Si vous ne situez pas de prime abord l’Hôtel de Nocé, son adresse, en revanche, vous dira tout de lui. Élégamment construit au 26 de la Place Vendôme, il est l’écrin lumineux de la Maison Boucheron. Rouvert, depuis peu dans son intégralité, il aura fallu deux années de travaux pour lui redonner toute sa superbe. Un chantier impressionnant qui a nécessité d’importants travaux sur la structure et la présence de l’Architecte en chef des Monuments Historiques : M. Michel Goutal. Nous l’avons rencontré pour mieux comprendre les enjeux de cette restauration.
L’Hôtel de Nocé en 1914. On y voit les maisons Boucheron, Léontine, Linke et Yantorny qui se partagent à l’époque la totalité du bâtiment. La façade de la boutique Boucheron Place Vendôme est pavoisée pour la venue du roi d’Angleterre Georges V et de la Reine Mary. Photo : Boucheron
1- L’Hôtel de Nocé, une histoire mouvementée
Initialement, l’Hôtel est construit en 1717 pour Charles de Nocé qui lui donne son nom. Né en 1662 et décédé en 1739, il est surtout connu pour avoir été Maitre de la Garde Robe puis premier gentilhomme de la chambre du Duc Philippe D’Orléans. L’hôtel va être vendu une première fois en 1720, puis en 1722 et enfin en 1760 où Jean Cottin, Directeur de la Compagnie des Indes le rachète. L’anecdote est rigolote quand on connait les liens futurs qui vont unir la Maison Boucheron à l’Inde des Maharadjas (Je vous invite d’ailleurs à relire mon article sur ce sujet paru dans InColor). Il sera également un temps la propriété de Gaspard Moïse de Fontanieu, l’un des promoteurs de la Place Vendôme. En 1782, c’est le receveur des finances de Chalons qui l’achète : M. Jean-Baptiste-François Gigot d’Orcy. L’homme est connu pour être passionné d’entomologie et de minéralogie. Il posséda un cabinet de curiosité qui fit sa renommé et il participa à la publication d’ouvrages grâce à son rôle de mécène. Il donna même son nom à l’hôtel que l’on trouve parfois sous la dénomination d’Hôtel d’Orcy. En 1801, les lieux tombent dans le patrimoine du notaire Marc Colin. Puis en 1814, il est vendu à l’encadreur et doreur Marc-Antoine Chaise. Il va ensuite devenir un immeuble de rapport et aura quelques habitants célèbres tels que le Marquis de la Baume, l’ébéniste François Linke, le bottier Yantorny réputé « être le plus cher du monde » et même Lucien Guitry, père de Sacha.
Perspective des salons du premier étage après la restauration. Photo : Boucheron
Parmi les locataires célèbres de l’Hôtel, on notera la présence de la Comtesse de Castiglione aussi connue sous son nom : Virginia Oldoini. Qualifiée « plus belle femme de son siècle » mais ne supportant pas de vieillir, elle se terre les dernières années de sa vie dans son petit appartement du 26 place Vendôme où elle fait calfeutrer les fenêtres et recouvrir les miroirs pour ne pas apercevoir son reflet. Ne sortant que la nuit, elle erre alors autour de la place et quittera les lieux en 1894. Frédéric Boucheron s’installe en 1893 et il choisit ce lieu pour son ensoleillement maximum qui illumine les bijoux de la maison visibles dans les vitrines. Il est le premier joaillier à choisir la Place Vendôme et inaugure la tradition joaillière du quartier.
Étape de la restauration des plafonds de l’Hôtel de Nocé avec l’Atelier Del Boca. Vidéo : Boucheron
En 2016, le groupe Kering (ex PPR) en devient le propriétaire plein et entier. Dans la foulée, la boutique Boucheron ferme ses portes, la façade se recouvre d’un arbre gigantesque, l’atelier de fabrication de la maison déménage rue de la paix. Les travaux peuvent commencer.
Dans l’Hôtel de Nocé, à l’époque où la maison Boucheron occupe le premier étage, vers 1900/1910. Photo : Boucheron
2- Une restructuration massive
La restauration de l’Hôtel de Nocé avait pour but de lui rendre sa configuration la plus originelle possible. Mais cela ne fut pas forcément simple car la plus ancienne description date de 1760 et le bâtiment a déjà été largement modifié. On sait qu’à cette époque il est doté d’une extension abritant plusieurs écuries et d’un grand corps de logis entourant la cour intérieure. Le rez-de-chaussée et l’entresol sont à l’époque utilisés par les cuisines et les dépendances. Le premier étage accueille un grand appartement, une antichambre, deux chambres ou encore la bibliothèque. Le second étage, déjà partiellement « entresolé », présente une configuration similaire. S’ajoute une contrainte importante, le bâtiment est classé Monument Historique depuis 1930. Il a donc fallu détailler 300 ans d’aménagements successifs pour retrouver les volumes initiaux et comprendre comment ceux-ci avaient été modifiés au fil des siècles. C’est à ce moment qu’entre en scène Michel Goutal et son équipe.
Se détendre en admirant la colonne Vendôme, c’est désormais possible avec la création de l’Appartement au deuxième étage l’Hôtel de Nocé. Photo : Boucheron
Mais avant d’entrer dans l’Hôtel de Nocé, un point sur la façade s’impose. Saviez-vous qu’au titre du PLU (Plan Local d’Urbanisme) les façades de la boutique Boucheron sont classées et à ce titre difficile voir impossible à modifier. Cela signifie donc que si la boutique devait un jour quitter ce lieu, les éléments extérieurs de la maison ne pourraient pas bouger sauf autorisation de l’ABF (Architecte des Bâtiments de France).
