Le badge, ce bijou politique

Jan 12, 2022

Qui parmi vous n’a jamais arboré un badge? Ces petites broches rondes,le plus souvent en aluminium, sont irrémédiablement liées à la culture américaine. Mais on les trouve désormais partout et dans tous les pays. A l’image des pin’s, ils sont désormais collectionnés et donc parfois très recherchés. Qu’ils affichent un slogan politique, une opinion personnelle, votre groupe de rock préféré et bien qu’ils soient simplement décoratifs, les badges sont de véritables vecteurs de communication. Intéressons-nous donc à ce petit bijou, le plus souvent de forme circulaire, qui est plus précieux qu’il n’y parait.

Quelques badges politiques issus de la collection de M. Andrew Whitehead. Ceux-ci date majoritairement des années 70-80. Photo: Andrew Whitehead

1- Le premier badge

Badge, insigne, médaille, pin’s, bouton, il faut déjà bien définir de quoi l’on parle. Car si on se plonge dans l’histoire de l’insigne politique, il est possible de remonter à l’antiquité. La notion de slogan remonte au moins à l’Empire Romain où la mention SPQR « Senātus Populusque Rōmānus » se retrouve sur de très nombreux bâtiments à partir de 80 avant Jésus-Christ. Ce slogan qui signifie « le Sénat et le peuple romain » est l’emblème du pouvoir politique romain.

Broche (badge) de pèlerin, 14e ou 15e siècle, représentant Saint-Thomas. Photo : MET Museum

Plus tardivement, la notion d’insigne se retrouve sur un objet témoignant du pèlerinage des Grands Carmes de Toulouse. Découverte à Londres, cette pièce est décrite dans un article de 1987 écrit par Jean-Michel Lassure et Gérard Villeval dans « Archéologie du midi médiéval ». Mise à jour en 1983 par Brian Spencer, alors Conservateur du département des Antiquités Médiévales au Muséum of London, lors de fouille à Swan Lane, ce bijou est daté entre la fin du XIIIe siècle et le tout début du XIVe siècle. On peut également évoquer les éléments en métal avec un sanglier qui étaient l’emblème de Richard III. Ces badges diffusés entre 1472 et 1485. Les experts anglais pensent que cette pièce était destinée à se porter sur un chapeau. Un rare exemple en argent et or est conservé au British Museum. Mais cette institution conserve un objet politique vraiment exceptionnel : le cygne de Dunstable. Cette incroyable broche de plus de trois centimètres en or et émail représente un cygne avec une couronne autour de son cou. Découverte lors de fouilles dans un ancien couvent en Dunstable en 1965, la pièce intègre le musée en 1966. On retrouve sur ce bijou des années 1400 le symbole de la Maison de Lancaster (la couronne autour du cou) et celui de la Maison de Bohun (le cygne). Or, en 1380, Henry of Lancaster épouse Mary de Bohun et ajoutera le cygne à ses armes.

Le Cygne de Dunstable, vers 1400, or et émail. Photo: The British Museum

Nous pourrions digresser sur le bijou politique longtemps et sur l’histoire de la broche à visée politique encore plus. L’un des premiers « badges » ronds que l’on connaisse est conservé au MET Museum de New York. Il date du 15e siècle et représente la tête de Saint-Thomas. Il a probablement été exécuté dans la région de Canterbury en Angleterre. Ce même musée conserve aussi un exemple français similaire dans sa forme et de la même période avec la Vierge. Aux États-Unis, les « premiers » badges ronds datent de 1789. Il s’agit alors de boutons pour soutenir la candidature de Georges Washington puis honorer le premier président des États-Unis. Car si crier un slogan peut être une bonne chose, le diffuser massivement permet à celui-ci de se faire connaitre plus vite.

2- Le badge dans le 19e siècle

La campagne américaine de 1828 qui voit s’affronter Andrew Jackson contre John Quincy Adams marque un tournant dans la communication politique. A cette occasion Jackson va faire produire en masse des objets avec ses succès militaires pour inciter le peuple américain à lui accorder sa confiance. Échaudé par sa défaite quatre années plus tôt, il ne lésine donc pas sur les moyens. Et parmi les nombreux souvenirs que l’on connait de lui, on retrouve bien évidement les boutons et badges à son effigie. Il faut bien comprendre que ce n’était pas naturel de développer une activité commerciale lors d’une élection présidentielle avant celle-ci. Et 1828 change donc définitivement la donne car malgré une campagne chaotique et d’une violence rare entre les deux candidats, c’est bien les « goodies » de Jackson qui font la différence. L’invention de la photographie va aussi faire évoluer le processus. Dès les années 1860, on rencontre des badges avec le visage d’Abraham Lincolm. Il est peut-être le premier à faire figurer sa photo sur un objet politique.

