Dans le secteur de la joaillerie, il y a deux entités bien distinctes : les marques et les ateliers qui fabriquent en interne comme en externe pour celles-ci. D’un coté, la reconnaissance et de l’autre la discrétion, la confidentialité et bien souvent le silence. A un point tel que la grande majorité des clients ignore que cinq, dix, voir parfois plus de quinze personnes sont intervenues sur un bijou exposé dans la vitrine d’un joaillier : dessinateur, infographiste, fondeur, joaillier, sertisseur, polisseur, graveur, fournisseur de pierres gemmes et diamants…etc. Ces « mains » ne sont que très rarement montrées au grand public et elles sont encore moins personnifiées. Vous ne saurez donc jamais que Paul, Aurelien, Vatché, Sarah, Aurore ou encore Antoine se cache derrière la pièce que vous vous apprêtez à acquérir. Et c’est finalement assez dommage.
Dessin de la bague / broche « Boa Constrictor » dans sa version finale. Réalisation par Frédéric Mané. Copyright : Frederic Mané, Marie Grimaud, Felix Albert, Victor Borel, Sylvain Cahuet, Yoann L’hostelier, Marie Oberlin, Jonathan Bauché, William Amor, L’Orchestre Joaillier
« La commande spéciale, des initiatives comme l’Orchestre Joaillier qui sont à l’initiative d’un groupe d’artisans sont des alternatives et une autre façon de communiquer sur des choses qui nous tiennent à cœur comme la mise en valeur de savoir-faire indissociables de la fabrication de belles pièces de joaillerie »
L’Orchestre Joaillier au grand complet. Copyright : Frederic Mané, Marie Grimaud, Felix Albert, Victor Borel, Sylvain Cahuet, Yoann L’hostelier, Marie Oberlin, Jonathan Bauché, William Amor, L’Orchestre Joaillier
C’est dans cette optique que l’Orchestre Joaillier a décidé de faire quelque peu évoluer les lignes en créant une bague dont les droits d’utilisation des visuels appartiennent à la totalité des artisans qui ont œuvré à sa conception depuis le dessin à la livraison finale. Une première et un acte audacieux qui permet à ces mains talentueuses de ne plus être simplement des exécutantes et d’obtenir une vraie reconnaissance. Un parti pris qui a donc toute sa place sur Le Gemmologue où je me bats pour faire parler et exister les hommes et les femmes qui – par leurs maitrises – permettent la réalisation des pièces que vous aurez plaisir à porter. Mais reprenons le fil de notre histoire, car à l’origine de ce projet, il y a aussi une collectionneuse suffisamment audacieuse pour permettre la concrétisation de celui-ci.
La bague / broche « Boa Constrictor ». Video et montage par Sylvain Cahuet. Copyright : Frederic Mané, Marie Grimaud, Felix Albert, Victor Borel, Sylvain Cahuet, Yoann L’hostelier, Marie Oberlin, Jonathan Bauché, William Amor, L’Orchestre Joaillier
La bague qui a servi la création et la révélation de l’Orchestre Joaillier se nomme « Boa Constrictor » et représente un serpent autour d’une fleur. La création de cette pièce entièrement modulable répond à une demande un peu particulière : transformer un ancien bijou de fiançailles et ainsi réaliser un bijou de « de-mariage » pour symboliser ce tournant particulièrement important de sa vie. Transformable en broche, cette pièce se compose de platine, d’or blanc, d’or jaune, d’or rose, d’or rhodié noir. S’ajoutent une émeraude, des rubis, des saphirs, des aigues-marines, des diamants blancs et noirs. Enfin, une partie des pétales sont émaillés avec la technique du Grand Feu. Vous l’aurez compris, une seule personne ne pouvait pas réaliser cela et il fallait bien plusieurs artisans confirmés pour mener à bien ce projet complexe. Justement qui sont donc ces mains mystérieuses ?
