Claire-Laurence Mestrallet, directrice du département joaillerie chez Adam’s Auctioneers

Avr 19, 2017

Je suis très heureuse de vous proposer un nouveau portrait dans la catégorie « Carrière ». Aujourd’hui, je vous invite donc à rencontrer Claire-Laurence qui travaille à Dublin, en Irlande, et qui vous raconte comment elle est arrivée dans ce pays et comment la joaillerie a pris une place si importante dans sa vie ! L’occasion aussi de découvrir quelques jolies pièces qu’elle proposera  en vente le 9 mai prochain.

1- Pouvez-vous vous présentez rapidement ?

Je m’appelle Claire-Laurence Mestrallet, je suis âgée de 34 ans et je suis française. Après avoir passé dix années de ma vie de Genève, j’ai déménagé à Dublin à la suite d’une belle opportunité professionnelle et je suis arrivée ici il y a un peu plus d’un an.

Lot 16 : broche en or et tourmaline, signée H. Stern, vers 1970. Estimation entre 1000 et 1500 €. Photo : Adam’s

2- Quel métier vouliez-vous exercer lorsque vous étiez enfant ?

Quand j’étais très jeune, je voulais être photographe animalier. Adolescente, j’ai voulu devenir photographe de mode… Finalement, la photographie est aujourd’hui un de mes hobby.

3- Et finalement quel est votre poste actuel ? 

Je travaille désormais à Dublin pour la maison de ventes Adam’s Auctioneers. Je suis la directrice de leur département joaillerie.

4- Quelles études avez-vous suivi ?

Quand j’avais treize ans, j’ai été envoyée en pensionnat en Angleterre. J’ai passé mon brevet et mon baccalauréat international au St Clare College d’Oxford. Puis je suis partie un an en Allemagne pour parfaire ma connaissance de cette langue au Goethe Institute. Enfin, je suis entrée à l’EFAP (école française d’attachés de presse). J’ai passée une année à Paris puis deux années à New-York où j’ai obtenu mon Bachelor en Communication spécialisé Arts et Histoire de l’art.

Lot 17 : bracelet en or, diamants et turquoise, vers 1970. Estimation entre 2,500 et 3,500 €. Photo : Adam’s

5- Et plus spécifiquement, quel est votre parcours de formation en relation avec le domaine de la joaillerie et de la gemmologie ? 

Quand j’étais à New York, j’étais stagiaire dans un magazine spécialisé art de vivre et art qui s’appelait Whitewall. Celui-ci démarrait tout juste et j’ai donc participé à son lancement. Un jour, j’ai interviewé un cadre important de Christie’s pour le magazine et je suis restée en contact avec cette personne.  Je me suis enquise d’une possibilité de stage chez eux et c’est comme cela que j’ai mis un pied dans le secteur des ventes aux enchères. J’ai commencé par quatre mois dans le département relations presse suivies de cinq mois dans celui dédié à l’événementiel. A la fin de mon stage et une semaine avant d’être diplômée, ils m’ont proposé un travail. Je suis alors devenue l’assistante personnelle de la personne qui gérait le département joaillerie à Genève. J’ai fait mes valise et je me suis installée en Suisse deux semaines plus tard. J’ai adoré ce travail et le fait d’avoir accès à des pièces incroyables. Je me suis alors découverte une nouvelle passion. Finalement, je me suis inscrite au GIA et j’ai passé mon diplôme par correspondance pour devenir gemmologue.

6- Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel et comment vous-êtes arrivées au poste qui est aujourd’hui le votre ? 

J’ai d’abord travaillé deux ans et demi chez Christie’s en tant qu’assistante personnelle du directeur du département joaillerie puis je suis partie du secteur des ventes aux enchères vers celui du commerce. Je suis entrée dans une maison familiale depuis trois générations spécialisée dans les diamants, les pierres de couleur et la joaillerie ancienne. Mes missions étaient de gérer le stock et de préparer les salons professionnels. Après deux ans, mon poste a évolué vers la vente. J’ai eu alors la possibilité de constituer mon propre réseau d’acheteur. J’avais 25-26 ans et je faisais beaucoup de bagues de fiançailles pour mes amis et leurs amis. C’était très sympa ! Après quatre ans et demi, je suis partie et je suis devenue « expert joaillerie » chez Bonhams où j’ai travaillé entre Londres et Genève pendant un an et demi. J’ai alors vécu un peu à Londres puis je suis revenue en Suisse. Je voyageais beaucoup dans les bureaux de la maison pour mener des évaluations en vue de constituer les catalogues. Finalement, j’ai pris la direction du département joaillerie chez Adam’s à Dublin.

