Les montres et moi avons une relation compliquée. Depuis ma vingtaine environ, je n’en porte plus. Les réveils m’empêchent souvent de dormir, les horloges et leur satané tic-tac m’agacent. Et pourtant, je regarde le milieu de l’horlogerie avec curiosité. Je ne le connais pas, je n’y travaille pas, quand une montre m’intéresse, c’est d’abord pour son esthétique. Ensuite, bien sûr, si elle a un lien avec l’astronomie, elle a plus de chances de me plaire. Si elle raconte des histoires, à l’image des « complications poétiques » de la maison Van Cleef & Arpels, elle gagne des points supplémentaires. Soyons clair, la joaillerie est rarement loin dans les garde-temps qui me questionnent. Mais l’horlogerie de manière générale reste très obscure pour moi. Elle a pris un peu plus d’importance quand je suis devenue plus familière avec Genève où je me rends régulièrement. Aussi quand j’ai commencé à suivre le consultant et historien en horlogerie Antoine Géraud sur le gram, je me suis régalée. Une exposition Patek Philippe à Genève nous a donné l’occasion d’échanger un premier mail, mais nous nous sommes enfin rencontrés en vrai il y a un an à GemGenève. De là, le temps faisant son œuvre, il me semblait nécessaire de vous le présenter et de lui demander son aide pour mieux comprendre le yang de l’industrie joaillière. A ce stade, le temps n’a plus vraiment d’importance. Alors prenez justement le vôtre et plongez avec Antoine à la découverte de ce qui le fait vibrer. Rencontre avec un amoureux du temps.
M. Antoine Géraud. Photo fournie par M. Géraud
1- Pouvez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?
Je suis né dans le Midi de la France, à l’époque de la coupe-au-bol et des pyjamas en velours synthétique. Mais j’ai toujours pensé que j’étais né du mauvais côté des Pyrénées car là où je me sens le mieux, c’est en Espagne, où j’ai passé une très grande partie de mon enfance.
J’ai grandi dans une famille composée essentiellement de juristes, entouré des codes civils Dalloz, ce qui me motiva par pur esprit de contradiction à considérer d’autres domaines d’intérêt. Je me souviens que je me suis très tôt intéressé aux Beaux-Arts et à la peinture, ce qui encouragea mes parents à m’offrir une encyclopédie sur l’art, que j’ai passé des heures et des heures à compulser. Enfant, j’aimais beaucoup lire aussi, et les livres m’ont toujours accompagné depuis.
Par la suite, et après un essai infructueux en faculté de médecine, je suis revenu à mes premières amours pour la peinture, et me suis consacré à l’étude de l’histoire de l’art à Paris, puis sur les amicaux conseils de Maître Beaussant (commissaire-priseur), je suis parti en Angleterre, à l’école Christie’s qui préparait au diplôme d’historien de l’art de la Royal Society of Arts de Londres.
C’est comme cela que tout a commencé.
2- Avant de parler de ce que vous faites actuellement, une question que je pose à tous mes invités : quel métier vouliez-vous faire petit ? Et quel métier faites-vous maintenant ?
Petit, je voulais être agent secret, et lorsqu’on jouait avec mes cousins on imaginait des gadgets et des aventures dignes de la saga James Bond. Puis il y eut ensuite la phase « pilote d’avion » à cause de Top Gun, et comme je ne fais jamais les choses à moitié, j’ai piloté des avions de tourisme de 15 à 18 ans. Mais mon niveau en math et ma mauvaise vue ne m’ont pas permis de poursuivre ce rêve de carrière (qui relevait plutôt, je l’avoue maintenant, d’une lubie).
Depuis, j’ai eu le plaisir de travailler pendant plus de 25 ans dans le monde des ventes aux enchères d’œuvres d’art et dans l’industrie horlogère de luxe. Aujourd’hui je suis consultant indépendant et travaille pour des projets de développements commerciaux. Par ailleurs, j’enseigne depuis plusieurs années sur des sujets tels que l’histoire de l’horlogerie et ses maisons, l’histoire du luxe, les ventes aux enchères. La transmission, qu’elle soit académique ou purement axée sur le produit, est une mission qui me plaît énormément.
Extrait du fil Instagram d’Antoine Géraud, aka Watches and the gang. Photo : Antoine Géraud
3- Beaucoup vous connaissent sous le pseudo Watches and the gang, équivalent horloger du fabuleux compte Jewels and the gang tenu par Vanessa Cron. Pourquoi ce nom et quel retour d’expérience du game of gram ?
Vous me flattez en utilisant le terme « beaucoup ». Mon compte Watches and the gang est très très modeste et confidentiel, surtout en comparaison avec Jewels and the gang (43K followers actuellement !). Le mérite de l’idée de l’ouverture de ce compte revient d’ailleurs à Vanessa elle-même (Vanessa et Jean-Marc sont de très grands et chers amis depuis plus de vingt ans). Un jour au cours d’une conversation, Vanessa m’a dit qu’elle regrettait qu’il n’y eût pas vraiment de compte horloger sur Instagram qui parlât de l’univers des montres de manière simple, sans geekitude ni ésotérisme.
