Isabelle Reyjal, enseignante en gemmologie

Mai 26, 2016

Je reviens ce jour avec un nouveau portrait dans l’univers de la joaillerie. Isabelle Reyjal a gentiment accepté de me raconter sa vie professionnelle et son parcours entre services de douanes et gemmologie. Je la remercie infiniment et j’espère que, comme moi, vous aurez autant de plaisir à le découvrir. Bonne lecture !

Fig 15

Émeraude de Madagascar et perles d’eau douces de Chines lors du salon de Sainte-Marie-aux-Mines 2015. Photo : Constance Chabrol

1-Pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Je m’appelle Isabelle et je suis âgée de 53 ans. Je vis à Paris, je suis gemmologue et enseignante en gemmologie.

2-Quel métier vouliez-vous faire étant petite ?

Je n’avais pas vraiment d’idée préconçue, mais je souhaitais faire quelque chose en rapport avec la langue française. Petite fille, je voulais écrire des livres pour enfants ; plus tard j’ai désiré devenir journaliste, parcourir le monde et rédiger des articles. Rien de tout cela ne s’est réalisé.

3-Et finalement, quel est votre métier actuel ?

Je travaille à la douane. Ma plume m’y est assez utile, mais pas pour les usages que j’aurais imaginé.

4-Comment êtes-vous arrivée à ce poste ? Racontez-nous votre parcours professionnel.

J’ai fait des études de lettres classiques que j’ai beaucoup aimées, qui m’ont amenée jusqu’à la maîtrise, mais très vite j’ai eu le désir d’acquérir mon indépendance financière. Je souhaitais alors rester dans ma région d’origine, la Corrèze, aussi ai-je passé le concours de l’École Normale d’Instituteurs, qui était alors local. L’enseignement ne me déplaisait pas, mais je n’étais pas vraiment faite pour le contact avec les jeunes enfants ; j’ai cherché autre chose en urgence, et j’ai passé un concours dans l’administration des Finances, qui m’a fait atterrir à Paris en première affectation ; je m’y suis fixée, contrairement à mes projets de départ.

5-Quand avez-vous entendu parler pour la première fois de la gemmologie et pourquoi avoir finalement décidé de l’étudier et d’en faire en partie votre profession ?

Enfant, j’éprouvais déjà une fascination pour les pierres ; je ne saurais dire pourquoi, rien ni personne dans ma famille ou mon milieu ne m’y prédisposait. Je me souviens d’avoir passé de longues heures à lire et relire, dans l’encyclopédie familiale, les pages consacrées aux pierres précieuses ; je scrutais les planches de photos en couleurs, j’apprenais par cœur le nom des gemmes ; mais tout cela restait très virtuel car je n’avais aucune vraie pierre à regarder à la maison ! Donc cet intérêt est resté enfoui et dormant durant de longues années.

En 1984, j’avais vingt-deux ans, j’ai eu l’occasion de faire un voyage au Sri Lanka, qui a réveillé cette passion sommeillante ; toutes ces pierres que je voyais dans les bijouteries locales m’ont fait entrevoir un univers fascinant et magique. Je n’y connaissais rien du tout encore…

6-Et quel parcours spécifiquement lié à la joaillerie et à la gemmologie avez-vous suivi ?

Deux ans après ce voyage, je me suis donc installée à Paris. J’ai assez vite connu l’existence de l’Institut National de Gemmologie, mais mon salaire de l’époque ne me permettait pas d’envisager cette formation. Il m’a fallu encore attendre encore une dizaine d’années. En 1993, j’ai franchi le pas ; j’ai sacrifié mon budget vacances pour m’inscrire aux cours du soir hebdomadaires. J’ai su tout de suite que ce serait une histoire au long cours !

Quatre ans plus tard, j’avais terminé mon cursus de base à l’ING, et je me suis creusé la cervelle pour savoir ce que je pourrais bien en faire ; il était hors de question que l’aventure s’arrête là. J’ai cherché au sein du ministère des Finances un service où ma qualification de gemmologue pourrait être utile. J’ai trouvé un bureau de douane à Paris, spécialisé sur le dédouanement des pierres précieuses. J’ai fait des pieds et des mains pour obtenir un détachement dans ce bureau, et je l’ai eu.

Ce fut une expérience formidable, qui m’a permis de mettre en pratique mes connaissances et de me former l’œil d’une manière incomparable. Mon travail consistait à vérifier la conformité des marchandises exportées ou importées avec les factures présentées, et à m’assurer que les diverses réglementations douanières étaient respectées. Toute la journée, des gemmes, des perles et des bijoux défilaient sur mon bureau, des plus humbles aux plus éblouissants joyaux. Nous ne travaillions qu’avec les professionnels. J’ai pu ainsi connaître le milieu des joailliers et des négociants de gemmes, donc certains sont restés des amis.

