Les pépites de la prochaine vente Aguttes

Mar 25, 2022

Le printemps vient officiellement de démarrer et, avec lui, on sent l’excitation des belles ventes aux enchères qui vont s’annoncer et s’égrener jusque fin mai. Dieu que j’aime cette saison où les merveilles se dévoilent et où les bijoux semblent se réveiller d’un long hiver. Pour ouvrir cette saison, je démarre avec la maison Aguttes qui va proposer sous peu, jeudi 31 mars, une vacation à la hauteur de cette saison qui débute. Avec 184 lots très différents les uns des autres, c’est un catalogue comme je les aime. Avec des surprises, avec des pièces d’exception, avec des bijoux atypiques, avec des pièces à histoires, avec des poinçons méconnus du grand public. Aussi quand le département bijoux m’a proposé de faire une sélection, je n’ai pas hésité. Et je me suis lancée dans cet exercice que j’adore, à savoir vous présenter les bijoux qui m’ont le plus séduit pour vous donner, je l’espère, l’envie de faire monter les enchères!

Lot 1 : bracelet en or jaune et diamant. Deux clips amovibles. Un troisième devait exister à la création du bracelet. Ils permettent de rendre les gravures discrètes à savoir  » René », une couronne comtale et « Bertrand ». Estimation entre 2000 et 3000 euros.

J’ai une passion pour les bijoux qui racontent des histoires de familles même s’il est compliqué de les déchiffrer si personne ne vous explique les tenants et les aboutissants de la conception d’un bijou. Ici, sur ce bracelet devaient figurer trois broches. Il n’en reste que deux. Trois fleurs donc, en or et diamants, conçues pour se positionner sur les trois gravures : deux prénoms René et Bertrand ainsi qu’une couronne comtale reconnaissable aux neuf perles qui l’habillent. Comme c’est un bijou de femme, on peut imaginer pleins de choses. Est-ce qu’il s’agit de deux fils? De son mari et de son fils? D’un titre comtale acquis par mariage? Comme on ne saura certainement jamais, j’ai envie de m’attarder sur la délicatesse de la fabrication. Le bracelet est aussi sobre que beau. Quand aux deux broches, elles sont remarquablement réalisées et dans un très bel état. La pièce a peut-être été peu portée. Les diamants taille ancienne font penser à des pierres de famille que l’on aurait remonté. Alors, si vous aimez les énigmes joaillières, ce bracelet a beaucoup d’histoires à raconter.

Lot 17 : ensemble lierre en or et argent, puis platine et argent, le tout serti de diamants taille ancienne et taille rose. Travail du XIXe siècle mais des modifications courant XXe. Estimation entre 4000 et 6000 euros.

A la création de cette pièce, je suppose qu’il devait s’agir d’un devant de corsage. Ou d’une corbeille de mariage. Si cet ensemble a subit quelques modifications, il n’en demeure pas moins superbe. Si je parle de corbeille de mariage potentielle, c’est parce que le lierre est un symbole tout choisi dans cette circonstance. Symbole de l’attachement, de l’amitié, de la fidélité, voir même de l’ancrage dans une vie quotidienne longue, le lierre est depuis longtemps un motif privilégié des joailliers. Motif signature de la maison Boucheron, on ne peut ignorer aussi les pièces du XIXe siècle signées Oscar Massin ou Paul Frey. Le lierre fut aussi une inspiration régulière dans les bijoux Art nouveau. Si cet ensemble ne présente pas de poinçon, la fabrication est soignée et maitrisée. On sent la main d’un bel atelier. Regardez la position et l’épanouissement des feuilles, les chatons « soleil » qui mettent en valeur les diamants solitaires comme autant de gouttes de rosée… La beauté d’un bijou tient à peu de chose.

Lot 18 : bracelet en or jaune, perles fines, améthystes, émail. Travail français du XIXe siècle. Estimation entre 1200 et 1500 euros

Cette pièce française du XIXe siècle arbore des couleurs bien spécifiques. Si l’association du vert, du violet et du blanc fait irrémédiablement penser aux suffragettes anglaises, les motifs et les couleurs de ce bracelet renvoient également à la passiflore dont la symbolique (donnée par les jésuites) est associée à la passion du Christ. Les mouvements pour le droit de vote des femmes débutent au milieu du XIXe siècle mais ils vont aller en s’amplifiant entre la fin du même siècle et le début du XXe. L’apparition de ces trois couleurs date en réalité des années 1870 où on commence à voir des bijoux arborant ces teintes si contrastées sous les ères Napoléon III et victorienne. En 2008, la maison Sotheby’s vendait d’ailleurs un devant de corsage imposant avec ces couleurs. Et ce n’était pas encore un symbole pour le droit de vote mais peut-être pouvait-on y voir l’expression d’un féminisme assumé. Car le violet est depuis longtemps le symbole des féministes. Et pourtant c’est loin d’être un couleur anodine car elle fut associée à la royauté, au clergé, puis au deuil ou à la pénitence. En somme, une couleur de soumission à une société patriarcale. Une couleur d’homme. On comprend alors mieux l’adoption de celle-ci par ces femmes qui permettront l’évolution cruciale de nos droits. Pour ma part, je vous propose d’y voir la symbolique que vous voulez: religieuse ou féministe, même si j’ai plutôt envie, de mon côte, de préférer la deuxième.