C’est ainsi que ce projet a germé, et qu’il a finalement vu le jour. L’intention de ce compte est donc de partager mes coups de cœur horlogers, ou d’aborder des sujets un peu techniques, afin de dédramatiser un domaine qui peut sembler complexe et qui n’est pourtant pas seulement l’apanage des spécialistes du secteur.
Quant au nom Watches and the gang, j’ai demandé la permission à Vanessa de l’utiliser, en miroir du nom de son compte, et elle a accepté bien sûr. Mais bon vous savez, ce nom, c’était déjà aussi son idée lorsque nous avions commencé à en parler ensemble. Et je lui suis maintenant très reconnaissant de m’avoir encouragé à ouvrir un compte inspiré du sien, et de sa confiance !
En me lançant dans cette aventure, je ne réalisai pas toutefois l’exigence et le travail que cela allait me demander : trouver des images de bonne définition pour pouvoir les publier, être à l’affût et trouver des anecdotes, vérifier sans cesse la véracité des informations partagées, animer le réseau social. Mais finalement tout ce travail comble l’historien que je suis, et défie l’historien 2.0 que je suis devenu. Et le plus beau de tout cela, ce sont les rencontres, les conversations en ligne, et les liens qui se tissent avec des personnes tout autant curieuses et passionnées.
Etabli dans un atelier d’horlogerie. Photo : Antoine Géraud
4- Votre parcours est assez impressionnant, quel est votre background et comment vous êtes-vous retrouvé dans le domaine de l’horlogerie en Suisse ?
Comme je vous l’ai dit, de formation académique je suis historien de l’art. Je le rappelle tout le temps à mes élèves en Bachelor du Luxe, pour leur démontrer qu’en se donnant les moyens on peut devenir qui l’on souhaite dans la vie. Cela demande du travail et de la passion, mais il ne faut pas avoir peur de réorienter son parcours si l’envie se présente : on ne vit qu’une fois ! Il faut oser créer les occasions, et personnellement « sauter sans parachute » vers de nouveaux horizons ne m’a jamais retenu.
Plus sérieusement, je ne pense pas que mon parcours soit impressionnant, mais ce dont je suis certain, c’est que j’ai eu l’opportunité et la chance de me consacrer à des sujets, des domaines et des métiers différents qui me passionnent. Et je me considère donc comme un « couteau suisse ». (Auparavant j’aurais dit un « homme-orchestre », mais comme je suis devenu binational franco-suisse il y a quelques années, je préfère cette définition maintenant.)
À mes débuts professionnels, et après un stage à Venise au sein de la Peggy Guggenheim Collection, j’ai travaillé pendant de nombreuses années pour les principales maisons de ventes aux enchères internationales, Christie’s et Sotheby’s, à Londres puis à Paris, successivement au sein de départements se consacrant aux cadres, aux tableaux et dessins des maîtres anciens, aux tableaux du XIXème siècle et à l’art russe. Puis un nouveau « saut sans parachute » m’a amené sur les rives du Léman pour une brève aventure dans l’aviation privée qui s’est immédiatement suivie, ayant répondu à une offre d’emploi sur le bien-nommé site jobwatch.ch, par la découverte de la belle horlogerie suisse, côté manufacture, auprès d’une maison historique mettant l’accent sur les métiers d’art et les artisans : Bovet Fleurier. Comme beaucoup de personnes je m’intéressais aux montres, mais ne savais que le peu qu’un magazine hebdomadaire généraliste avait pu régulièrement m’apprendre jusqu’alors (internet n’offrait pas encore l’accès à autant d’information qu’aujourd’hui). Cette nouvelle expérience de sept années (une vie !) en tant que General Manager pour la zone Asie-Pacifique au sein de cette maison m’a ouvert les portes d’un nouveau marché, et surtout celle d’une manufacture où j’ai fait de très belles rencontres avec des concepteurs, des cadraniers, des artisans, des horlogers, et par-dessus tout mon ami Hervé Schlüchter (alors chef d’orchestre de ce site de production) qui m’a enseigné ce qu’est la belle horlogerie artisanale !
Quelques ouvrages qui résument le parcours d’Antoine Géraud. Photo : Antoine Géraud
5- Le marché de l’art, l’aviation, aujourd’hui les montres, qu’avez-vous préféré jusqu’à présent dans votre carrière ?
J’ai droit à combien de Joker pour l’interview ? Là, vous me posez déjà une question difficile, et vous connaissant, je pense que ce ne sera pas la dernière…
J’ai aimé tous les domaines auxquels je me suis consacré. Et si je devais extraire un dénominateur commun à toutes ces expériences, je retiendrais le contact humain et la transmission des valeurs des métiers d’art et du luxe, qu’il s’agisse d’œuvres dans des musées, ou bien de décoration et de micromécanique horlogères.
Montre joaillière « Perles de Glace Rose » par Van Cleef & Arpels. Photo : Antoine Géraud
6- On oppose régulièrement les montres aux bijoux. Pourtant les pierres permettent de les rassembler. Est-ce que ce sont vraiment deux mondes si différents l’un de l’autre ?