A la découverte du Salon Chinois du premier étage de la maison Boucheron. Entierement restauré dans le cadre des travaux du 26, il a désormais retrouvé toute sa splendeur. Vidéo : Boucheron
Il est maintenant temps de pénétrer dans les lieux. Essayez désormais de vous imaginez à quoi peut bien ressembler un hôtel particulier transformé en immeuble de rapport après la Révolution Française… Il faut bien avoir en tête qu’à cette époque, l’objectif est de loger du monde. Aussi on cloisonne et on pose des entresols partout où cela est possible. Cela permet de créer des logements extrêmement bas de plafonds mais également des rangements et des remises. Finis les plafonds à 5,20m et bonjour les pièces dont les plus basses sont à peine à 2,10m. De la même manière, l’escalier d’honneur de l’hôtel va se voir largement modifié dans sa partie haute. Il est réduit pour augmenter les surfaces habitables de certains niveaux qu’il dessert. Aussi, l’objectif de la rénovation était assez clair, il fallait s’employer à retrouver l’esprit de la boutique de 1893 tout en retrouvant au maximum les volumes d’origine de la construction. Le plus gros du travail consistant à supprimer les volumes additionnels posés dans les années 1980. Entre le retrait des entresols, des faux-plafonds, des cloisons diverses et variées, c’est presque 200m² qui ont été retirés à la structure.
La bibliothèque du deuxième étage abrite certaines archives de la maison Boucheron. Le papier peint chinois sur la droite a été redécouvert durant la restauration et restauré par l’Atelier Mériguet-Carrère. Photo : Boucheron
La restauration des lieux a permis de restituer quelques éléments restant de la construction. S’ils sont très peu nombreux, demeuraient intacts quelques encadrements de fenêtres mais également les planchers ainsi que l’escalier d’honneur. En rénovant le 26 Place Vendôme, Boucheron voulait recréer une maison de famille. N’y manquerait que le chat qui ronronne au coin du feu rappelant que durant plusieurs années, Wladimir, le propre chat de Gerard Boucheron fut ici chez lui.
Vue du papier peint chinois du deuxième étage restauré par l’Atelier Mériguet-Carrère. Photo : Boucheron
Cette restructuration a nécessité la présence d’ateliers spécialisés possédant souvent des savoir-faire rares et une expérience importante des chantiers dits « historiques ». Ainsi à titre d’exemple on pourra citer l’Atelier Del Boca pour les plafonds et les plâtres, l’Atelier Mériguet-Carrère pour la restauration des peintures du salon chinois, l’entreprise familiale Delisle pour les luminaires et les lustres ou encore Béatrice Racine – restauratrice de papiers peints – qui est intervenue pour la restauration des papiers peints chinois du XVIIIe siècle redécouverts dans la bibliothèque de l’appartement.
Les salons du premier étage sont devenus des espaces pour recevoir les clients de la maison. L’un d’eux abride d’ailleurs, désormais, un espace « bridal » pour les futurs mariés. Photo : Boucheron
A l’arrivée, le résultat est assez impressionnant et les lieux ont retrouvé leur majesté première. Les dorures apportent un éclat incroyable aux différents salons et les boiseries ont retrouvées leurs couleurs naturelles. Enfin, la rénovation a fait entrer la lumière extérieure en supprimant des surfaces inutiles. La boutique et les différents niveaux rayonnent à nouveau, ce qui n’aurait certainement pas déplu à Frédéric Boucheron.
Au cœur de la boutique Boucheron, vers 1980. On distingue parfaitement le fameux entresol posé pour scinder la boutique. Photo : Boucheron
3- Une nuit au cœur de la Place Vendôme
Avec la création de l’Appartement au deuxième étage, la maison Boucheron inaugure une expérience client nouvelle dans le secteur de la joaillerie et propose ainsi à ses meilleurs clients de pouvoir profiter d’un séjour privilégié au sein de la boutique. En partenariat avec le Ritz Paris, c’est ainsi une expérience hôtelière à la fois intime et luxueuse qui est offerte. Si la restauration de ce niveau est particulièrement réussie, la décoration contemporaine voulue par le décorateur Pierre-Yves Rochon se veut douce, subtile mais également audacieuse avec des choix extrêmement pointus : une table par Franck Chartrain, une œuvre de l’artiste plumassière Émilie Moutard-Martin, un canapé de Noé Duchaufour-Lawrence ou encore des papiers peints de la maison Pierre Frey.
Une nuit dans l’Appartement Boucheron. Photo : Boucheron
Tout ici rappelle que le luxe est surtout un fragile mélange entre rareté et savoir-faire. Mais surtout qu’il peut être beau sans être tapageur, qu’il peut être inspirants sans en faire trop. Ici l’équation, maitrisée, fonctionne idéalement. Aussi, nous espérons que vous aurez la chance de découvrir ce lieux car il mérite vraiment de s’y attarder. Aussi guettez les Journées du Patrimoine, peut-être l’Hôtel de Nocé y figurera et surtout, osez pousser les portes du 26 place Vendôme car la nouvelle boutique est un lieu à connaitre, désormais, absolument !
À bientôt !