7- Vous travaillez dans une maison de ventes aux enchères. Pouvez-vous nous raconter votre entreprise et son fonctionnement ?

Mon entreprise, Adam’s auctioneers, existe depuis 1887. C’est la plus vieille maison de ventes d’Irlande mais aussi celle qui fait référence dans le pays. Nos départements principaux concernent l’art irlandais, les montres et la joaillerie, les meubles de style et les documents historiques irlandais. Nous avons aussi parfois des ventes privées. Nous sommes uniquement basés en Irlande mais nous avons un réseau international d’acheteurs et de vendeurs.

Notre record de vente en joaillerie concerne une rivière de diamants signée Cartier (années 30) qui était estimée entre 70,000 et 90,000 $. Elle s’est finalement vendue pour 210,000 $ en mai 2015. Mais notre plus grande fierté fut une peinture d’un peintre local, Jack B. Yeats, qui s’est vue adjugée pour plus de 1,2 millions d’euros en 2011. Ce fut le plus haut prix jamais atteint pour une peinture d’un peintre irlandais en Irlande !

Lot 56 : collier en or et pierres gemmes (grenats, topazes, zircons, spinelles, saphirs), début XXe. Estimation entre 3,600 et 4,600€. Photo : Adam’s

8- Comment s’organise une journée / semaine type de travail ?

Mes journées sont rarement les mêmes et c’est exactement ce que j’aime. Bien sur, il y a une routine pour la préparation de chaque vente. Mais ici, mon travail rassemble trois à quatre fonctions qui seraient bien distincte dans une plus importante maison. Je m’occupe des évaluations pour nos clients locaux. Je voyage le plus souvent en Irlande, en Angleterre, en France et dans les plus grandes villes européennes pour estimer les pièces et voir avec les vendeurs pour éventuellement inclure leurs bijoux dans nos ventes à venir.

Une fois que ma vente est close, je commence le catalogage avec, parfois, des recherches historiques pour les lots les plus étonnants. Puis, vient le temps de la photographie avec notre photographe interne, la finalisation du catalogue et l’envoi à l’impression.

Quand celui-ci est parti chez l’imprimeur, le marketing prend le relais. Je pars à Londres rencontrer des acheteurs potentiels et leurs présenter nos plus beaux lots, je prépare les communiqués de presse pour le presse irlandaise ainsi que des encarts publicitaires pour la presse locale. La vente de mai qui arrive sera ma quatrième chez Adam’s et j’ai beaucoup d’idées pour les événements à venir… en effet quand la vente est finie, une nouvelle s’annonce ! Rien ne s’arrête vraiment et c’est bien là que réside la beauté des ventes aux enchères. Comme mon directeur me dit souvent « la douleur n’a pas de souvenir ». C’est complètement vrai, car le jour suivant, on a oublié la précédente et on travaille déjà sur celle qui arrive.

9- La joaillerie est un monde peu connue du grand public même si les choses changent progressivement. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous motive à travailler dans ce secteur et ce que vous préférez dans l’exercice de votre profession ?

C’est peut-être un peu cliché, mais je suis passionnée par la joaillerie et c’est justement l’amour des bijoux qui me motive quotidiennement. Il y a toujours quelque chose de nouveau à apprendre et chaque jour est intéressant. On ne s’ennuie jamais ! J’aime voyager et j’aime aussi être au contact de mes clients . C’est tout cela qui me motive et me donne toujours plus envie de continuer. J’aime aussi le fait de travailler dans une plus petite maison de vente car c’est aussi un défi quotidien de trouver des nouveaux clients et des lots remarquables. Du coup, je suis vraiment contente quand les pièces confiées sont vendues et quand je peux dire à nos clients que Adam’s était la bonne solution pour eux.