Si vous comparez un atelier de joaillerie et un atelier d’horlogerie, vous contemplez deux mondes distincts, voire opposés. Comme vous le savez si bien, un atelier joailler c’est un vrai bazar. Il y a de tout partout, on touche les pièces avec les doigts, les copeaux de matières sont récupérés dans la peau de l’établi, les pierres sont en contact les unes avec les autres. Il y a bien sûr des étapes de façon et de préparation des matériaux semblables en tout début de chaîne en horlogerie, mais ensuite tout se passe très vite dans l’environnement le plus ordonné possible, où le moindre grain de poussière pourrait avoir des conséquences fatales sur la chronométrie et la bonne marche d’une montre. Dans la manufacture pour laquelle je travaillais, les visiteurs devaient vêtir une blouse et mettre des sur-chaussures en plastique bleu avant de rentrer dans l’atelier qui était une ‘salle blanche’. Là, un système de légère pression de l’atmosphère permettait aux poussières de l’air d’être repoussées vers le sol où elles étaient aspirées par une ventilation à travers les perforations des dalles du plancher.
Généralement les horlogers reçoivent les kits à assembler sur leur établi sous forme d’une boîte à compartiments dans chacun desquels se trouve un élément du mouvement (roue, vis, spiral, etc). L’horloger, qui porte des protections en latex sur chacun de ses doigts, manipule alors les composants à l’aide d’une brucelle (petite pince). À chaque nouvelle étape de montage du mouvement il place ce dernier sous une cloche en verre pour éviter toute interaction avec l’environnement de l’atelier. On se croirait à la NASA ! En horlogerie il y a deux pôles de production très importants qui s’unissent pour créer le garde-temps assemblé : l’habillage (tout ce qui est visible comme le boîtier, le bracelet et sa boucle, le cadran), et le calibre (le mouvement micromécanique qui va animer les affichages et les fonctions de la montre). La moindre rayure, le moindre cil ou grain de poussière sur le cadran ou le mouvement, et l’horloger doit tout démonter, nettoyer et recontrôler ! Et ceci n’est pas un caprice esthétique. En effet, mécaniquement, le moindre corps étranger ou frottement dans le mouvement peut entraîner une perte de chronométrie du calibre qui a été pensé en amont à l’aide d’équations complexes et de connaissances en physique sur les matériaux (résistance, tribologie : science des frottements, etc). Rien ne peut venir perturber la perfection mécanique requise en construction horlogère.
Alors présentées ainsi, on penserait en effet que la joaillerie et l’horlogerie seraient deux mondes très différents. Mais l’usage de pierres et de métaux précieux, le soin et la minutie du travail, la quête de la beauté, la présence continue de ces deux activités dans l’histoire de l’humanité (parce que oui, l’histoire de l’horlogerie remonte aussi à la période paléolithique !), l’apparition des grandes manufactures et des maisons, la passion des artisans transmise aux collectionneurs, tous ces paramètres rassemblent pour moi la joaillerie et l’horlogerie au sein d’une même et grande famille. Et il n’y a rien de plus beau que les montres-joaillières pour le prouver !
D’ailleurs vous m’avez croisé dans les couloirs du récent salon joaillier GemGenève ce mois-ci.
La montre Iris Alt. Photo : Business Montres
7- Alors que la joaillerie est désormais très concernée par l’éthique, qu’en est-il pour l’horlogerie ?
Comme la joaillerie, l’horlogerie aussi a pris conscience de l’importance de la mise en place de chaînes d’approvisionnement mieux maîtrisées. Alors que le scandale des ‘diamants de conflit’ a conduit à la création du Kimberley Process en 2000, des initiatives similaires ont vu le jour peu de temps après en ce qui concerne le minage des métaux précieux, comme le label Fairmined, créé en 2004.
Personnellement, je n’ai été confronté pour la première fois à la question sur l’éthique qu’en 2016. Je représentais une marque horlogère indépendante à la Foire de Bâle. Une dame entra sur le stand et sa première question fut : « Monsieur, savez-vous d’où provient l’or utilisé pour la fabrication de vos montres ? » Voyant que j’étais incapable de lui répondre, elle m’expliqua qu’elle faisait la promotion d’or miné de manière éthique et écoresponsable comme solution alternative d’approvisionnement. Aujourd’hui nous ne sommes encore qu’aux prémices d’un tel projet qui se veut ambitieux, mais une maison comme Chopard utilise déjà de l’or éthique et durable pour certains modèles iconiques de ses collections, et également pour la Palme d’Or qu’elle produit chaque année pour le Festival de Cannes.
À une toute autre échelle, je découvre de plus en plus de projets de fournisseurs de composants horlogers dont la philosophie est de proposer des matériaux éthiques ou recyclés, comme j’ai pu m’en rendre compte lors du dernier salon de l’EPHJ (Environnement Professionnel Horlogerie-Joaillerie), consacré au monde de la haute précision, qui s’est tenu à Genève en juin dernier.
