Caroline Tran-Vinh, négociante en jade

Jan 7, 2016

Cela faisait un moment que je n’avais pas eu le temps de vous proposer une rencontre avec un professionnel du secteur de la joaillerie. Je vous emmène donc à la rencontre de Caroline dont le métier est le commerce du jade. Bonne lecture !

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1- Pouvez-vous vous présenter rapidement ? 

Je m’appelle Caroline et je suis née en 1959. Gemmologue FGA, j’ai monté il y a quelques années ma société avec un site internet associé www.eurojade.fr consacré au jade sous toutes ses formes. Je participe également à des salons en France et à l’étranger.

2- Quel métier vouliez-vous faire étant petite ? 

Beaucoup de personnes de ma génération étudiant en filière scientifique étaient orientées vers les carrières médicales mais j’aimais toutes les matières et particulièrement la littérature et les langues vivantes. J’étais très jeune et n’avais en fait pas d’idée précise : j’ai successivement pensé être professeur d’anglais ou d’éducation physique, médecin… je n’avais à cette époque jamais entendu parler de gemmologie de toute façon !

3- Et finalement, quel est votre métier actuel ? 

Je suis gemmologue spécialisée en jade.

4- À quel moment avez-vous eu envie de travailler dans le secteur de la joaillerie et des gemmes ?

J’ai évolué dans le secteur financier pendant la première partie de ma carrière, un milieu très éloigné des gemmes et des minéraux. C’est à l’occasion d’une reconversion professionnelle que j’ai décidé de m’orienter vers la gemmologie, sur le tard puisque j’avais presque la cinquantaine !

5- Quel est votre parcours d’études initial ?

J’ai passé un bac scientifique complété par des études universitaires de sciences économiques, un troisième cycle de commerce international et un diplôme de juriste en droit européen des affaires.

6- Et quel parcours spécifiquement lié à la joaillerie et à la gemmologie avez-vous suivi ? 

J’ai suivi les cours de la Gem-A (Gemmological Association of Great-Britain). J’ai reçu mon diplôme à Londres, je crois que j’étais plus fière que pour tous les diplômes que j’avais obtenus dans ma jeunesse ! Je suis membre des associations de gemmologie française, anglaise et écossaise.

7- Avez-vous de la famille dans ce métier ?

Absolument personne !

8- Pourquoi le jade ? 

Je n’avais qu’une idée très vague du jade comme la majorité d’entre nous et croyais toutes les idées fausses qui circulaient à son sujet. Mais curieusement, j’avais toujours été attirée par le mot « jade » et par la pierre. D’aucuns disent que c’est à cause de mes origines (vietnamienne du côté de mon père) mais je n’y crois guère, n’ayant pas de culture asiatique. En fait, il y a quelques années de cela, j’étais encore étudiante en gemmologie et j’étais en vacances au Canada, quand j’ai repéré une petite baraque sur le bord de la route avec quelques blocs de pierre autour. Je me suis arrêtée et suis véritablement « tombée en amour » avec ces blocs de brut qui étaient du jade néphrite de Colombie-Britannique. J’ai acheté un livre vendu sur place intitulé « Jade Fever » de Stan Leaming, et j’ai toujours pensé que c’était cet arrêt providentiel au bord de la route qui avait décidé de ma nouvelle vie professionnelle… ce que je n’aurais jamais imaginé !

9- Qu’est ce qui vous plaît avec cette pierre ? 

Le jade est une pierre à part dans l’univers des gemmes. D’abord parce que le jade fait référence à la jadéite et à la néphrite, qui sont de compositions différentes. C’est la raison pour laquelle je parle toujours de jade jadéite et de jade néphrite, afin d’éviter les confusions. Ensuite parce que son symbolisme est très fort dans des civilisations très diverses : Asie, Amérique latine, Nouvelle-Zélande… C’est une pierre qui est belle – en tout cas pour moi ! – aussi bien taillée qu’en brut et qui a des couleurs qui vont du blanc translucide au noir en passant par le jaune et le rouge. Le jade n’est pas toujours vert, vous savez ! Et si c’est la pierre la plus méconnue au monde, c’est aussi la plus imitée.

10- Être à son compte est une aventure, vous nous racontez comment s’organise une journée/semaine « type » ? 

C’est très varié. Comme je suis seule, je m’occupe de tout comme tout chef d’une petite entreprise. La gestion de mon site marchand, l’approvisionnement en produits de qualité auprès d’un réseau de fournisseurs que j’ai qualifié lors de mes voyages. Je passe aussi beaucoup de temps à rédiger des articles sur le jade (dans les musées ou les lieux que je visite) que je mets en ligne afin d’informer au mieux mes lecteurs. Et grâce à internet, je reste en contact avec mes clients et les internautes pendant mes déplacements. Bien que je vende principalement sur la toile, j’essaie aussi de rencontrer le plus possible mes clients. C’est extrêmement prenant mais passionnant.

11- Vous faites aussi des salons, cela se passe comment ?

