Le 16 décembre prochain, la maison de ventes aux enchères Aguttes proposera une vacation de 172 lots. Comme à chaque fois, quand la maison me le propose, je me suis plongée avec une certaine délectation dans ce catalogue qui m’a réservé quelques très belles surprises. Un catalogue, c’est une boite de bonbons ou de chocolats, tout dépend de la saison. Dans celui-ci, j’ai retenu sept pièces, très différentes les unes des autres mais qui m’ont toutes séduites et que je me verrais bien porter si j’en avais l’occasion. Alors, je ne vous fais pas languir davantage et je vous propose de me suivre dans cette balade hivernale et joaillière.
Lot 6 – Bague Calendrier, or et émail, estimation entre 150 et 200 euros. Photos : Aguttes
Saisir et marquer le temps. Voila bien une thématique qui monopolise l’esprit des hommes depuis aussi longtemps que nous sommes sur terre. On peut disserter longtemps sur l’appropriation du temps, ce qu’il représente, comment ne pas le perdre ou le gâcher. Les joailliers de la toute fin du XVIIIe siècle au tout début du XIXe ont, eux aussi, tenter d’apporter une solution à la manière d’égrener celui-ci de la manière la plus belle possible. Les bijoux avec des calendriers perpétuels ont donc fait une apparition remarquée autour des années 1800. La plupart des pièces connues sur le marché sont anglaises et sont typiques de l’époque géorgienne. Aussi, une bague française ne pouvait qu’attirer mon regard. Alors, certes, celle-ci est un peu abimée, il faut dire qu’elle a du être portée et aimée. Celle-ci à la particularité d’être gravée et d’avoir certainement été offerte à une femme aimée. « Qu’ils soient tous heureux pour ma chère amie » dit la phrase intérieure. On peut y voir ici une sorte de réappropriation de la locution latine « horas non numero nisi serenas » – je ne compte que les heures heureuses – qui sera, des années plus tard, réemployée par la maison Cartier sur ses pendules mystérieuses. Alors si vous voulez comptez le temps et le voir passer avec un bijou, ne manquez cette bague.
Lot 20 – Collier en or, argent, diamants et émeraudes offert par Napoléon 1er à Nicolas-Charles Oudinot (1767-1847). Estimation entre 100,000 et 120,000 euros. Photos: Aguttes
C’est une des pièces majeures de cette vente. Mais c’est aussi une pièce qui témoigne des merveilles qui dorment dans les boites à bijoux familiales. Ce collier, aussi simple qu’élégant est une pièce totalement dans le style des bijoux du début du XIXe siècle. Les formes sont simples mais efficaces et la fabrication est une vraie démonstration de l’art joaillier de cette époque. Si la pièce est belle, elle l’est encore plus par sa provenance et sa belle histoire familiale. La tradition veut que ce collier est été offert au Maréchal Oudinot (il est aussi Duc de Reggio) après qu’il se soit illustré lors de la bataille de Wagram. On connait d’ailleurs de nombreuses statues du Maréchal le représentant. Je pense, plus particulièrement, à celle que l’on peut admirer à Bar-le-Duc par exemple. Il faut avoir en tête que Napoléon Ier et son épouse étaient friands de joaillerie et de cadeaux. Ainsi, les joailliers parisiens vont très souvent conseiller puis livrer le palais impérial. Lesquels objets rejoignent ensuite les collections privées des grandes familles aristocratiques de France. Car c’est un honneur que de recevoir un présent de l’Empereur. Ce collier, donc, est offert peu après l’année 1809. Le maréchal le transmettra à sa fille Stéphanie Oudinot de Reggio à l’occasion de son mariage à Paris le 31 Décembre 1828 avec le baron James Georges Tom Hainguerlot. De là, cette pièce n’a jamais quitté la famille. Quelques précisions néanmoins, la pièce est courte. Il est très certainement possible que ce collier est été raccourci dans le temps. On note aussi quelques petits anneaux témoignant de la possibilités d’y suspendre des pampilles amovibles. Émeraudes, perles fines, l’époque offrait peu de possibilités stylistiques. L’objet est sublime. Il est aussi le témoin d’une histoire révolue. Mais quelle Histoire!