J’ai par ailleurs eu la chance de participer avec des élèves à une mission d’accompagnement du projet horloger Iris Alt. lancé par Valérie Minassian. Valérie a imaginé une nouvelle montre féminine (les derniers prototypes viennent d’être réalisés) qui se veut attentive à l’environnement et aux personnes, créée en acier inoxydable recyclé à 100%, sertie de diamants de synthèse (je sais que ceci est un vaste sujet de débat pour les amoureux des gemmes), montée sur un bracelet en cuir marin fabriqué à partir de peaux de poisson issues de l’industrie agroalimentaire, et dont le cadran est entièrement réalisé en ZEP 15.10 (un alliage fabriqué à partir des cendres de sacs poubelle).
Maintenant les maisons horlogères et les groupes sont également de plus en plus sensibles et vigilants en ce qui concerne les questions éthiques, comme le prouvent les programmes RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) mis en avant sur leurs différents sites. Je constate donc que l’horlogerie aussi est désormais concernée par ce sujet.
8- La joaillerie fait face actuellement à un vrai « boum » de son économie et manque cruellement de mains qualifiées (en tout cas en France), qu’en est-il pour l’horlogerie ?
Je n’ai pas une vision aussi globale de l’ensemble des ateliers de l’industrie horlogère suisse, mais à ma connaissance je n’ai jamais entendu parler d’une quelconque pénurie de mains qualifiées de ce côté du Jura actuellement. Je rencontre souvent des jeunes ayant suivi des formations d’opérateur ou d’horloger qui cherchent des postes au sein d’un atelier. J’en déduis donc que la main d’œuvre qualifiée est bien présente maintenant. Néanmoins, un récent rapport publié par la Convention patronale de l’industrie horlogère indique l’importance de former et de recruter du jeune personnel qualifié pour pallier les nombreux départs à la retraire à venir et faire face aux nouveaux besoins croissants de ce secteur.
Il faut bien comprendre que l’horlogerie est vraiment un porte-étendard des industries de la Confédération Suisse. D’ailleurs lors de la crise du quartz à la fin des années 1970, lorsque les montres électroniques asiatiques ont envahi le marché horloger mondial et que le nombre d’employés horlogers en Suisse a baissé de 89’000 à 33’000, ce sont d’abord le gouvernement suisse et les banques suisses qui sont intervenus pour renflouer l’industrie, brillamment relevée ensuite grâce aux actions visionnaires de Nicolas G. Hayek (avec la création de la montre Swatch et du premier grand groupe horloger de l’histoire) et de Jean-Claude Biver (avec la relance de la belle horlogerie traditionnelle).
Je pense donc que l’horlogerie suisse se prépare bien pour faire face à la demande de son économie florissante.
Audemars Piguet, Royal Oak référence Ref. 15510ST.OO.1320ST.01. Photo : Audemars Piguet
9- De votre point de vue, quels sont les grands enjeux de l’industrie horlogère ?
Mécaniquement parlant, la conception horlogère relève d’un défi constant entre « sales gosses » (je dis cela avec beaucoup d’affection). C’est la course à qui proposera la montre la plus plate, la plus grande, la plus petite, la plus légère, la plus chère, la plus simple, la plus compliquée, la plus futuriste, la plus innovante, la mieux décorée. Donc mécaniquement, nous allons continuer à découvrir des merveilles, j’en suis convaincu.
En ce qui concerne l’industrie, on assiste de plus en plus à une scission entre les marques dont les modèles sont très convoités (Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet, Richard Mille notamment), les horlogers indépendants, et le reste du marché. En effet, les réseaux sociaux et l’ascension des crypto-monnaies ont créé une hypertrophie de l’intérêt pour certains modèles, entraînant une demande qui est confrontée à une capacité de production limitée (en horlogerie on fait les choses bien et avec minutie), ou aussi à une volonté économique de rendre un produit rare pour lui conserver un caractère exclusif. En conséquence de ce déséquilibre demande-offre, certaines montres suisses se sont transformées en objets de valeur spéculatifs, achetées pour n’être jamais portées mais acquises par des « flippers » dans le seul but d’être revendues de manière profitable, au détriment d’autres modèles et d’autres marques.
Dans certaines boutiques un client n’ayant pas d’historique avec la maison horlogère ne peut prétendre à aucun achat. Si d’aventure le collectionneur est mieux introduit auprès de la marque, il peut éventuellement être inscrit sur une liste d’attente, de cinq à douze années, au terme d’un « entretien d’embauche » (aujourd’hui on parle de plus en plus de ‘recrutement client’ en stratégie marketing et commerciale). Et l’on parle même à présent d’une maison horlogère qui demande aux clients de rédiger une lettre de motivation pour accéder au graal suprême d’être inscrit sur la très convoitée liste d’attente ! (Alors je vous vois me juger du coin de l’œil : oui je suis du Midi et j’ai tendance à tout exagérer, mais le coup de la lettre de motivation, c’est véridique !).
Dernièrement j’ai même lu sur un réseau social le témoignage d’un très grand collectionneur de montres en visite à Genève qui s’est vu refuser depuis le pas de la porte l’accès d’une boutique de marque, parce qu’il n’y avait rien que l’on pût lui montrer avant six à huit semaines. Imaginez son désappointement, et ce que pense maintenant ce collectionneur influent de la maison en question qui ne l’a même pas reçu… Certes, certaines maisons horlogères sont assaillies de demandes, mais j’estime que l’on a atteint un point critique qui péjore l’image de quelques maisons dans l’industrie. L’horlogerie n’est pas snob et ne s’adresse pas seulement à une élite avertie.
