ne compte pas tes heures de travail ! 

A bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.