Ça bouge dans le marché de l’art et dans le domaine de l’expertise. Et ça bouge en bien! Depuis quelques mois, un jeune cabinet d’expertise fait parler de lui. Avec un nom qui lui va comme un gant et constitué de trois talents du métier, le cabinet Sancy Expertise Paris intervient sur quatre spécialités : les bijoux, les montres, l’orfèvrerie et les objets de vertus. Déjà, plusieurs belles adjudications sont été notées dans des maisons de ventes telles que Fraysse & Associés, Pierre Bergé & Associés et Coutau-Bégarie & Associés. Rencontre avec trois experts avec lesquels il va falloir compter : Drew Battaglia (bijoux), Maxime Charron (objets de vertus et art russe) et Florian Doux (orfèvrerie). Au programme, passion, professionnalisme et enthousiasme !
Maxime Charron, Drew Battaglia & Florian Doux. Photo: Sancy Expertise Paris
1- Pouvez-vous nous dire en quelques lignes la vocation et l’objet de Sancy Expertise?
Maxime Charon : Nous sommes avant tout un cabinet d’expertise de bijoux, montres, orfèvrerie et objets de vitrine pour les commissaires priseurs et en vue des ventes aux enchères. Ensuite nous avons d’autres activités comme les inventaires pour successions et/ou assurances ainsi que la vente de gré à gré.
Drew Battaglia : Nous sommes un cabinet d’expertises de bijoux, montres, orfèvrerie et objets de vitrine au service des particuliers pour les accompagner dans leur démarche de ventes, d’assurance ou simplement d’inventaires. Nous souhaitons diversifier l’expertise au-delà de la vente aux enchères même si cette option reste la base de notre métier.
Florian Doux : Nous souhaitions créer un cabinet alliant sérieux, compétence et réseau dans un marché de l’art de plus en plus éclaté et disparate.
2- Pourquoi avoir choisi ce nom?
MC : Nous voulions que les mots « Expertise » et « Paris » apparaissent pour cibler directement notre activité et nous pensons que cela rassure les acteurs de notre marché de préciser que nous sommes établi dans la capitale. « Sancy » a été trouvé après parce que nous sommes trois passionnés d’Histoire et de l’histoire des objets.
DB : C’était important pour nous que notre nom reflète nos spécialités en général et qu’il soit sérieux. « Sancy » nous ait apparu comme une évidence. Quoi de mieux qu’un diamant historique, acheté, revendu, passé entre plusieurs mains pour représenter un cabinet d’expertise. On y a accolé ensuite Expertise et Paris pour délimiter notre activité.
FD : Nous nous sommes placés sous le patronage du diamant Sancy, acheté par Mazarin et conservé au musée du Louvre. Ce choix s’est imposé de lui même. Nous y retrouvons différentes facettes de nos compétences et de nos parcours : la connaissance et l’expertise des pierres précieuses, le goût pour les objets historiques mais aussi un clin d’œil à l’un des membres du cabinet qui a travaillé cinq ans au Louvre.
Bague en or sertie d’un diamant taille coussin de 20,52 carats, H / VS2. Vendue pour 850 080€ chez Fraysse & Associés le 7 avril 2022.
3- Quels ont été vos parcours respectifs avant la création de votre cabinet d’expertise?
MC : J’ai obtenu le diplôme de l’École du Louvre, puis j’ai été chez Christie’s pendant la vente de Pierre Bergé & Yves Saint Laurent. J’ai ensuite intégré la maison de ventes Coutau-Bégarie où j’ai été formé au département Art Russe et Souvenirs Historiques. En 2014 je m’installe à mon compte et je crée la galerie Royal Provenance qui est maintenant situé au 5 rue Auber, 75009 et qui participe en juin 2022 à la Tefaf. En parallèle, j’expertise pour une cinquantaine de maisons de ventes aux enchères.
DB : Après des études de gemmologie et l’obtention du GIA, j’ai été engagée par mon premier maître de stage, dans un cabinet d’expertise de bijoux anciens. J’ai ensuite été l’assistante du bureau parisien de la compagnie de marchands internationale Faerber Collection avant de m’installer à mon compte en 2022.
FD : Je suis historien de l’art et expert et j’ai bénéficié d’une double formation. Je suis titulaire d’une licence d’histoire, d’une licence d’histoire de l’art et de deux Master II en histoire de l’art à La Sorbonne. J’ai poursuivi son parcours au musée du Louvre où j’ai été recruté en 2017 pour co-écrire le catalogue raisonné de la collection d’orfèvrerie du musée. Parallèlement j’ai été formé par l’une des meilleures galeristes spécialisée en argenterie et orfèvrerie du Carré Rive Gauche avec laquelle je collabore depuis 2015.
