Régulièrement dans les ventes aux enchères, on voit passer des bijoux présentant du Essex crystal. Des bijoux le plus souvent adorables, un peu kitsch mais fort sympathiques. Ce sont des pièces en cristal de roche (parfois en verre ou en cristal), taillées en cabochon, gravées et peintes par l’arrière pour profiter de l’effet loupe de celui-ci et donner du relief à la peinture qui se situe donc à l’arrière de la pièce. Les exemples les plus beaux sont gravés en intaille puis doublés avec de la nacre, mais parfois, on trouve également une simple plaque de nacre ou d’ivoire peinte rehaussée de cette « loupe » en quartz. L’effet, bien sûr, est alors complétement différent. La majorité des bijoux sur le marché avec cette technique sont anglais car, le pays fut un grand amateur de cette mode durant l’époque victorienne (1837-1901). J’ai souvent lu que ces pièces portaient ce nom car on les fabriquait dans l’Essex, ou bien que c’était le peintre miniaturiste William Essex qui avait lancé cette tendance car il fut dès 1839, le peintre en émail de la Reine et donc de son mari, le Prince Albert de Saxe-Cobourg et Gotha. Bien que l’origine de la technique ne soit pas évidente à identifier, William Essex n’a pas grand chose à faire avec cette technique qui porte son nom. On va donc essayer de remettre les choses dans l’ordre.
Broche en platine, diamants et perles fines, vers 1910. Disponible sur 1stDibs. Photo : 1stDibs
La majorité des sources sur l’origine de cette technique cite un artiste soit-disant belge nommé Ernest Marius Pradier qui, vers 1860, aurait initié la technique. Ernest Marius Pradier a bien existé. Il est né en France, à Paris, dans le 3e arrondissement. Seulement il est né le 3 octobre 1881. Ce qui nous intéresse, c’est plutôt son père : Ernest William Pradier, graveur, né en 1855 en Angleterre et qui épouse Clara Jane Leggatt à Londres en 1879. Comment le couple se retrouve-t-il à Paris en 1881, domicilié au 1 boulevard du Temple, c’est un mystère. Quoi qu’il en soit, la famille Pradier est connue pour avoir réalisé des pièces avec ce cristal peint à partir des années 1870. Si le passage par Paris est avéré par l’état-civil français, les Pradier vont rejoindre l’Angleterre et le père va installer un atelier renommé, à Londres vers 1896/1897, puis le fils suivra dans le Bedforshire dans la ville de Dunstable à partir de 1932. C’est d’ailleurs auprès de son paternel que Ernest Marius va apprendre son métier. L’atelier va distribuer ses productions animalières en Europe et même aux États-Unis. Un long et profitable partenariat existera également avec la maison Longman & Strongitharm de Londres. On connait des bijoux signés de Tiffany & Co. et même de Cartier avec ce type de cristal peint, possiblement avec les productions Pradier.
Broche en or et cristal d’Essex, Tiffany & Co. Vers 1930. Vendue chez Skinner en septembre 2013. Photo : Skinner
Trouver l’origine du cristal peint oblige à croiser plusieurs sources pour essayer d’y voir un peu plus clair mais on peut dater les premières productions anglaises vers 1860. Il semble qu’il faille trouver une possible origine de ces cabochons en verre ou cristal de roche taillés auprès de l’entreprise Thomas Cooke (et non Thomas Cook, l’entreprise de voyage) qui fabriquait des appareils scientifiques incluant des éléments en verre et plus particulièrement des lentilles. Plus tard, le nom de Thomas Bean se retrouve régulièrement associé à cette technique. Si un fabriquant de verre, né en 1855 à York, porte bien ce nom, il existe peu de document parlant de lui. Les rares renseignements disponibles le décrivent comme ayant été l’apprenti de Cooke.
Ensuite, il fallait graver et peindre ces cabochons. C’est à ce moment-là qu’il fallait faire appel à des graveurs et des spécialistes de l’intaille, puis à des peintres miniaturistes.
Bracelet en or et cristal d’Essex sur le thème maritime, vers 1940. Photo : 1stDibs
William Essex a donné son nom à la technique mais nous allons voir que c’est surtout l’un de ses élèves qui a popularisé celle-ci. Peintre miniaturiste officiel de la Princesse Augusta de Cambridge, de la Reine Victoria et du Prince Albert, il né en 1784 et décède en 1869, soit quelques années à peine après que les premiers exemples de « Cristal d’Essex » soit apparus sur le marché. En réalité, c’est surtout William Bishop Ford qui a popularisé cette technique. Né en 1832 et mort en 1922, il fut l’élève d’Essex et il l’assista dans son atelier du 3 Osnaburgh, Regent’s Park dans les années 1850 et 1860. Ses réalisations en cristal d’Essex sont bien connues dans les ventes aux enchères et les plus anciennes, à ma connaissance, datent autour de 1864. On trouve d’ailleurs des pièces qui portent sa signature, l’exemple est suffisamment rare pour être souligné.
Broche en métal doré et cristal d’Essex, signé de William Bishop Ford en 1864. Vendue pour 450$ à Saint-Louis dans le Missouri par la Link Auction Galleries en octobre 2022. Photo : Link Auction Galleries
Le cristal d’Essex a vu son heure de gloire durant la deuxième moitié du XIXe siècle. Mais on trouve encore de très belles pièces avec des sujets floraux, animaliers et sportifs jusque dans les années 1920 et 1930. A partir du XXe siècle, les mauvaises copies en plastique et verre se multiplient. Les usines basées de l’autre côté du Rhin produisent en grande quantité du verre moulé, lequel peut être multicouche et peint. Le résultat n’a alors rien à voir avec la finesse du travail des graveurs et peintres, souvent anonymes, qui ont excellé en Angleterre à la fin du XIXe siècle.
Alors, pour acheter ce type de pièce, munissez-vous d’une loupe et observez bien le relief de la peinture. Les pièces réalisées dans les règles présentent un véritable effet 3D. Attardez-vous sur la qualité de la peinture et sur le choix des couleurs et des nuances. Et surtout, achetez un sujet qui vous plait. On ne répétera jamais trop ce conseil en matière d’achat pour un bijou.
Boutons de manchettes en or et cristal d’Essex. Vendus chez Lyon & Turnbull en 2015 pour 875£ premium inc. Photo : Lyon & Turnbull
A bientôt !