L’un des prix du dernier GPHG : la montre Grönefeld 1941 Grönograaf qui a remporté le Prix de la Montre Chronographe. Photo : Antoine Géraud
10- Que diriez-vous à une personne hermétique aux montres pour les lui faire aimer et porter ? (Genre moi, je n’en porte pas, je trouve ça lourd, encombrant et les modèles qui me plaisent sont hors de prix)
Pour s’intéresser à l’horlogerie il n’est pas nécessaire de tomber dedans quand on est petit comme Obélix dans la potion magique, j’en suis l’exemple.
Pour moi la meilleure façon de faire aimer l’horlogerie est de partager ce qui se passe dans les ateliers. Voir l’horloger à l’établi, discuter avec les artisans (on dénombre plus de 40 métiers différents pour produire une montre : estampeur, angleur, polisseur, etc.) sont le meilleur moyen d’apprécier à sa juste valeur la gageure qu’est la création d’une pièce horlogère. Ce sont les personnes qui œuvrent dans les manufactures qui parlent le mieux d’horlogerie, pas moi, pas les vendeurs, pas même les CEO de ces maisons horlogères.
Et en horlogerie il y a plein de catégories de montres, comme vient de le souligner le GPHG (Grand Prix de l’Horlogerie de Genève) qui décerne chaque année en novembre les prix pour la meilleure montre pour homme, la meilleure complication pour dames, la meilleure montre à tourbillon, etc. Avec autant de diversité, comment ne pas trouver une montre qui trouverait grâce à votre poignet ?
Alors oui évidemment, et comme vous le faites remarquer, on aime aussi parfois des modèles qui sont financièrement trop chers et trop exclusifs. Mais si on pouvait tout s’offrir en un claquement de doigts il n’y aurait plus de plaisir ! Personnellement, comme j’ai la chance d’être à Genève où se tiennent de grandes ventes aux enchères de montres, je profite des expositions avant-ventes pour aller admirer et essayer des modèles auxquels je n’aurais pas accès en boutique. Si vous le souhaitez, vous m’accompagnerez la prochaine fois.
Par contre en ce qui concerne les montres qui plaisent beaucoup, comme il existe des copies malheureusement de mieux en mieux faites de ces modèles iconiques, là je suis intransigeant : ou on porte une vraie montre au poignet (fruit d’années de développement et d’heures de travail en atelier), ou on n’en porte pas. Mais céder à la tentation d’une copie est pour moi inadmissible
(1) La montre Breguet 160 fabriquée pour Marie-Antoinette. Photo : Swatch Group. (2) L’article du Daily Mail illustrant Mercedes Gleitze lorsqu’elle traversa la Manche à la nage en 1927 (3&4) Santos-Dumont dans son avion et avec la montre créée par la maison Cartier (photo 4 issue de Saffronart Blog). (5) La montre fabriquée pour George III par Breguet. Photo : gov.uk. (6) Portrait de George III par Alan Ramsay 1762.
11- Connaissez-vous des histoires de montres ? A l’instar du bijou et des pierres où on trouve toutes les anecdotes possibles, des plus clinquantes aux plus improbables, est-ce que les montres ont leurs histoires ?
Bien sûr que les montres ont aussi leurs histoires ! Mais de combien de temps disposez-vous ? Je suis bavard, vous savez…
Je pourrais vous parler de la montre numéro 160 créée par Abraham-Louis Breguet en personne pour la reine Marie-Antoinette (aucun des deux ne la vit terminée, l’un à cause de l’âge, l’autre à cause de la Révolution), montre qui fut dérobée dans un musée en 1983, à la suite de quoi la maison Breguet se décida à en produire une réplique (la numéro 1160), et au même moment la montre originelle réapparut.
Je pourrais vous parler aussi de la montre que Hans Wilsdorf, fondateur de Rolex, plaça au cou de Mercedes Gleitze lorsqu’elle traversa la Manche à la nage en 1927, afin de profiter de cet exploit sportif pour prouver l’étanchéité de son boîtier Oyster.
Je pourrais vous parler également de l’extravagant dandy brésilien Alberto Santos-Dumont, féru d’aviation, pour lequel son ami Louis Cartier dessina la première montre-bracelet pour homme de la maison, la célèbre Santos, afin de lui permettre de lire l’heure à son poignet pour ne pas avoir à la lire sur une montre de poche, ce qui lui faisait lâcher les commandes de son aéronef lorsqu’il pilotait.