4- Qu’est ce qui vous a donné envie de vous lancer ? Qu’est ce que cela vous apporte?
MC : C’est la confiance des commissaires priseurs qui travaillaient avec nous avant même la création du cabinet qui nous a encouragé. La création du cabinet à 3 nous apporte plus de force que si cela avait été individuel. Nous pensons et voulons apporter un réel service qu’il y a peu sur le marché.
DB : Après 10 ans dans le marché de l’art, je me sentais prête à prendre la responsabilité des expertises. Nous avons senti que le marché de l’art évoluait, se modernisait, autant par les nouveaux acteurs que la manière de travailler. Tout ça nous correspondait. C’est très stimulant. Nous avons eu de la chance d’être suivi par des commissaires priseurs qui savaient comment nous travaillions et qui nous ont fait confiance.
FD : Mon goût pour les objets d’art, et tout particulièrement l’orfèvrerie, est ancien. Il y a un plaisir très particulier à se trouver face à un objet dont on ne sait rien et réussir à identifier une date, un contexte de production, parfois même un commanditaire. Cette compétence bien spécifique, cet œil à la fois de chercheur et d’amateur affiné par ma formation académique et mes weekends passés dans les brocantes et les boutiques d’antiquaire, m’a tout naturellement amené vers l’expertise. Exercer cette profession constitue un débouché naturel de mes intérêts mais aussi une façon de me confronter sans cesse à de nouveaux objets, à élargir mon champ de compétence à des périodes, à des styles vers lesquels je ne me serais pas spontanément tourné par moi-même.
Rare tabatière en or par Vachette, 1794-1797, L’Apothéose de Bonaparte. Vendue pour 86360 € chez Fraysse & Associés le 10 decembre 2021.
5- Pour vous, c’est quoi « être un expert » et comment peut-on garder ce titre?
MC : Pour moi être expert c’est réussir à savoir la vérité sur un objet (son authenticité, son contexte historique, sa provenance, sa valeur etc.) On garde ce titre en faisant le moins d’erreur possible.
DB : Pour moi être Expert c’est avoir un feeling avec un objet et grace à son expérience et sa culture, pouvoir expliquer ce que révèle l’objet. On peut toujours se tromper parce qu’on ne sait jamais tout, c’est pourquoi l’humilité est une première étape pour conserver son titre. Je pense aussi qu’il est très important de toujours se tenir informé ( nouveaux traitements, nouveaux marchés, découvertes, culture etc.).
FD : Être expert, c’est à la fois connaître et savoir où chercher. Personne ne peut prétendre à l’omniscience, mais à force d’étude et de pratique, on se constitue une sorte de base de donnée mentale, un registre de comparaisons, de références, qui aide soit à identifier la pièce, parce qu’on connaît le poinçon ou qu’on a déjà rencontré la forme, soit à restreindre son champ de recherche en éliminant tout ce qu’elle n’est pas.
6- Quelle est la pièce la plus marquante (expertisée ou non) de votre carrière?
MC : Une icône triptyque Russe que j’ai expertisé récemment préempté par le Musée du Louvre vendu 130 000€ chez De Baecque. C’était beaucoup d’émotions et de fierté.
DB : Je me souviens d’un bracelet en argent et laque noire de Raymond Templier vendu 100 000€ lorsque j’étais en stage dans un cabinet d’expertise. Il avait beau être en argent et vers 1930, le dessin était intemporel et terriblement moderne. Cela m’avait marqué à l’époque car je découvrais ce joaillier. Un dessin similaire est représenté dans le livre sur l’artiste, c’est toujours émouvant lorsque cela arrive.
FD : Il y a au Louvre un petit flambeau en argent de style cosse de pois, du début du XVIIe siècle, œuvre de l’orfèvre parisien François Roberdet. C’est un objet assez simple, bien loin des pièces fastueuses et exubérantes de la seconde moitié du siècle. Pourtant, sa délicatesse, l’élégance légère et gracile de ses vrilles qui s’enroulent autour des bobèches me touchent particulièrement. Je ne l’ai bien sûr pas « expertisé », mais j’ai eu la chance de pouvoir longuement l’étudier au Louvre quand je travaillais au catalogue de l’orfèvrerie.
Luigi PICHLER (Rome, 1773-1854). Rare bague en or 18K (750) sertie d’une émeraude rectangulaire taillée à pans coupés (5,50 ct environ), gravée en intaille représentant Vénus sortant du bain, dans un entourage en argent serti de diamants taillés en roses. Petites égrisures. Circa 1810. Vendue pour 35,000 euros chez Pierre Bergé & Associés le 2 juin 2022.
7- J’ai des objets chez moi, comment puis-je vous les montrer et combien ça coute de les faire expertiser?