Je fais peu de salons, et je le regrette car c’est une occasion pour les visiteurs de découvrir le « vrai » jade, naturel, non traité et ses variétés, qu’ils voient en fait en très peu. Il m’arrive d’ailleurs de donner des conférences sur le jade dans le cadre de ces salons. Mais j’ai réduit ma participation car quelques organisateurs mélangent les exposants honnêtes avec d’autres vendant des imitations ou des jades traités sans le divulguer, ce qui est contraire à la loi (mise au point sur les traitements des gemmes, nda). Le marché du jade est constitué à 90 %, d’imitations et de jades traités, et il est de ce fait nécessaire que les visiteurs soient clairement informés de ce qu’ils achètent, ce qui n’est pas le cas actuellement. On peut d’ailleurs étendre cette situation à l’ensemble des pierres avec une invasion de produits douteux qui pollue le marché et décrédibilise ceux qui veulent faire leur travail correctement. Sur internet, les imitations et les produits traités sont tout aussi présents, mais mon site a une image forte qui me permet de me démarquer par rapport aux arnaqueurs de la toile. J’essaie de donner le plus d’explications possibles. De plus, je certifie tout ce que je propose, ce qui signifie que je m’engage juridiquement, ce qu’à ma connaissance personne d’autre ne fait, en tout cas dans le domaine qui est le mien.

12- Quelles sont les questions des clients qui reviennent le plus souvent ? 

La question la plus courante, que ce soit des professionnels comme des particuliers est : comment fait-on pour voir la différence entre du « vrai » jade et du faux ? A cela, je réponds qu’il n’y a pas de « truc » pour savoir à coup sûr si le jade est véritable, s’il est traité ou s’il est imité. Dans un monde où tout va très vite, la connaissance du jade demande du temps et beaucoup de travail. Seule l’expérience acquise et des bases solides permettent d’avoir un jugement sûr. Il faut avoir vu des milliers de pierres et de roches. Je m’intéresse beaucoup au brut et cet aspect dépasse la gemmologie pour concerner la minéralogie et la géologie : c’est indispensable pour appréhender le jade dans son ensemble et dans toute sa complexité. J’ai un regret : ne pas avoir commencé plus jeune car une vie n’est pas suffisante pour connaître le jade !

13- Je suppose que vous partez à l’étranger pour vos achats. Dans quels pays plus précisément ? Comment cela se passe sur place ?

J’adore voyager pour aller à la rencontre de mes fournisseurs, mais aussi pour visiter des mines, si cela est possible, ou des ateliers de taille de jade, pour échanger avec les gens qui participent à toute la chaîne de production. Je suis aussi une grande amatrice de musées et partout où je vais j’essaie d’en visiter. J’ai par exemple vu récemment à Hong Kong l’exposition sur les Han et ai pu la comparer à celle présentée plus tôt à Paris qui était légèrement différente. Je fais ensuite des compte-rendus pour mon site à mon retour (ou plutôt j’essaie, car j’ai des mois de retard !). Contrairement à ce que beaucoup de personnes peuvent penser, ce n’est pas toujours en allant dans le lieu précis de production que l’on trouve les meilleurs produits, surtout pour le jade. Mais je visite régulièrement les pays produisant le jade (Myanmar, Guatemala, Chine, Russie…) ou le travaillant. Je suis atypique car je suis une femme quinquagénaire voyageant seule et parlant plusieurs langues, je dois dire que je n’en rencontre pas beaucoup comme moi et cela surprend parfois mes interlocuteurs qui ont du mal à comprendre la passion d’une Européenne pour le jade !

14- Ce métier regorge d’histoires et d’anecdotes. Vous en avez forcément une ou deux à nous raconter ? 

Je le disais précédemment, les salons permettent d’être en contact direct avec les clients. Il y a quelques semaines, j’exposais à un salon des minéraux à Paris et, comme souvent sur les salons, j’ai expliqué ce qu’était le jade, montré des échantillons de jade naturel, de jade traité et d’imitations. Une visiteuse avait l’air très intéressée et posait beaucoup de questions. Finalement, d’un ton péremptoire, cette personne me dit : « C’est bien, tout ça, mais vos jades ne sont pas assez colorés, vous auriez dû mettre plus de teinture, et en plus la couleur n’est même pas uniforme ! » et elle a filé acheter sur le stand d’en face un jade jadéite teint dans une couleur criarde à un prix bien plus élevé que mes jades naturels ! Cela fait sourire après coup, mais c’est tout de même très vexant !

Une autre anecdote concerne la croyance tenace des Asiatiques selon laquelle un jonc en jade, s’il se casse, vous a protégé et a évité que vous-même ne soyez « cassé ». Une cliente est venue me voir parce que son jonc en jade « impérial » s’était brisé lors d’un accident grave dont elle était sortie indemne. Elle me demanda si l’on pouvait le réparer pour qu’elle puisse porter de nouveau ce « talisman » vert émeraude qui lui avait sauvé la vie. Or le jonc était en verre de couleur !

15- Pour finir, quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui souhaitent rentrer dans ce métier et travailler au contact des gemmes ? 

Il faut se dire qu’un diplôme, quel qu’il soit, ne peut se suffire en soit. Ce n’est qu’une porte d’entrée qui ne donne que le droit d’apprendre, encore et encore, et de se perfectionner. Il faut avoir l’esprit ouvert, être modeste, ne jamais penser que l’on sait tout, lire, aller visiter les musées, les salons, les expositions, pour « se faire l’œil ». Rencontrer des gens de toutes professions, gemmologues, bijoutiers, lapidaires, propriétaires de mines, fournisseurs, universitaires, etc. Voyager pour remonter à la source et comprendre le circuit que fait une pierre, avant qu’elle n’atterrisse chez le consommateur final. Croiser les informations, réfléchir pour se faire son propre avis. Apprendre des langues étrangères, en tout cas au moins l’anglais. Et être passionné et intègre.

À bientôt !

 

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.