Lot 23 – Broche monogramme en or, diamants, rubis, émeraudes et saphirs. Travail vraisemblablement étranger du XIXe. Estimation entre 1500 et 1800 euros. Photos: Aguttes
Dire que cette pièce m’a frappé, c’est peu dire. J’aime tout ici. Son côte trop chargé, le mystère du monogramme, ses pierres multicolores… Ce bijou est particulier car s’il s’agit désormais d’une broche, ce ne fut certainement pas le cas au départ. La fabrication n’est pas très délicate et le revers montre un coté qui était en fait, de base, invisible. Il ne faut donc pas s’arrêter à ce détail. Car le côté serti, lui, est vraiment superbe. Je penche pour un élément décoratif d’une boite ou d’un coffret. Il y a deux traces de picots qui témoignent du fait que l’élément était probablement enchâssé dans autre chose. Restent les lettres. ASN en diamants, SEY en émeraudes. Ce motif bleu qui me fait penser à une ancre. Est-ce là le témoignage d’un mariage, d’une alliance financière entre deux familles, d’un titre honorifique… Dois-je y voir le symbole d’une famille d’armateurs? Le cadeau d’un monarque? Ou bien, l’union de Sophie et de Albert par exemple, héritiers de deux familles puissantes souhaitant faire perdurer les fortunes distinctes. J’ai des milliers d’idées dans la tête, toutes plus ou moins proches d’un scénario de cinéma absolument improbable. Dire que cette pièce me fait voyager est une réalité. Un jour, peut-être, je découvrirai la signification de cette pièce. Pour le moment, elle garde ses secrets, sauf si parmi mes lecteurs, quelqu’un à un début de solution. Mais en attendant, j’achète.
Lot 28 – Broche Lune en argent, or et diamants. Travail du XIXe siècle. Notez la taille importante de l’objet : 7,5 cm de diamètre. Estimation entre 8000 et 10,000 euros. Photo : Aguttes
La broche lune est un classique de la joaillerie du milieu du XIXe siècle. L’avènement pour les sciences occultes, le spiritisme, l’astronomie et, plus largement, les sciences appliquées explique en partie de gout pour ces pièces remarquables. Dernièrement, à Genève, j’en manipulais deux, exceptionnelles. Celle qui se présente chez Aguttes dans quelques jours fait partie de ces bijoux aussi beaux qu’imposants. Avec ses presque 8 cm de diamètre, cette lune en argent, or et diamants est inattendue. Comme le reste du catalogue, il faut aller la voir, la soupeser, la manipuler car les lunes de cette taille sont extrêmement rares sur le marché. Le recours aux fils couteaux donne une grande légèreté à la pièce, aérant les diamants, faisant passer la lumière plus facilement. J’espère qu’elle trouvera une propriétaire aimante qui lui permettra de continuer à exister car je la trouve tout simplement fascinante.
