Le 6 juillet prochain, la maison de ventes aux enchères Aguttes proposera sa dernière vente de joaillerie avant la rentrée. Riche de 141 lots, ce catalogue est riche de très beaux objets et de pièces enthousiasmantes pour qui aime les histoires, l’Histoire et un peu aussi les jolis cailloux. Il y a quelques semaines, je découvrais une grande partie des lots en compagnie de Philippine Dupré La Tour pour réaliser cette sélection que je vous propose aujourd’hui. J’ai retenu les bijoux que je pourrais porter, que je rêverai de porter si l’occasion de les porter se présentait. Plus largement, ce sont des bijoux qui me plaisent tout simplement et qui, je l’espère, vous plairont aussi.
Lot 8: broche « serpent » en or, émail, diamants et rubis. travail français du XIXe siècle. Estimation entre 2500 et 3000 euros.
Le serpent est absolument partout dans l’histoire de la joaillerie. On le connait bien depuis la période hellénistique où il fut abondamment employé par les orfèvres de la Grèce antique. Longtemps, il fut vu comme le symbole du renouvellement, lié à la terre. Par ses mues successives, le serpent porte en lui un symbole de régénération et même de guérison. Ce n’est pas pour rien qu’il figure sur le bâton qui accompagne Asclepios, le dieu de la médecine aussi connu sous le nom d’Esculape. Mais, le reptile porte aussi en lui de nombreux autres symboles au travers des âges : immortalité, amour, tentation… Il y a tant à dire que l’on pourrait en faire un livre. Sur ce bijou du XIXe siècle, ce qui est aussi très intéressant, c’est l’association du serpent au nœud. Motif également inspiré de l’Antiquité avec le fameux nœud d’Heracles, symbole de mariage, qui symbolise une union indéfectible. Ici, notre serpent est noir, il faut d’ailleurs noter l’état impeccable de l’émail (peut-être le bijou n’a pas été porté ou très peu). Il est aussi relativement souriant, c’est peut-être ce qui m’a aussi plu chez lui. Quand à la symbolique de ce bijou, certainement un bijou de deuil ou tout du moins un bijou de sentiment. Par son sujet et son état de conservation, c’est clairement l’un de mes coups de cœur absolu dans ce catalogue.
Lot 18 : bracelet en or, diamants et opales. Travail de la fin du XIXe siècle. Estimation entre 2000 et 3000 euros.
Au XIXe siècle, l’opale n’a pas forcément bonne presse. Et ce pour une raison toute simple, on la considère comme portant malheur. Apprentie, je me souviens d’avoir entendu des professionnels à l’aube de prendre leur retraite qu’ils ne voulaient rien avoir à faire avec cette drôle de pierre aux reflets changeants. Aussi, quand je croise la route de très belles pièces serties d’opales, je ne peux qu’être heureuse de les manipuler. Notre bracelet est serti d’opales australiennes, ce qui situe cette pièce au minimum après 1849, date de la découverte des premières opales dans ce pays par le géologue Johannes Menge. Associée à la magie, de par l’incompréhension de ce qui cause les feux colorés dans cette gemme, l’opale est de fait associée au surnaturel, très en vogue en cette fin de XIXe siècle. En pleine révolution industrielle, la bonne société de passionne alors pour ces questions autour de la vie après la mort. Dans une époque en pleine mutation, le spiritisme est une voie d’exploration pour essayer de comprendre un monde qui change. On croise alors des bijoux auxquels ont prête des vertus magiques. Et les opales, aimées mais alors incomprises, y figurent. Ce bracelet, dont les opales sont imposantes, reste donc une pièce rare pour cette époque. On note d’ailleurs un système pensé par le joaillier de l’époque pour les démonter sans les endommager. Peut-être pouvait-on les remplacer par une barrette sertie de diamants ou de perles? Pour ma part, j’adhère!
Lot 20 : broche en argent et or, diamants, rubis et cristal d’Essex. Estimation entre 400 et 600 euros.