Mais je vais plutôt vous parler d’une montre qui a récemment agité l’opinion des anglais amateurs d’horlogerie. Lors des campagnes napoléoniennes, l’Europe était divisée par un embargo qui isolait les îles britanniques. Le roi George III d’Angleterre, grand amateur de belle horlogerie, fit commander à Abraham-Louis Breguet à Paris une montre de poche à régulateur à tourbillon, sa toute nouvelle création mécanique, une complication horlogère permettant de compenser et réduire les effets de la gravité terrestre sur le mouvement. Alors qu’il était interdit de commercer avec la perfide Albion, Breguet créa la montre en 1808 sous le numéro de manufacture 1297, comme le répertorient les registres historiques de la maison. Mais au lieu de porter la signature Breguet et le poinçon de son boîtier Tavernier (fabricant de boîtier de montre), la montre fut signée Recordon, qui n’était autre que le correspondant londonien de Breguet par lequel la commande royale était alors arrivée en France, et sur laquelle on avait apposé le poinçon de Comtesse, le boîtier de ce dernier, établi à Soho. On suppose que le roi George était bien entendu au fait de la provenance de cette pièce exceptionnelle, qui porte d’ailleurs une minuscule mention Breguet gravée dans le mouvement, sur la cage du tourbillon. En 2020 cette montre historique a été vendue aux enchères à Londres par la maison Sotheby’s à un collectionneur étranger, pour un montant de £ 1’575’000, et maintenant un collectif de passionnés tente de rassembler des fonds pour rembourser l’acquéreur de cette pièce horlogère exceptionnelle, bloquée pour le moment sur le territoire britannique car en attente de son certificat d’exportation, afin de la conserver dans les collections du royaume.
12- Quel serait pour vous le livre à lire ou le documentaire à regarder pour commencer à s’initier à l’horlogerie ?
Nous avons de très beaux musées horlogers en Suisse (entres autres le Patek Philippe Museum à Genève, le Musée Atelier Audemars Piguet au Brassus, le Musée International d’Horlogerie à la Chaux-de-Fonds, le Musée d’Horlogerie du Locle, ou bien le Musée Omega à Bienne). Mais il est peut-être préférable de commencer une première initiation par la lecture d’un ouvrage comme « Théorie d’Horlogerie » par Reymondin, Monnier, Jeanneret et Pelaratti (traduit dans de nombreuses langues) pour appréhender le calibre horloger et son fonctionnement. Tous les horlogers que je connais ont ce livre dans leur bibliothèque.
Ensuite, même s’il est un peu plus pointu d’un point de vue technique, « L’art de Breguet » par l’horloger George Daniels est une autre bible horlogère qu’il faut avoir consultée.
Enfin, vous pouvez trouver de très beaux livres monographiques sur telle ou telle maison horlogère : « Patek Philippe : la biographie autorisée » par Nicholas Foulkes, « Royal Oak – Audemars Piguet » par Martin Wehrli, « Cartier – La montre Tank » par Franco Cologni, de nombreux ouvrages sur Rolex, pour n’en citer que quelques-uns.
Personnellement je préfère les livres aux documentaires, mais de nombreux blogueurs de qualité proposent également leur plateforme sur internet et le gram (@horology_ancienne, @thewatchestv, @the_vintage_lounge, @repeticiondeminutos, @sjxwatches par exemple). Et là on assiste parfois à des querelles de points de vue entre puristes et…puristes, selon la chapelle de chacun.
(1) Durant la Dubaï Watch Week en 2017. (2) A la gare à Taichung, Taïwan, après un événement en 2014. Photos : Antoine Géraud
13- Avez-vous une anecdote à nous raconter sur votre parcours ? Une histoire qui vous aurait marqué ces dernières années ?
J’ai eu la chance de représenter l’horlogerie suisse dans plus d’une vingtaine de pays, essentiellement en Asie, et chacun de ces très nombreux déplacements est un souvenir merveilleux.
Il y a eu bien sûr des épisodes avec des imprévus, comme la fois où le peintre miniaturiste sur cadran qui m’accompagnait à Taïwan a été retenu à l’arrivée par les autorités de l’air et des frontières de l’aéroport, parce que son passeport était périmé depuis trois semaines. Après plus de six heures de négociation et d’appels aux ambassades et aux chambres de commerces, ce dernier dut faire immédiatement demi-tour seul vers l’Europe, me confiant son binoculaire, des cadrans de montre de démonstration, et son matériel (pigments, pinceaux, etc.) alors qu’il était la raison de notre événement sur place le lendemain. Ce jour-là il me fallut me substituer à lui pour animer la soirée, et comme la « loi de Murphy » avait décidé du non-alignement des astres pour moi, les organisateurs avaient placé une caméra sur l’établi pour montrer le plan de travail en très grand sur un écran géant placé juste derrière ma chaise. Durant tout le cocktail j’ai tenté en vain, sous les regards curieux des invités, de faire bonne figure et de peindre des moustaches à un tigre, qu’il me fallait immédiatement effacer à la térébenthine au vu de mon piètre talent. Les sempiternelles remarques de mon professeur de dessin du collège résonnaient alors : « C’est pas beau ça Géraud ! ». Aujourd’hui ce peintre miniaturiste et moi sommes toujours amis, et nous en rions encore !