Emaillage des pétales par Marie Oberlin. Copyright : Frederic Mané, Marie Grimaud, Felix Albert, Victor Borel, Sylvain Cahuet, Yoann L’hostelier, Marie Oberlin, Jonathan Bauché, William Amor, L’Orchestre Joaillier
A l’origine de la transposition du projet en dessin, il y a Frédéric Mané. Designer en haute joaillerie et objets, il collabore depuis plus de quinze ans avec les grands noms de la Place Vendôme mais également avec quelques manufactures célèbres comme les Émaux de Longwy. Pour projeter le dessin en 3D, il a fallu le talent de Victor Borel, infographiste diplômé de l’École Boulle et de la rue du Louvre, il est également basé sur la Place. Pour la fabrication, il fallait bien un atelier avec une sacré dose de créativité et c’est donc, naturellement, que l’Atelier Miix a œuvré à celle-ci. Marie Grimaud et Felix Albert ont donc été chargé de la partie métal une fois la fonte effectuée. Le sertissage fut confié à Jonathan Bauché, lequel exerce son art depuis une dizaine d’année. Pour l’émail, il a fallu compter sur le talent de Marie Oberlin, émailleuse à la Monnaie de Paris et également professeur auprès de l’École des Arts Joailliers. La mise en scène de cette première création a trouvé toute sa réalité grâce à l’artiste plasticien William Amor, résident aux Ateliers de Paris et connue pour son travail autour des fleurs utilisant des matériaux de récupérations. Enfin, il fallait filmer et photographier. C’est le jeune vidéaste Sylvain Cahuet et le photographe Yoann L’hostelier qui ont su capter toutes les étapes de travail qui ont permis la réalisation de ce bijou objet assez impressionnant.
Travail sur le serpent par l’Atelier Miix et les joailliers Marie Grimaud et Felix Albert. Copyright : Frederic Mané, Marie Grimaud, Felix Albert, Victor Borel, Sylvain Cahuet, Yoann L’hostelier, Marie Oberlin, Jonathan Bauché, William Amor, L’Orchestre Joaillier
Si les différents ateliers et artisans cités dans cet article ont déjà été amenés à travailler ensemble ponctuellement, cette bague représente une première pièce collective avec l’implication de chacun dans son domaine précis de compétence.
« Si on veut une vraie belle pièce de joaillerie, il faut des savoir-faire différents et nous avons tous besoin les uns des autres. C’était passionnant de se challenger sur une pièce collective. D’un coup, tu n’est plus tout seul avec des sous-traitants mais tu travailles en équipe sans être dans le même atelier. A un moment, on sent une énergie incroyable à permettre à chacun de s’exprimer dans la réalisation de ses étapes de fabrication. «
Marie Grimaud – Atelier Mix
Positionnement de l’émeraude centrale avant serti par Jonathan Bauché. Copyright : Frederic Mané, Marie Grimaud, Felix Albert, Victor Borel, Sylvain Cahuet, Yoann L’hostelier, Marie Oberlin, Jonathan Bauché, William Amor, L’Orchestre Joaillier
Mais avant de développer des compétences techniques bien particulières, il a fallu apprendre ce métier et y entrer, souvent par une petite porte. Tous ont des raisons différentes et des expériences particulières mais à chaque fois le mot « passion » est revenu dans la bouche des intervenants du projet. « Le bijou permet de symboliser un événement et souvent de concrétiser un rêve » explique Frédéric Mané dont l’enfance dans le magasin de jouets de ses parents se dessine dans chacun de ses projets. « La joaillerie révèle la part d’enfant que nous avons tous en nous, il réveille des émotions en chacun de nous » ajoute Marie Grimaud. Rentrer en joaillerie, cela se fait aussi – parfois – par hasard « La joaillerie n’est pas le premier métier auquel on pense. Moi, c’est grâce à ma mère qui avait compris ma passion pour la sculpture et les Lego™ » ajoute l’infographiste du projet Victor Borel.