Mais en douane, la variété des métiers et le jeu des promotions font qu’on reste rarement à un même poste toute une carrière ; j’ai quitté ce service après quelques années pour explorer d’autres fonctions sans aucun rapport.

Entre temps, j’avais continué à me former à l’ING sur des modules complémentaires : diamant, pierres décoratives, brevet européen. Le jour de la remise des diplômes de la FEEG, le directeur de l’ING est venu me demander si j’aimerais intégrer l’équipe enseignante. Je ne m’y attendais pas du tout, et ce fut une grande joie. En 2000, j’ai commencé à donner quelques cours du soir de gemmologie à l’ING, après mon travail en journée pour mon administration. Le contact avec des élèves adultes, de toutes origines professionnelles mais partageant la même passion et le même désir d’apprendre, m’a tout de suite plu.

7-Avez-vous de la famille dans ce métier ?

Strictement personne !

8-Que préférez-vous dans votre métier ?

J’aime zapper d’un univers à l’autre, passer sans transition de mon métier de journée à l’enseignement de la gemmologie en soirée. Les élèves qui viennent chaque semaine, après leur travail , font un effort sur leur vie privée que j’ai connu et que je partage avec eux ; leur motivation et leur sérieux me donnent envie de leur donner le meilleur ; il se tisse de vrais liens qui vont bien au delà du simple rapport élève-enseignant. Et j’apprécie aussi l’ambiance dans les groupes, et les relations qui se nouent entre des personnes qui viennent de milieux très différents et ne se seraient sans doute jamais rencontrées sans cet amour commun des pierres ; certains apprenants sont déjà dans la profession, d’autres rêvent d’y entrer, d’autres pratiquent cette activité pour le plaisir pur ; tout cela se mélange de manière très complémentaire et riche.

9-Vous êtes aussi auteur pour la revue AFG, vous avez aussi publié récemment un recueil de nouvelles. A quel moment avez-vous eu envie d’écrire et pourquoi ?

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours écrit, d’une manière ou d’une autre. Je n’ai évidemment pas le bagage universitaire me permettant de rédiger des articles scientifiques de fond ; la revue de l’AFG m’a permis à plusieurs reprises d’aborder les gemmes sous un angle très différent, notamment en traquant leur emploi dans la littérature classique. Les nouvelles récemment publiées sont un autre développement de cette recherche. Marier les gemmes à l’écriture, je n’aurais évidemment pas pu rêver mieux dans mon parcours de vie.

10-Ce métier regorge d’histoires et d’anecdotes. Vous en avez forcément une ou deux à nous raconter ?

Je me rappelle une pierre qui m’a marquée, au service des douanes. C’était un gros et magnifique spinelle rouge qui arrivait d’une prestigieuse adresse new-yorkaise pour être monté dans les ateliers d’une non moins prestigieuse maison parisienne. La pierre était splendide, et question valeur, alignait pas mal de zéros derrière le premier chiffre. Toutes les analyses concordaient avec le spinelle, sauf le polariscope qui s’obstinait à faire quart de tour, ce qui me turlupinait. Je m’escrimais donc à observer cette pierre, au grand dam de l’importateur, pressé de la récupérer et qui ne comprenait pas pourquoi je m’attardais à la regarder sous toutes les coutures. A la fin, sous la binoculaire, j’ai fini par repérer une démarcation extrêmement fine, quasi invisible, au niveau du feuilletis, et une lecture de la culasse au réfractomètre a confirmé mon subit soupçon : c’était un doublet spinelle naturel/corindon synthétique. Valeur réelle quasi nulle. Le joaillier n’en revenait pas !

11-Pour finir, quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui souhaitent rentrer dans ce métier et travailler au contact des gemmes ?

Comme tous les milieux attractifs, le monde des gemmes est extrêmement fermé ; si l’on n’a ni famille, ni fortune, ni relations bien placées pour y accéder, c’est évidemment plus compliqué. Une seule solution : être meilleur ou plus imaginatif que les autres dans ce qu’on veut faire, dont il faut avoir une idée précise. La compétition est rude, et les places sont chères. Je pense aussi qu’il ne faut pas avoir peur de commencer petitement et d’accepter les modestes tâches, si c’est un moyen de mettre un pied dans la porte. Après cela, si on est sérieux, obstiné, débrouillard, et qu’on rencontre les bonnes personnes, tous les espoirs sont permis.

À bientot !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.