Un autre moment qui m’a marqué a été un rendez-vous avec un très important retailer (revendeur multimarques) à Tokyo, dans sa petite boutique éponyme du quartier de Shinjuku. Je proposais une montre à répétition minutes, une de mes complications horlogères préférées qui consiste en un système permettant de faire sonner à la demande l’heure qu’il est (heures, quarts et minutes après le dernier quart) à l’aide de timbres en forme de cercle placés autour du mouvement. Et pour bien « écouter » la montre que je proposais, le propriétaire de la boutique avait demandé à son équipe de vente de nous porter trois autres répétitions minutes de trois autres maisons différentes, pour les comparer à celle que je présentais. Nous les avons écoutées et réécoutées l’une après l’autre, placées à plat en équilibre sur une feuille de papier tenue à la main pour amplifier le son des gongs. S’en est suivie une discussion sur la construction des répétitions et de la manière permettant d’en améliorer techniquement le résultat. Ce fut une très belle leçon d’horlogerie ponctuée par une belle vente.
Au-delà de ces anecdotes, j’ai eu la chance de rencontrer de grands collectionneurs, et de grands horlogers aussi, comme le très apprécié Philippe Dufour dont je retiens la bienveillance et la modestie.
Extrait d’un cours d’Antoine Géraud sur la montre Tank de Cartier. Photo: Antoine Géraud
14- Depuis plusieurs années vous enseignez autour de l’horlogerie. Qu’est-ce que vous aimez dans cette facette de votre vie pro ?
Enseigner et partager un sujet qui me passionne est un vrai plaisir. Il doit y avoir bien sûr une part d’égoïsme au départ, lorsque je fais mes recherches et que je travaille sur l’ordonnancement de mes idées. Notamment car je continue de découvrir sans cesse de nouvelles informations qui construisent ma réflexion et mon propos. Mais c’est surtout la transmission qui me motive, comme lorsque je dispensais des formations produits en rendant visite à mes marchés sur la planète.
J’ai aussi eu la chance d’accueillir de nombreux professionnels de l’industrie dans le cadre de diverses interventions que j’ai organisées en école, et de redevenir moi-même un élève à l’écoute de leur savoir et de leur expérience. Je me souviens particulièrement de la rencontre avec Anita Porchet venue nous parler de l’art de l’émail grand-feu artisanal manufacturé. Madame Porchet avait apporté des échantillons de verres de couleur, des palettes, du matériel et des cadrans en cours de préparation. Nous avons tous été fascinés par son travail, son talent et les œuvres d’art que nous avons pu admirer ce jour-là. Je garde un très bon souvenir de ce beau moment, et c’est pour cela que j’aime l’enseignement.
15- Quel regard portez-vous sur l’industrie et son devenir ?
L’industrie horlogère est un monde très varié, composé par les maisons des grands groupes, les indépendants, les fournisseurs de composants, les professionnels de la communication, les collectionneurs, les blogueurs. Alors bien sûr qu’il y a des intérêts financiers, des enjeux, des stratégies, des querelles, des petits clubs en interne et de l’entre-soi. Mais toutes ces facettes participent au microcosme qu’est le monde de l’horlogerie, et je le regarde avec sympathie.
Quant à son devenir, je n’ai aucune inquiétude. La notion du temps, de sa mesure et de son passage, fascinent l’être humain depuis la nuit des temps. Et même si aujourd’hui on connaît facilement l’heure grâce à son téléphone mobile, au tableau de bord de sa voiture ou à la façade du four dans sa cuisine, l’horlogerie mécanique perdurera car sa poésie permet d’admirer le temps qui nous échappe et qui fuit. Tic toc, tic toc !
Patek Philippe calendrier perpétuel et chronographe ref.1518, signé Cartier (1945) vendu CHF 2’214’000 chez Christie’s Genève en nov 22. Photo : Antoine Géraud.
16- Les ventes de montres aux enchères sont bien connues avec de grands noms qui reviennent régulièrement. Mais faut-il s’attendre à des surprises en termes de cotation dans les années à venir ?
Comme vous le dites si justement, de grands noms reviennent régulièrement dans les catalogues de vente aux enchères (Patek Philippe et Rolex représentent 75% des lots proposés en moyenne). Cela est principalement dû à la difficulté de pouvoir acheter les collections de ces maisons directement en boutique, ce qui entraîne un engouement pour ces modèles sur le marché de la deuxième-main. Comme pour le marché des œuvres d’art, seules les pièces exceptionnelles ou les références iconiques atteignent des prix au-delà supérieurs aux fourchettes estimatives, quand le reste des montres proposées se vend à des valeurs plus raisonnables.
Je ne suis cependant pas suffisamment spécialiste de ce marché pour affirmer quelles sont les tendances à venir, mais il est certain que l’on doit s’attendre à de nouvelles surprises, tant en ce qui concerne les résultats que l’intérêt à venir pour de nouvelles références.
(1) Montre Furlan Marri « Mare Blu ». Photo : Furlan Marri. (2) Montre « Tank » Louis Cartier. Photo : source inconnue. (3) Montre « H1 – Flying Central » de Haldimann. Photo : Haldimann. (4) Montre Krayon « Anywhere Métiers d’Art ». Photo : Krayon
17- Quelle est votre maison préférée et pourquoi ?
Je craignais que vous me posiez cette question, et c’est là que j’aurais aimé opposer mon deuxième Joker !
En horlogerie on aime certaines montres pour leur design, d’autres pour la bonne façon de leur calibre, pour leurs complications mécaniques, ou aussi parfois juste pour le créateur horloger qui orchestre en coulisse. Je vais donc vous donner une réponse de normand en ne répondant pas directement à votre question, mais en listant plusieurs montres, à la Prévert.