William Amor travaille sur les fleurs qui accompagneront les prises de vues finales de Yoann L’hostelier. Copyright : Frederic Mané, Marie Grimaud, Felix Albert, Victor Borel, Sylvain Cahuet, Yoann L’hostelier, Marie Oberlin, Jonathan Bauché, William Amor, L’Orchestre Joaillier
De la technique à la réalisation, il nous restait à parler des possibles problèmes techniques rencontrés par la création de cette pièce. Mais dans l’état d’esprit qui a accompagné la réalisation de ce bijou, ils furent finalement très peu nombreux. A cela, une raison : l’écoute et le respect des propositions des uns et des autres pour que les choses avancent de la manière la plus logique possible. « Il fallait prendre en compte l’avis de tous. Car une personne apporte toujours un supplément d’âme dont il faut tenir compte. Quand on n’accorde pas d’importance aux avis des intervenants, la pièce n’est pas belle et tous le monde se rejette la faute, ce n’est pas comme cela que nous voulons travailler » explique Frédéric Mané. Enfin, la technique se confond même parfois avec l’histoire de la pièce et sa genèse. « Ici, ce qui était enthousiasmant c’était d’avoir l’histoire de la pièce. A force de travailler dans les ateliers, l’histoire passe souvent après et on a juste un objet à livrer. Là, on avait une histoire à créer ensemble. Il m’a fallu créer le visage du serpent, lui donner sa personnalité. J’ai fait des propositions précises sur le sertissage de l’animal, de la fleur. C’était vraiment super d’être entendu dans mon expérience de sertisseur » ajoute Jonathan Bauché qui fut formé à Nicolas Flamel.
Travail sur les mises à jour par l’Atelier Miix et les joailliers Marie Grimaud et Felix Albert. Copyright : Frederic Mané, Marie Grimaud, Felix Albert, Victor Borel, Sylvain Cahuet, Yoann L’hostelier, Marie Oberlin, Jonathan Bauché, William Amor, L’Orchestre Joaillier
« Le serti, c’était finalement un peu accidentel. J’ai une formation de bijoutier mais après mon BMA j’ai voulu voir ce qu’était ce métier. Et j’ai été pris à mon propre piège, j’ai préférè le sertissage. Cela me rappelait l’enfance quand je collectionnais des pierres. Et puis, après mes études, je suis entré dans un excellent atelier. Avec ce métier, j’avais donc les deux : le métal, un peu, et les pierres, beaucoup ! »
Jonathan Bauché
Sertissage des diamants par Jonathan Bauché. Copyright : Frederic Mané, Marie Grimaud, Felix Albert, Victor Borel, Sylvain Cahuet, Yoann L’hostelier, Marie Oberlin, Jonathan Bauché, William Amor, L’Orchestre Joaillier
A l’arrivée, cette pièce de haute joaillerie – dont la fabrication collective est pleinement assumée – se révèle plutôt stupéfiante et remarquable dans sa démarche à la fois artistique et technique. Bien entendu, le travail de photographie et de vidéo apporte une réalité différente à ce bijou. Il ajoute une vie supplémentaire en donnant une trace physique. « Un bijou ne se filme absolument pas comme le reste. Filmer du tout petit demande de l’habilité sur l’éclairage par exemple. Il faut faire beaucoup d’essais pour trouver le bon angle et ainsi avoir la bonne prise qui sublimera l’objet » argumente Sylvain Cahuet qui a documenté toute la naissance du « Boa Constrictor ».
La bague « Boa Constrictor » et son univers floral. Travail sur le serpent par l’Atelier Mix et les joailliers Marie Grimaud et Felix Albert. The Atelier Mix is working on the snake. Copyright : Frederic Mané, Marie Grimaud, Felix Albert, Victor Borel, Sylvain Cahuet, Yoann L’hostelier, Marie Oberlin, Jonathan Bauché, William Amor, L’Orchestre Joaillier
La joaillerie devrait toujours se fabriquer de cette manière, en faisant appel à la quantité de savoir-faire qui sont disponibles dans notre industrie. Un jour, peut-être, les artisans sortiront complétement de l’ombre. C’est un souhait de plus en plus exprimé par la jeune génération. L’Orchestre Joaillier ouvre d’une très belle manière une option possible pour nombre de designers et de maisons. On souhaite voir ce mouvement s’amplifier car les « mains » de ce métier le méritent amplement et le concert ne fait que commencer !
À bientôt !