Difficile de ne pas craquer devant le charme suranné et le kitch totalement assumé des bijoux avec du cristal d’Essex. Parmi les sujets de prédilection de ces pièces anglaises, les chevaux et les petits chiens. Le nom de ces pièces vient d’une confusion entre un artiste adoré par le reine Victoria – M. William Essex (il réalisait alors des miniatures) – et William Bishop Ford – son élève – qui réalisait des miniatures émaillées destinées à être montées sur des bijoux et plus particulièrement des épingles. Ces bijoux ont commencé à essaimer en Angleterre dans les années 1860. Le cristal d’Essex avec ses thématiques toutes plus British les unes que les autres a su trouver son public mais il n’est pas très courant d’en voir dans les ventes aux enchères françaises. Aussi, découvrir cette pièce dans le catalogue de la maison Aguttes m’a réjouit. Il me semble que le chien représenté ici est un Cairn Terrier mais je peux me tromper. Bien entendu, il vous faudra être fan de petits chiens pour acquérir cette pièce en particulier ou avoir beaucoup de second degré, ce qui peut-être aussi une très bonne chose. Je vous laisse choisir votre raison, mais pour ma part, je trouve ces bijoux aussi adorables que necessaires dans un paysage joaillier parfois en manque d’imagination et d’humour.
Lot 22 : broche en or, diamants et rubis, fin XVIIIe ou tout début XIXe siècles. Estimation entre 1800 et 2200 euros
J’aime quand les bijoux nous parviennent. Et quand ils ont survécu aux turpitudes du temps et des événements. Comme avec cette broche, ce petit « devant de corsage », datant de la toute du XVIIIe ou du tout début du XIXe siècle. J’aime à imaginer celle qui le portait. Réalisé en or, diamants et rubis, il est mobile, adorable et certainement légèrement modifié au cours des années. Qu’importe, il reste vraiment très élégant et d’une grande délicatesse. Il semble que ce ne soit pas un travail français mais il n’y a pas de poinçons donc il gardera tout son mystère et cela me va très bien. Elles sont relativement nombreuses les broches de ce type et elle raconte toute une histoire de la mode. Une époque faite de corsets, de corps féminins sculptés par les vêtements, de bijoux délicatement placés à ces endroits stratégiques tel que le cou, le décolleté, les poignets. Ces bijoux parlent aussi de séduction, ils attiraient le regard des hommes là où il fallait le diriger. Ces pièces racontent aussi des histoires de femmes, celles qui se montrent, celles qui ne peuvent s’offrir des parures somptueuses et donc celles qui sont moins chanceuses de remporter un bon parti comme on disait alors.
Lot 30 : broche rameau en platine et or, diamants et émeraudes. Cartier, vers 1910. Estimation entre 2000 et 4000 euros.
Voilà vraisemblablement une commande spéciale de la maison Cartier réalisée dans les années 1910. En témoigne le style, les matériaux, la délicatesse du serti millegrain et l’esthétique générale du bijou. Cette toute petite broche de 3,5 cm de diamètre figure entre autres des rameaux d’olivier, les fruits étant représentés ici par de petites émeraudes. Le rameau d’olivier, c’est comme le serpent, un symbole mythologique que l’on retrouve à presque toutes les époques dans le bijou depuis l’antiquité. Symbole de paix, d’amour, de victoire, on le retrouve également dans la Bible dans l’histoire de l’Arche de Noé. En face de cette branche, une autre plante (très certainement du laurier), plus stylisée, dont les feuilles rappellent le motif Cachemire ou Boteh, rappelant combien la maison s’est largement inspirée de la culture perse pour la conception de ces pièces. Motif que l’on peut apercevoir aux pieds des deux branches. Ce qui est intéressant dans les pièces de cette époque, c’est la manière dont la maison a su utiliser des sources d’inspirations multiples que les dessinateurs internes ont alors réemployés avec leurs propres codes. Alors, ce petit objet était-il destiné en cadeau d’une victoire quelconque ou d’une consécration? L’hypothèse est probable. Personnellement, je penche plutôt pour un bijou de maçon. Et c’est largement possible car, la couronne de laurier et d’olivier est également le symbole maçonnique bien particulier pour le 4e degré du Rite Écossais Ancien et Accepté.