Badge de campagne pour Abraham Lincoln, vers 1860. Fabriqué par la Scovill Manufacturing Company de Waterbuty dans le Connecticutt. Celui-ci est conservé au National Museum of American History. Photo : NMHA

La plupart des premiers badges furent fabriqués par les entreprises spécialisées dans la conception de boutons. C’est le cas des badges représentant Lincoln. Cela parait plutôt logique au vue de la forme de ces drôles de bijoux. Au milieu du 19e siècle, l’anglais Daniel Spill dépose un brevet pour une matière que l’on appellera bientôt le celluloïd. Dès 1869, l’américain John Wesley Hyatt va rendre la fabrication de cette drôle de matière bien plus facile en retravaillant la formule de la Parkesine. Cet ingénieur va d’abord inventer un substitut à l’ivoire que l’on peut qualifier d’ancêtre du plastique. Il fondera dès 1870 la Albany Dental Plate Company pour produire touches de piano, fausse dents et boules de billard. Basée à Albany, dans l’état de New York, l’entreprise va bouger en 1873 à Newark dans le New Jersey. Et le lieu n’est pas anodin dans l’histoire de la fabrication des badges.

Très rare badge pour célébrer la prise de Pretoria par le Général Lord Roberts en Juin 1900. Photo : Andrew Whitehead

3- La compagnie Whitehead & Hoag de Newark, New Jersey

En 1892, à Newark, l’imprimeur Benjamin S. Whitehead s’associe au marchand de papier Chester R. Hoag. Ils cofondent ainsi la société Whitehead & Hoag. Très vite, ils vont racheter des brevets nécessaires à la fabrication de boutons. Dès 1893, la compagnie acquiert le brevet de Amanda M. Lougee pour protéger l’insertion d’une photo sous un film celluloïd afin de protéger celle-ci des coups et chocs. Et dès 1896, c’est l’invention du « Badge Pin or Button », le badge bouton est né. Pour cela, l’entreprise W&H doit racheter les droits à G.B. Adams qui a déposé celui-ci.

1- Les deux fondateurs: M. Whitehead et M. Hoag. Photo: Jed Hake

2 et 3-Les brevets de George B. Adams. Photos: Vintage Corks Crews

L’entreprise va très vite être submergée de commandes et le succès du badge ne se démentira plus. L’un des premiers clients sera la American Tobacco Co qui va commander des millions de badges pour promouvoir ses cigarettes. 1896 marque autant l’arrivée de ces drôles de bijoux que la campagne pour le président McKinley. Le pays va très vite être saturé de badges, ils seront absolument partout et l’engouement du public pour ces petites broches rondes va convaincre les plus récalcitrants d’en produire toujours plus. Dès 1890, W&H ouvre des succursales aux USA mais aussi en Angleterre et en Australie. On trouvera même un bureau en Argentine. L’activité de l’entreprise change quelque peu avec la seconde guerre mondiale. Peu après la fin du conflit, Hoag décède. Nous sommes en 1953. L’entreprise est alors achetée par l’un de ses principaux concurrents Bastian Bros., une entreprise de boutons fondée en 1895. Le repreneur fait fermer l’usine et ordonne la destruction des archives de la maison. Il continuera néanmoins d’utiliser le nom jusque dans les années 1964-1965. Bastian Bros. existe toujours et continue de fabriquer des médailles et des insignes.

1- Badge pour l’American Pepsin Gum Co.

2- Badges pour l’élection de McKinley. Photo : NMAH

3- Signatures des W&H. Photo: Lang Antiques

4- Et de nos jours?

Le badge débarque en France dans les années 60-70. Mais aux États-Unis, il est déjà à cette époque très largement implanté dans la communication politique. Le badge se fait aussi connaitre lors des grandes manifestations étudiantes et des prises de positions contre la guerre du Vietnam et en faveur des droits des minorités, en particulier ceux de la communauté noire américaine. Aujourd’hui, il est très facile d’en trouver. Souvent gratuit, il est distribué lors des manifestations, à l’entrée des salons, mais il se collectionne aussi. Certains badges possèdent des cotations et peuvent couter plusieurs milliers de dollars. Il serait possible de passer des heures à les regarder et à les chercher sur les internets. Mais pour conclure cette histoire, je vous propose ces deux badges arborant des dessins de bijoux de la maison Dael & Grau. Ils furent réalisés à l’occasion de l’exposition de 2018 qui eu lieu au musée de La Piscine à Roubaix. Quand je vous dis que le badge est aussi un bijou… A vous de voir s’il est encore possible de les trouver!

Deux badges édités par le musée la Piscine lors de l’exposition dédiée à la maison Dael & Grau. Photo personnelle.

A bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.