Lot 20: ensemble trèfle en or jaune, améthystes et perles fines. Travail français époque Napoléon III. Estimation entre 2000 et 2500 euros. Lot 21: broche en or jaune, diamants taille ancienne et taille rose, améthyste. Estimation entre 2000 et 3000 euros.

Est-ce que, comme moi, vous aimez le Napoléon III? En règle générale, j’aime beaucoup les bijoux de cette époque. Ils sont opulents, chargés, avec des couleurs souvent contrastées, parfois violentes et fortes. C’est la période du noir, du rouge sang, du pourpre, de l’écaille de tortue, de l’ébène, des émaux aux teintes saturées. Car les artisans et les artistes de cette époque ont puisé dans les époques antérieures et ont mélangé joyeusement toutes ces inspirations pour initier un style bien particulier. Les joailliers ne sont pas en reste. Sous l’impulsion de l’Empereur et de son épouse Eugénie, les ateliers fabriquent et honorent des commandes parfois délirantes. L’Impératrice fait la mode et il est de bon ton de la suivre et de l’imiter. L’améthyste fait partie des matières qui deviennent prisée par les élégantes. Mais le trèfle dans tout ça? L’histoire raconte que Eugénie de Montijo s’est émerveillée devant cette plante lors d’une promenade en compagnie de Napoléon à Compiègne. Nous sommes en 1852. Quelques jours après, Napoléon fera l’acquisition d’une broche trèfle en or, diamants et émeraudes chez Fossin (aujourd’hui maison Chaumet). L’année suivante, il l’épouse. Jusqu’à la fin de sa vie, elle arborera ce bijou que l’on nomme « le trèfle de Compiègne » et qui deviendra un symbole de cette histoire d’amour. Ici la fabrication est très soignée et la forme des améthystes est vraiment étonnante pour l’époque. C’est certainement ce qui rend cette parure aussi précieuse que marquante. Quand à la deuxième proposition, bien que différente, elle témoigne aussi d’une fabrication soignée et d’une opulence largement assumée.

Lot 39: bracelet en or et argent, travail du XIXe siècle, diamants, saphirs, émeraudes, perles fines. Estimation entre 3000 et 5000 euros

S’il y a bien un savoir-faire qui caractérise la France, c’est bien la haute joaillerie. Aucun pays au monde, à l’exception de la France, ne parle de joaillerie. Ailleurs, c’est toujours de la bijouterie (jewelry) à laquelle on attribue des qualificatifs qui vont différencier les styles : « couture » pour le fantaisie, « high-end » pour la haute bijouterie joaillerie, « precious » pour la belle bijouterie souvent avec des diamants, « studio » pour celle initiée par des designers reconnus… Aussi cette pièce ornée de paons est symptomatique des très belles productions des ateliers français au XIXe siècle. Depuis 1867 et la fameuse plume créée par Mellerio, ce motif symbolisant l’immortalité, se décline à profusion dans les productions joaillières. Les couleurs de ce bracelet convoquent forcément l’imaginaire existant autour de cet oiseau dont les plumes fascinent les hommes depuis des siècles et des siècles. La souplesse de ce bijou est remarquable, l’arrière de la pièce témoigne d’un atelier de grande qualité. Avez-vous admiré la régularité des mises à jour? Croyez-moi sur paroles, c’est une réalisation exemplaire. En conclusion, une pièce qu’on ne peut pas laisser passer.

Lot 58: épingle à jabot vers 1925 symbolisant un sapin. Platine, or, diamants, émeraudes et émail. Estimation entre 2000 et 2500 euros.

Passion plantes en pots? Alors ce bijou ne peut que vous plaire. Durant la période art déco, ces épingles représentant des plantes, arbres et des arbustes en pots connaissent un succès fou et c’est normal. La redécouverte du japon et l’imaginaire asiatique peuplent les créations des grands joailliers. Parmi les références, le bonsaï. Les premiers arbres nains sont présentés en France lors des expositions universelles de 1878, puis de 1889. Le premier livre en français traitant de ce sujet date de 1902. Et ces arbres refont sensation à Londres à l’exposition nippo-anglaise de 1910. Cette Asie rêvée, voir même fantasmée, se décline alors partout. Et les bonsaï trouvent forcément une place de choix. Et ce bijou est simplement magnifique. Et quand ce ne sont pas des bonsaï, ce sont des arbres en pots inspirés de ceux qui peuplent les jardins anglais et français, inspirés aussi par le printemps sur la riviera. Ces arbres que l’on maintient dans les jardins d’hiver et que l’on habille de pots en rotin ou émaillés de toutes les couleurs. Des oiseaux, alors, peuvent alors y trouver une petite place…

Lot 60: broche en or, diamants et jadeite par Suzanne Belperron. Vers 1937. Estimation entre 4800 et 5000 euros.