Lot 46 : collier Chaumet en platine, diamants et rubis. Vers 1980. Estimation entre 100,000 et 120,000 euros
En règle générale, dans mes sélections, je ne parle par les lots phares. Ceux qui ne devraient pas avoir de difficultés à trouver un nouveau propriétaire pour en prendre soin. Mais là, je fais une exception. Pas pour le design (simple et efficace) mais juste pour les pierres et aussi – beaucoup, en fait ! – pour la fabrication qui répond aux meilleurs critères techniques pour une pièce de ce type. Certainement réalisé à la fin des années 80 ou au tout début des années 90, ce collier serait aujourd’hui complétement pensé en CAO. Mais là, ce n’est pas le cas. Quand je l’ai eu en main chez Aguttes, je me suis simplement régalée. J’ai pris un immense plaisir à observer les pièces en platines, les brasures des bâtes, les chatons fait mains parfaitement ajustés aux rubis du Myanmar (presque 37 carats, non chauffés) qui composent ce collier, à admirer la qualité du polissage irréprochable, à jauger la souplesse de ce collier qui s’adapte à tous les bustes…etc. Croyez-moi sur paroles, c’est de la très très belle haute joaillerie comme on savait si bien la faire à la toute fin du XXe siècle avant l’avènement de l’informatique. Alors, ne croyez pas que je n’aime pas la CAO. Loin de moi cette idée. Elle a apporté beaucoup de très bonnes choses dans les ateliers mais elle n’est pas toujours bien employée. Pour moi ce collier est un cas d’école que devrait étudier tous les jeunes joailliers. Alors si vous êtes amateurs de cette belle joaillerie faite pour illuminer les meilleures pierres, ce collier vous est destiné. Et si le joaillier qui l’a réalisé me lit, et bien encore bravo!
Lot 65: broche en or, platine, diamants, rubis et turquoises. Estimation entre 6000 et 8000 euros.
Voilà un grand et bel oiseau comme les joailliers en ont tant fait au milieu du XXe siècle. Quand on voit des oiseaux, on pense forcément à Sterlé qui en a réalisé de tellement beaux. Mais toutes les maisons en ont fabriqué. Et je ne me lasse pas de les admirer. Alors quand je tombe sur une maison plus discrète que les grandes habituelles, c’est encore mieux. Cette pièce est signée de Auguste Paillette, une très belle maison de joaillerie qui fut installée dès le 10 février 1921 et jusqu’en 1938 à Paris. Son adresse administrative était au 109 bld Beaumarchais mais l’atelier sera au 1 rue Saint-Georges dans le 9e arrondissement de Paris. Cette maison est surtout connue pour avoir racheté la maison Georges Bourdier et exploité le nom. Il faudra un jour que j’y consacre un article car elle est désormais totalement oubliée. Et pour la petite histoire, la belle-sœur de Théodule Bourdier (le père de Georges) était mariée à Louis-François Cartier. Le monde de la joaillerie est un mouchoir de poche. Ce que j’aime particulièrement sur cette broche (en plus de sa provenance), ce sont les turquoises et cette teinte changeante qui témoigne de pierres naturelles et non stabilisées. J’adhère, et vous?
Lot 86: bague en or, diamants et turquoise de Van Cleef & Arpels. Poinçon de Georges Lenfant, 1968. Estimation entre 3500 et 6000 euros.
Après les turquoises de Paillette, je boucle cette sélection avec celles de cette bague Van Cleef & Arpels dont la fabrication a été assurée par l’atelier Lenfant. Déjà le volume de la pièce. Avez-vous vu comme cette bague habille réellement la main? Ensuite la couleur des pierres. Parfaite à mon sens. C’est un bijou opulent, gourmand et aussi sacrement joyeux. Ce n’est pas un bijou qu’on oublie comme ces micro bagues miniatures et impersonnelles. J’aime le fait qu’elle soit dans son jus comme on dit. Avec la patine que le temps a donné à l’or. J’aime que ce soit une Lenfant, parce que c’est l’un de mes ateliers favoris. Bref j’aime tout ici et les longs discours ne sont pas necessaires. Alors, faites-moi plaisir, adoptez-là et surtout ne la laissez pas dans sa boite, cette bague mérite d’être portée!
A bientôt !