Lot 45 – Important bracelet Cartier orné d’un motif Cachemire, or, diamants et émeraudes. Estimation entre 60,000 et 80,000 euros. Photos: Aguttes
Alors que l’exposition « Cartier et les arts de l’Islam » bat son plein au MAD Paris, cela m’a fait très plaisir de voir cette pièce se présenter dans la future vente Aguttes. Si on parle ici de motif cachemire, c’est parce que cette forme est bien connue dans le répertoire stylistique perse. On parle souvent de « motif paisley », mais aussi de « Boteh » qui signifie « bouquet de fleurs » en persan. Certains y voient la langue de feu de Zarathoustra, une larme de Bouddha ou encore une pomme de pin. Le boteh djegheh est une fleur mystique iranienne. Ces fleurs vont en général par paire, représentant très souvent dans le tapis l’union de l’homme et de la femme. C’est la rose imaginaire de l’Iran, la fleur la plus romantique, le symbole de l’amour. On la retrouve partout depuis le XVIIe siècle, sous forme stylisée ou géométrique. Dès le début du XXe, les influences islamiques et orientales vont être majoritaires dans les productions de la maison Cartier, en témoignent les dessins de Charles Jacqueau. Quand les ballets russes donnent Shéhérazade à Paris en 1910, une passion soudaine nait, passion qui va autant imprégner la mode que les objets. Techniquement, ce bracelet signé Cartier Paris est parfait. La broche est superbe, l’alliance du platine et de l’or jaune fonctionne remarquablement. La structure qui l’accueille pour en faire un bracelet permet d’autres audaces vestimentaires. Il n’est pas courant de voir une telle pièce sur le marché. Si le motif est courant dans les objets Cartier, cette pièce reste – elle – totalement spectaculaire par son volume et sa composition. Elle ferait presque penser à une certaine Suzanne Belperron…
Lot 89 – Bracelet en or Georges Lenfant pour Jean Eté. Estimation entre 5000 et 7000 euros. Photos: Aguttes
Je me devais de retenir ce bijou pour le travail incroyable sur les mailles qui le constituent. Car, forcément, avec une fabrication aussi soignée, on ne peut que penser à la maison Georges Lenfant dont les mailles sont aussi célèbres que recherchées. Je suis amoureuse de ces bijoux, j’aime leur fausse simplicité et leur vraie compléxité. Car pour réaliser cela, il faut une sacrée dose de savoir-faire et une parfaite connaissance du métal. Pas de pierres, elles ne sont pas nécessaires et c’est tant mieux. L’atelier Lenfant à lui aussi marqué l’histoire de la joaillerie parisienne. Apprentie, j’avais eu la chance de pouvoir admirer certaines archives de cette belle maison. Leurs bijoux sont aussi indémodables qu’ils sont beaux. Que ce soit les mailles ou les animaux, eux aussi célèbres et célébrés. Il y a des bijoux qui marquent et qui deviennent iconiques. La subtilité de ce bijou, c’est sa signature. Car ce bracelet a été réalisé pour Jean Été. Alors peut-être que ce nom ne vous dit rien. Mais il rappellera des souvenirs aux anciens du métiers. Jean Été est héritier d’une famille de bijoutiers qui travaille depuis 1852. Il se fait surtout connaitre quand il installe une boutique au 70 rue du faubourg Saint-Honoré, quasiment en face de l’Élysée. Il réalisera alors beaucoup de pièces destinées aux chefs d’états et invités de l’état français. On trouve peu de documents sur cette marque, quelques publicités ont survécu ici et là, qui témoignent du luxe de la maison et de sa clientèle raffinée. A l’image de ce bracelet.
Lot 99 – Ensemble en or, corail et chrysoprase, signé Van Cleef & Arpels. Estimation entre 8000 et 10,000 euros. Photos: Aguttes
Corail rose et agate, voilà bien une association signature de la maison Van Cleef & Arpels. La collection Delphes continue d’offrir aux amoureux du bijou ancien de lourds sautoirs et de merveilleuses broches ornés d’imposants cabochons de corail, de chrysoprase et d’améthyste… Aussi, l’association de ces couleurs fait irrémédiablement penser à la célèbre maison de la Place Vendôme. La parure proposée ici ne fait pas exception à la règle mais c’est la toute première fois que je l’admire. Je ne connaissais pas ce modèle. Les boucles d’oreilles et le bracelet qui composent le lot 99 sont exceptionnels par la souplesse de la fabrication, où on reconnait la patte de Georges Lenfant. La maison Lenfant a fait partie des fournisseurs attitrés de la marque. Si ce modèle m’était inconnu, j’y vois une interprétation ou une déclinaison du modèle Twist que l’on voit un peu plus régulièrement sur le marché de la seconde main. Avec son esprit festif, cette parure est de bonne augure pour les fêtes qui se profilent. Alors si vous voulez resplendir à la table de Noël, vous savez ce qu’il vous reste à faire.
A bientôt!