Que serait une belle vente Aguttes sans la présence de Suzanne Belperron? Un manque évident! D’où mon intérêt pour cette broche en or et jadéite sculptée représentant des nénuphars. Les pièces en jade de la célèbre créatrice de bijoux ne sont pas si courantes dans les ventes où nous sommes plus habitués à ses compositions tout en volumes et pierres gemmes singulières. Ce bijou qui sort de l’ordinaire raconte néanmoins la sobriété luxueuse de celle qui a laissé une empreinte majeure dans le bijou moderne. Le style moderniste de cette broche est partout ici dans ce bijou où s’exprime encore l’influence de l’Art déco. Amateur d’un belle pièce signée, ce bijou ne peut que vous plaire!

Lot 102: broche René Boivin en or, diamants et péridot. Poinçon de maître partiellement lisible Roger Davière. Vers 1970. Estimation entre 12,000 et 15,000 euros

D’une pièce Belperron à René Boivin, il n’y a qu’un pas puisque c’est dans cette maison que la créatrice à fait ses premières armes. La maison Boivin fait figure de feu d’artifice permanent dans la haute joaillerie. Quelles que soient les époques, leurs créations ne ressemblent jamais à celle des autres maisons. Elles sont uniques par les formes, les volumes, les couleurs, et les signatures fabuleuses qui ont peuplé l’histoire de la maison. Ce clip ne fait pas exception à la règle. Il est opulent, imposant, coloré, joyeux, magnifique, désirable. C’est du Boivin dans toute sa définition. Et pour cette pièce, c’est une réalisation basée sur un dessin de Juliette Moutard qui fut une des dessinatrices prolifiques de la maison. Les grands discours ne sont pas necessaires pour cette maison, alors ne réfléchissez pas trop et foncez. Les bijoux de ce type ne se présentent pas souvent sous le feu des enchères.

Lot 118: boucles d’oreilles en or et aluminium signées JAR. Estimation entre 4000 et 6000 euros.

Parler longuement de JAR ne servirait pas à grand chose tant les pièces du joaillier suscitent une folie lorsqu’elles se présentent aux enchères. Son silence et sa discrétion sont devenues son mode de communication. JAR n’existe que par ses créations. Connu depuis longtemps pour ses fabrications grandioses, il a cherché à les alléger pour les rendre portables. Et il a rapidement utilisé l’argent, l’aluminium puis le titane pour remplacer l’or et le platine, bien trop lourd. Les pièces en aluminium coloré sont apparues dans les années 2000. En 2002, une exposition qui va marquer les esprits de tous présente 400 bijoux signés du créateur. Nous sommes à Somerset House à Londres. Pour remercier les 145 clients préteurs, il leur fait parvenir des boucles d’oreilles « Pensée » en aluminium coloré. Il en fera fabriquer 1000 autres pour les visiteurs de l’exposition qui voudraient en acheter une dans la boutique du musée. En quelques jours, elles deviennent introuvables. Témoignant de l’engouement pour cette énigme joaillière qu’est Joël Arthur Rosenthal. Alors, ne tardez pas trop, voilà qu’une paire se présente et je ne doute pas de sa vitesse à s’envoler vers un nouveau propriétaire. Peut-être vous qui me lisez.

Lot 159: broche en or et platine, diamants, émeraude et corail. Travail français de la maison Georland. Estimation entre 7500 et 8000 euros.

Je clôture cette sélection avec cette broche. Un oiseau, typique de ces broches animalières des années 60. J’aime tout ici, les matières, le mouvements, le travail de texture de l’or. Et le poinçon. Pas de grandes maisons derrière cette pièce, mais un atelier d’une discrétion hors-paire dont le savoir-faire fut reconnu par les plus grandes marques de la Place Vendôme pour ne citer qu’elles. Fondé en 1954 par Henri Marteau, l’atelier Georland était caché à quelques mètres du carré d’or de la joaillerie française. Dans les années 80, il fabriquait quasi exclusivement pour la maison Fred. Un atelier, resté familial, jusqu’à sa fermeture au milieu des années 2010. Inconnu du grand public avant une sortie d’ombre en 2011, les joailliers internes ont aussi réalisés des bijoux pour une clientèle privée élégante et raffinée. En témoigne cet oiseau. Georland, pour moi, c’est un peu une madeleine aussi. J’ai aimé travailler pour eux en sous-traitance et j’ai toujours adoré les pièces qu’ils confiaient à l’atelier où j’étais, alors, apprentie. De cette époque révolue de ces grands ateliers familiaux, il reste des pièces de joaillerie superbes, parfois et souvent iconiques. Cet oiseau va s’envoler mais je le mettrais bien dans ma boite à bijoux. Pas vous?

A bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.