Une montre design : Si vous cherchez une montre avec un style vintage, regardez du côté des collections proposées par Furlan Marri. Elles sont élégantes, intemporelles et accessibles en termes de prix.
Une montre de forme : La maison Cartier excelle dans les montres de forme, et parmi toutes celles proposées par cette maison historique, mon modèle préféré est la montre Tank, la version classique, avec le boîtier Louis Cartier. (Et en parlant de Cartier, je ne peux pas ne pas évoquer la sublime montre Crash de 1967 qui est très convoitée aujourd’hui dès lors qu’un exemplaire est proposé en ventes aux enchères.)
Une montre tourbillon : Sans hésiter, je cite ici la « H1 – Flying Central » par Haldimann. Il s’agit d’une montre bracelet dont le boîtier mesure 39mm de diamètre, avec un tourbillon au centre du cadran. Les proportions de ce modèle sont parfaites.
Une montre compliquée : J’adore la montre « Anywhere Métiers d’Art » proposée par la manufacture Krayon. Ce garde-temps permet grâce à sa fonction éphéméride d’indiquer tous les jours de l’année les heures des levers et couchers du soleil en fonction d’un lieu où que ce soit dans le monde, et ce de manière entièrement mécanique !
Une montre de rêve : Ce serait une montre de 38mm de diamètre en or gris avec un cadran guilloché bleu, un module Heure Universelle affichant les 24 fuseaux horaires, inspiré de celui créé dans les années 1930 par Louis Cottier, couplé à une répétition minutes…
M. Hervé Schluchter. Photo : copyright @madeinbienne
18- Existe-t-il de jeunes maisons prometteuses qui émergent sur le marché ? Lesquelles faut-il suivre attentivement ?
Alors vous veniez juste de me poser une question au singulier et j’y ai répondu au pluriel, et bien ici votre question est au pluriel et je vais y répondre au singulier (esprit de contradiction oblige).
Pour moi, le créateur horloger le plus prometteur est sans hésiter mon ami Hervé Schlüchter, qui a créé son propre atelier horloger à Bienne. Et je ne parle pas de lui ici juste parce que nous sommes amis. Hervé est objectivement un très grand et très prometteur créateur horloger.
Tout au long de sa déjà très longue carrière Hervé a créé de sublimes montres, notamment une pièce astronomique d’exception : l’Astérium. Aujourd’hui, l’univers d’Hervé allie poétiquement l’extrêmement grand, en s’inspirant des événements célestes, avec la notion du temps qui passe à l’intime échelle du porteur de la montre. J’ai eu la chance de découvrir de nombreux projets extraordinaires et innovants, très avancés, qu’il a imaginés, mais pour raison de confidentialité je ne peux les partager avec vous ici.
Et tout ceci est conçu à partir de composants qu’il façonne et manufacture sur d’anciennes machines-outils artisanales, acquises avec passion dans le but de préserver la haute horlogerie traditionnelle, comme au temps des fondateurs des grandes maisons horlogères historiques que nous connaissons aujourd’hui. Si je comparais Hervé à un créateur joaillier en fonction de ma modeste connaissance du monde du bijou, son projet créatif se rapprocherait de celui d’Emmanuel Tarpin par exemple, pour vous donner une meilleure idée.
19- Enfin, quels conseils donneriez-vous à un jeune qui veut travailler dans ce secteur ? Dans quoi s’orienter ? Que choisir comme voie ?
Les métiers du secteur et de l’industrie sont très variés. Je vais donc passer rapidement sur les activités commerciales et de marketing qui peuvent être abordées dans des programmes consacrés au Management du Luxe, comme celui proposé par exemple par l’école CREA à Genève.
Mais je sais que vous êtes passionnée par l’artisanat, et je devine le fond de votre pensée avec cette question. Comme je vous l’ai déjà dit, pour vraiment simplifier, il y a deux pôles de travail principaux en horlogerie : l’habillage et la construction micromécanique. Je pense qu’il y a déjà un choix à faire entre ces deux secteurs.
Si c’est l’horlogerie pure à l’établi qui vous tente, les écoles d’horlogerie en Suisse et en France sont des passages obligés pour se former et faire ses preuves.
Si par contre vous montrez plus d’appétence pour les métiers de la décoration (émaillage, guillochage, gravure, sertissage, etc.), il y a alors d’autres formations dispensées dans des écoles, notamment dans le Jura bernois, qui peuvent ensuite être complétées par des apprentissages en atelier ou en maison.
Quoiqu’il en soit, une personne qui se lance dans la carrière des métiers de production horlogère sera tout le temps en apprentissage. Des horlogers confirmés et reconnus continuent de se former à des techniques complémentaires à leur savoir-faire, ou développent de nouvelles techniques pour pousser un peu plus loin les limites de leur métier.
Le luxe et l’horlogerie affichent un regain d’intérêt croissant sur les marchés à la suite de la pandémie que nous avons traversée, et je ne peux qu’encourager les vocations dans cette très belle industrie.
A bientôt !