Il y a quelques semaines, mon téléphone a sonné et j’ai alors appris la mise en vente du fonds d’atelier de Jean et Pierre Bellin par MS Enchères. Ma surprise et mon intérêt furent particulièrement grands car les frères Bellin, c’est toute une histoire de la joaillerie et du IXe arrondissement de Paris dont l’atelier fut l’un des plus grands à son époque. Sous-traitants des plus grandes maisons de joaillerie, leurs pièces méritent d’être redécouvertes et valorisées pour la qualité du design et de la fabrication. Car les mains de l’atelier qui travaillaient dans l’ombre à la réalisation des parures qui sortaient de ces lieux étaient en tous points exceptionnelles. Mais avant cela, il faut quand même que l’on vous raconte cette histoire qui a tellement bien su écrire sa légende que de nombreuses informations erronées circulent encore de nos jours. Et vous présenter au fil de la lecture les pièces qui m’ont le plus séduites !

Pendentif en or jaune 18K (750/1000) de forme rectangulaire, à décor stylisé de poissons, sur une plaque de sodalite.
Dimensions : 5 cm X 2,5 cm environ (sans la bélière). Poinçon tête d’aigle et Poinçon de Maître. Estimation entre 1400 et 1600 euros. Photo : MS Enchères
1- René Léon Bellin, premier de cordée
Allez savoir pourquoi, certains feraient presque remonter toutes les maisons de joaillerie à Mathusalem… Je dis cela avec un peu d’ironie mais si on en croit de nombreuses sources qui parlent de la maison Bellin, elle remonterait autour de 1900. Cela n’est clairement pas possible car le premier identifié comme faisant partie du métier est René Léon Bellin qui était sertisseur. L’homme est né le 8 juillet 1902 et ses parents Jean Marie Sylvain et Anna Rosalie sont respectivement chauffeur et ménagère. Rien à voir de fait avec la joaillerie.
Le 16 aout 1924, René épouse Germaine Suzanne Miseret, dactylographe, à la mairie du XIe arrondissement de Paris. Il est alors indiqué qu’il est sertisseur. Je vous dirais bien que je sais comme Réné est devenu sertisseur mais je n’ai pas d’éléments à ce sujet. Ce que je peux en revanche vous dire c’est que lors de ce mariage, il y a la présence d’un cousin Lucien Bellin qui est maroquinier. Indéniablement, il y a dans la famille des personnes qui pratiquent des métiers manuels et fréquentent des ateliers. Est-ce par cette voie que le jeune René entre dans le métier ? C’est une hypothèse.

Pas de poinçon de maître mais provenant de l’atelier JEAN & PIERRE BELLIN. Estimation entre 2500 et 3000 euros. Photo : MS Enchères
Si en 1924, il est très certainement employé, il faut attendre le 3 novembre 1941 pour le voir s’installer en chambre au 50 de la rue Saint-Sabin qui est aussi lors de son mariage en 1924, son adresse de résidence. Déclaré comme bijoutier à façon, il devait possiblement avoir un poinçon dont je n’ai pas retrouvé de trace. Dans tout les cas, l’aventure entrepreneuriale ne dure pas longtemps et il redevient salarié en 1947. Ses fils diront de lui qu’il leur a transmis « son art et ses tours de mains » (L’Officiel, 1992).
2- Jean Bellin, deuxième de cordée
Le deuxième à s’installer c’est Jean Bellin. Nous sommes le 29 janvier 1963 et il obtient son poinçon de fabricant joaillier à cette date. Son atelier est installé 25 rue d’Alsace à quelques encablures du IXe arrondissement, juste derrière la gare de l’Est. Très rapidement, il est rejoint par son frère et une nouvelle structure voit le jour. Nous sommes le 1er janvier 1967 et la Société Jean et Pierre Bellin est née. Le 25 octobre 1967, un nouveau poinçon est insculpé remplaçant celui de Jean Bellin seul.

Bracelet jonc articulé en 2 parties en or jaune 18K (750/1000) à décors de canard, le plumage partiellement pavé d’une quarantaine de
diamants ronds taille brillant, les yeux en onyx. Fermoir à cliquet et huit de sécurité. Poinçon de maître partiellement visible. Estimation entre 2800 et 3000 euros. Photo : MS Enchères.
Désormais c’est dans le IXe que nous les retrouvons car l’atelier est désormais installé au 5 rue Faubourg Montmartre avec un siège social au 16 rue d’Aguesseau, l’adresse où la maison Cartier possède aujourd’hui un grande partie de ses bureaux parisiens. Il faudra attendre quelques années pour que l’atelier se structure prenant alors la dimension qui fut la sienne et qu’il emménage au début des années 1970 (la date n’est pas connue mais en 1973 ils y sont) dans son adresse la plus connue : le 62 rue Lafayette.
Si les trajectoires exactes des deux frères ne sont pas parfaitement connues, on sait qu’ils sont entrés en apprentissage relativement tôt, certainement après le collège et qu’ils travaillent chez Cartier où ils se font la main.

