Quand le bijou se veut une extension du vivant

Juin 5, 2018

Si le bijou est traditionnellement en métal (qu’il soit précieux ou non) et agrémenté de pierres gemmes, ornementales ou encore émail, il existe de nombreuses autres catégories de pièces de bijouterie joaillerie. Pendant longtemps, la présence d’éléments issus du corps humain avait fonction de symbole et de souvenir. Avant l’apparition de la photographie (laquelle permet de conserver un souvenir visuel des vivants), on a utilisé les cheveux dans les bijoux de deuil. Seul élément pouvant se conserver de manière quasi illimité dans le temps, le cheveu offre une longévité importante et se travaille remarquablement facilement à condition de n’être pas traité. Celui-ci va donc trouver naturellement sa place dans les bijoux de sentiments jusqu’au début du XXe siècle. Mais le corps humain produit d’autres éléments tels que les dents, le sang ou encore le lait maternel. Je me propose donc de lister ici ces bijoux atypiques et de vous expliquer la démarche qui se cache derrière ces pièces. Il n’est pas question ici de critiquer celle-ci mais plutôt d’analyser le parti pris et de le comprendre.

Bague victorienne vers 1880 en or et cheveux. Photo : Pinterest

  • Les cheveux

Comme nous l’évoquions dans l’introduction, les cheveux sont utilisés depuis très longtemps dans la joaillerie. Que ce soit dans des bijoux de deuil constitués avec des cheveux du défunt ou dans des bijoux d’amour qui contiennent une mèche de l’être aimé, les cheveux sont une matière commune dans la bijouterie. Ils ont une vocation de souvenir et parmi les pièces habituelles, on trouve par exemple les médaillons qui contiennent la première mèche que l’on coupe à un enfant.

sybille paulsen

Cette pièce en cheveux a été réalisée par Sybille Paulsen pour Mary Beth, qui fut la première malade a lui demander de confectionner un bijou avec ses cheveux coupés en prévision d’une chimiothérapie. Photo : Sybille Paulsen

Si la tradition s’est perdue progressivement, elle n’est pas complètement morte pour autant. Ces bijoux continuent d’avoir un certain succès aux États-Unis où la tradition du hairwork est encore assez vivace. S’ils ont souvent perdus leur évocation du deuil, ils restent souvent le témoin d’un moment important. Car les cheveux sont fondamentalement liés à l’évolution de notre vie et parfois à des décisions importantes. Ne dit-on « qu’une femme qui se coupe les cheveux change de vie« . Si l’adage existe, c’est qu’il prend racine dans une certaine réalité. De nombreux créateurs travaillent ce matériaux à l’image de Syblille Paulsen qui réalise un travail, avec les cheveux de patients atteints de cancer.

Bague XIXe en argent et or, diamants et dents de lait. Photo : Gros & Delettrez

polly van der glas

Bagues en argent et dents humaines. Photo : Polly Van der Glas

  • Les dents

Les bijoux contenant des dents sont extrêmement rares de nos jours. Ils furent principalement fabriqués au cours du XIXe siècle et servait à conserver la première dent de lait d’un enfant. Comme pour se souvenir de son passage à l’age adulte en quelque sorte. Certaine pièces ont pu mélanger dents et cheveux. Aujourd’hui, c’est une matière très peu utilisée. Pourtant la créatrice contemporaine Australienne Polly Van Der Glas travaille cette matière allant aussi jusqu’à employer des ongles dans ses créations. Elle explique sa démarche par l’intérêt que nous portons à ces éléments durant notre vivant : nous brossons nos cheveux, lavons nos dents et nous entretenons nos ongles. S’ils sont beaux de notre vivant, pourquoi cesseraient-ils de l’être à notre mort ? La question est excellente, sa réponse sera plus polémique pour certains, mais je suis absolument fan du résultat.

Bague en or avec un cabochon de lait maternel solidifié. Photo : Mama’s liquid love

  • Le lait maternal / Breast milk

Conserver du lait maternel dans un bijou est un concept assez récent. Depuis quelques années, certaines maisons spécialisées dans les objets accompagnant les femmes enceintes et les jeunes mamans proposent ce type de pièces, telles que Mon Bijou Lacté ou Ouistiti &Co. par exemple. Mais le mouvement est international puisqu’on retrouve ce type de proposition partout dans le monde et surtout dans les pays anglo-saxons. Bagues ou pendentifs, il n’a jamais été aussi simple de garder avec et contre soi ce témoignage du moment où le corps féminin donne la vie. Vous trouverez sur le marché de simples contenants mais aussi des fabricants qui proposent de solidifier le lait maternel sous forme de résine pour lui donner la forme de pierres facettées ou de cabochons. Peu de recul sur ces pièces pour vous dire comment elles vont réagir dans le temps. Rendez-vous dans quelques dizaines d’années.

serena holm

La broche HIV par Serena Holm. Photo : ArtAurea

  • Le sang

Utiliser du sang dans un bijou n’est pas un acte anodin. Il faut une sacré dose de culot mais surtout un vrai parti-pris philosophique. Le seul exemple que j’ai en tête est celui de la créatrice suédoise Serena Holm qui en créant la broche HIV « Hero in Vitro » pose la question de notre rapport au sang, à la maladie mais surtout à la vie. Car, oui, le sang est avant tout ce carburant essentiel à la vie de nos organes. Il peut donc être vu comme ce bijou caché de notre corps, la matière la plus précieuse. A méditer ! A noter que cette pièce est visible à Paris à la Galerie La Joaillerie par Mazlo jusqu’en juillet 2018. Mais je vous parle très bientôt sur le site.

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Au cours de mes recherches, j’ai bien entendu trouvé des fabricants qui proposent des contenants pour conserver des matières bien plus polémiques telles que le sperme ou l’urine. Longtemps nié dans les démarches créatives actuelles, on oublie souvent que le bijou est d’abord intimement lié au corps qui le porte. Suis-je en accord avec ces démarches ? Pas tout le temps. Mais je dois reconnaitre que l’audace créative est toujours une bonne chose car elle à le mérite de faire bouger les lignes. Le bijou est un territoire étonnant, il explore des médiums inhabituels, souvent avec succès. Nul doute qu’il continuera de me surprendre et de nous faire collectivement réfléchir.

À bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.