MC : Les expertises sont gratuites et confidentielles. Généralement on propose de nous envoyer des photos si la personne est loin. La deuxième étape est de se déplacer si besoin.
DB : Nous misons beaucoup sur la réactivité des réponses aux demandes d’estimations. Selon les possibilités et les urgences, nous pouvons donner une première idée d’estimation sur photos puis affiner une fois l’objet en main. C’est toujours mieux de voir l’objet pour être le plus juste possible mais nous essayons de nous adapter. Nous ne facturons que les inventaires pour assurances et stock. Les expertises sont gratuites et confidentielles autrement.
FD : On peut me contacter via le site du cabinet pour me présenter les objets, soit en photographie, soit en prenant rendez-vous.
8- Quel regard portez-vous sur le marché de l’art actuel? Est-ce que le bel objet se raréfie? Comment se renouvelle-t-il?
MC : Le bel objet ne se raréfie pas mais le marché de l’art se recentre sur les objets importants. Il y a de plus en plus d’acheteurs à travers le monde, par exemple nous sommes toujours surpris après une vente de constater qu’il y a au moins 50% de nouveaux acheteurs, y compris des jeunes.
DB : Je parle pour ma partie mais j’ai senti une vrai diversification des acheteurs. Il y a des nouveaux acteurs pour un certain type de bijoux qu’il n’y avait pas avant. La crise du Covid a permis aux particuliers de s’intéresser plus aux ventes aux enchères par exemple et a offert au marché de nouveaux acheteurs. Je pense (et j’espère) que la jeune génération suivra dans ce sens avec un nouveau goût pour le bijoux anciens.
FD : Nous sortons d’une période assez difficile. Le Covid a constitué un coup d’arrêt brutal, et les divers scandales liés aux faux ont provoqué une certaine frilosité du marché dans certains domaines. Pourtant, on sent un réel enthousiasme des collectionneurs à retourner en salle des ventes et paradoxalement, les attentes renforcées des acheteurs en matière de provenance des œuvres renforcent d’autant plus le rôle des experts.
Tabatière en or et émail figurant Napoléon en uniforme de colonel des grenadiers à pied de la Garde impériale. Par Étienne-Lucien BLERZY pour MARGUERITE. La miniature par Jean-Baptiste ISABEY. Vendue pour 85,000 € chez Fraysse & Associés le 11 mai 2002.
9- Comment faites-vous pour gardez la passion et vous laisser toujours émouvoir par un objet?
MC : Une passion ne s’éteint jamais vraiment. C’est parce que je suis toujours passionné que je reste ému. Et surtout, nous avons la chance de vivre dans un métier de surprise et de ne jamais savoir sur quoi on va tomber en inventaire.
DB : Expertiser c’est regarder à la loupe tous les détails d’un bijou ou d’une pierre, ca veut dire prendre le temps de découvrir vraiment la pièce. On ne sait jamais quelle histoire la pièce va nous révéler et c’est ça qui est passionnant.
FD : Aucun objet n’est identique. C’est une réponse très banale, mais très vraie. On peut avoir vu passer des centaines de cuillères et se laisser émouvoir par la cent et unième, car on va la raccrocher à un ensemble conservé, à un orfèvre important ; et c’est cette découverte qui ajoutera à cet objet presque banal un supplément d’âme.
10- Le musée ou le lieu qu’il faut avoir visité au moins une fois dans sa vie?
MC & FD : Le Louvre bien sur !
DB : La Diamond Room du Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. J’en ai eu les larmes aux yeux tellement les pièces qui y sont exposées sont exceptionnelles. Pensez bien à réserver le ticket spécial car il y a peu de visites à cause de la sécurité, j’ai failli me faire avoir et la louper.
Montre pendentif pour dame dite Boule de Genève avec broche en or (750 ‰), à décor de volutes, entièrement pavée de cabochons de turquoises et de demi-perles. Vers 1870. Vendue pour 7200 € chez Fraysse & Associés le 7 avril 2022.
11- La personnalité de votre métier/secteur que vous rêveriez de pouvoir rencontrer?
MC : La Reine d’Angleterre qui a l’une des plus grandes collections d’art au monde.
DB : J’aurais adoré rencontrer Jeanne Toussaint, la directrice artistique de la maison Cartier en 1933, et voir comment elle travaillait avec les équipes et trouvait ses sources d’inspirations. Quel talent !
12- Et pour conclure, votre conseil pour se lancer, faire ce métier et s’y réaliser pleinement ?
MC : Il faut être curieux, ouvert aux opportunités et se spécialiser dans un domaine
DB : Etre curieux, honnête et se nourrir culturellement sur tous les thèmes car d’une manière ou d’une autre, cela sert toujours.
FD : Je n’ai pas de conseil à donner. Il y a autant de parcours que de personnes ; restez curieux !
A bientôt!