Broche en or jaune 18K (750/1000) figurant un écureuil, la queue partiellement pavée de diamants ronds taille brillant, tenant dans les pattes une sphère, les yeux sertis de cabochons d’onyx. Tige de la broche et fermoir à réparer. Dimensions : 4 cm X 2,5 cm environ. Estimation entre 1500 et 1600 euros. Photo : MS Enchères.
La maison va exister sous cette forme jusqu’en 1989, date à laquelle Philippe Bellin se joint à l’entreprise voyant sa structure juridique changer mais pas le poinçon. La maison cesse d’exister dans les années 90 (le siège social ferme en 1999) et l’atelier de rue Lafayette est repris en 1995 pour voir s’installer une autre remarquable maison de joaillerie encore active de nos jours.
3- Un style, des bijoux et des clients prestigieux
Les Bellin, comme je vous le disais, c’est toute une histoire de la joaillerie. Si les grands ateliers de fabrication sont certes nombreux, peu sont sortis du lot, travaillant pour les plus grandes maisons de joaillerie et comme on dit encore aujourd’hui « pour La Place ». Entendez par là, la Place Vendôme et les grands noms qui la peuplent.


JEAN & PIERRE BELLIN
Broche Clip en or jaune 18K (750/1000), figurant un hibou sur sa branche, le corps orné d’un cabochon de tourmaline, les ailes en pierre bleue à l’imitation du lapis, la queue en pierre verte, le cou orné de diamants ronds taille brillant, les onyx sertis de rubis et de nacre surmontés d’émail noir. Dimensions 5 cm X 3 cm environ. Poinçon Tête d’aigle , poinçon de maître. Numérotée. Estimation entre 1500 et 1600 euros. Photo : MS Enchères.
JEAN & PIERRE BELLIN
Broche clip en or jaune 18K (750/1000) figurant un toucan sur sa branche, les plumes en lapis-lazuli, la tête pavée de 13 diamants ronds taille brillant, l’oeil orné d’un rubis. Signé en toutes lettres JP BELLIN. Numéroté 055012. Poinçon tête d’aigle et poinçon de maître. Dimensions: 5,5 cm X 2,5 cm. Estimation entre 1400 et 1600 euros. Photo : MS Enchères.
Joailliers talentueux, chefs d’entreprises avec les pieds sur terre mais la tête dans les gemmes, les Bellin se sont fait connaitre grâce à leurs pièces sculpturales et en particulier un bestiaire fascinant où se côtoie oiseaux colorés, poissons fabuleux, félins espiègles mais aussi écureuils, chats et insectes parés de pierres gemmes et de diamants.
Mais ce n’est pas tout, les pièces de la maisons sont relativement imposantes, plutôt lourdes aussi. Elles ont été conçues pour durer. Elles partagent de fait des trais communs avec les pièces qui portent les poinçons d’autres grands noms de l’époque tels que Vassort, Lenfant, Brun ou encore Duhem pour ne citer que ces quelques superbes ateliers.

Bracelet en or jaune 18K (750/1000) ouvrant à système de ressort, le corps godronné se terminant par 2 têtes d’oiseaux s’affrontant, le
plumage pavé d’une centaine de diamants ronds taille brillant, les yeux ornés d’émeraudes, le bec en corail.
Diamètre : 5,8 cm environ. Estimation entre 3800 et 4000 euros. Photo : MS Enchères
L’atelier du 62 rue Lafayette, où j’ai eu la chance de travailler après le passage des Bellin, a vu des histoires incroyables s’écrire entre ses murs. Je pourrais vous parler de ce sultan qui venait y passer des heures pour laisser des commandes somptueuses qui firent les belles heures d’une adresse importante de la haute joaillerie.
Mais les animaux ne sont pas les seules réalisations des Bellin. Les pièces d’envergures étaient légions ici : pendules, objets d’orfèvrerie et objets exceptionnels. Vous pouvez en découvrir certains sur le site de Jean-Jacques Richard. L’entreprise expose au salon de Bâle tous les ans, alors la plus grande foire dédiée à la joaillerie, dévoilant des prouesses techniques et esthétiques, imposant sa signature et son savoir-faire.


JEAN & PIERRE BELLIN
Bague en or jaune 18K (750/1000) bombée, ornée d’améthystes et citrines gravées, encadrant trois diamants d’environ 0,1 carat chacun. Estimation entre 900 et 1100 euros. Photo : MS Enchères
JEAN & PIERRE BELLIN
Bague en or jaune 18K (750/1000), figurant une tête de cheval, la crinière partiellement pavée de diamants ronds taille brillant, et les yeux ornés de cabochon d’onyx. Estimation entre 500 et 600 euros. Photo : MS Enchères
Les maisons ne s’y trompent pas et font confiance à l’atelier. Mauboussin est alors l’un des plus importants clients de l’atelier mais également Chaumet, Van Cleef & Arpels, FRED et bien entendu nombres de maisons étrangères car dans les années 80-90, la majeure partie de la production de la maison est exportée hors de nos frontières. Les publicités de l’époque donnent également un bon aperçu de la production de la maison et de son talent.
Ce fonds d’atelier qui se présente est l’occasion de revenir sur une histoire encore assez vivace mais qui s’efface progressivement. Bien que les poinçons de maitres soient désormais mieux documentés, permettant de mettre en lumière les ateliers, les Bellin sont méconnus du grand public. Cette superbe vente est l’occasion de les retrouver et de faire revivre ce IXe arrondissement des années 80 et 90 !

Épingle en or jaune 18K (750/1000) figurant un canard partiellement orné de diamants ronds taille brillant, la tête ornée d’un cabochon rouge,
les yeux sertis d’émeraude. Dimensions : 2 cm X 1,5 cm. Poinçon de Maitre présent sur la tige et Signé en toutes lettres JP BELLIN au revers du canard. Estimation entre 300 et 500 euros. Photo : MS Enchères.
A bientôt !