10- Et ce que vous aimez le moins ?

C’est un monde très masculin et c’est parfois difficile d’être prise au sérieux. C’est aussi un travail qui demande de nombreuses heures supplémentaires et je ne pourrai pas faire cela si je n’étais pas passionnée par ce que je fais.

11- Revenons à l’exercice de votre métier : quelles sont aujourd’hui les grandes tendances dans le secteur des ventes aux enchères ? Le métier ne devient-il pas plus compliquer à exercer dans le climat de sur certification actuel des pierres gemmes ? 

C’est presque une question piège pour moi car le marché irlandais est complètement différent du reste de l’Europe et particulièrement en terme de mode. Depuis que je suis arrivée, j’essaye d’apporter ponctuellement ce gout « européen » mais je dois aussi tenir compte des gouts de mes clients et du fait que les irlandais aiment les colliers de perles de culture ou les bagues paniers… lesquels sont très difficiles aujourd’hui à vendre à Londres. Ils ne prennent pas trop de risques avec la joaillerie. Par exemple, il est intéressant de voir qu’une bague diamant n’est pas forcement le choix initial pour une bague de fiançailles et que les pierres de couleurs sont très prisées ici. De manière générale, les irlandais sont connaisseurs en matière de bijoux et ils savent ce qu’ils veulent.

Au sujet des certificats, je pense que c’est un très bonne chose car ils permettent de rassurer le propriétaire et l’acheteur. J’ai malheureusement du annoncer de mauvaises nouvelles depuis que je suis en poste donc un certificat de qualité est toujours un plus ! Il y a quelques mois, une cliente est venue avec un saphir de plus de 10 carats, avec une prétendue origine birmane. En fait, cette origine ne s’accompagnait pas d’un certificat. La pierre avait été achetée il y a quinze ans et sa couleur était suffisamment saturée pour qu’elle puisse espérer une valeur importante de cette gemme sur le marché actuel. J’ai fait envoyé la pierre à Londres et la pierre s’est avérée être synthétique. J’avais eu des doutes en la voyant mais je voulais voir mon premier avis confirmé. Le passage par un laboratoire de qualité est donc une étape primordiale !

Lot 89 : bracelet rétro en or et diamant, vers 1940. Estimation entre 2,700 et 3,700€. Photo : Adam’s

12-Les ventes aux enchères se sont « glamourisées » depuis quelques années. Comment cela se gère-t-il dans la sélection des pièces et la préparation des catalogues ? 

Je suis d’accord au sujet du fait que les ventes sont devenues plus tendances et « glamour » mais ce n’est pas vraiment le cas en Irlande et c’est justement cette touche que j’essaye d’apporter. J’ai, par exemple, introduit des partenariats dans les catalogues de joaillerie et j’invite une personnalité (parfois de la mode mais pas toujours) à faire une sélection de ses pièces favorites. Cela nous permet de rendre les catalogues plus attrayant mais aussi de toucher une clientèle différente. J’essaye d’introduire des designers peu connus en Irlande comme Margherita Burgener et j’ai plusieurs autres idées pour les mois à venir. Enfin, je développe les médias sociaux car je pense que cela est crucial. Je tisse des liens avec des bloggers spécialisés dans la joaillerie et la mode. J’ai besoin que l’on parle de mes ventes en Irlande et ailleurs !

13-Quelles sont vos signatures préférées ? 

Je suis amoureuse de Suzanne Belperron. Je trouve qu’elle a survolé son époque et toujours été en avance. Aucune de ses pièces ne me déçoit et je trouve qu’elle apporte toujours un plus à la femme qui la met en valeur. J’aime aussi énormément les pièces de la maison Taffin créées par James de Givenchy. Ses créations sont audacieuses et originales, j’aimerai les posséder toutes. Je suis aussi fan de la joaillerie « pop » de Suzanne Syz, tellement chic et unique ! Et, bien sur, j’apprécie les créations de Margherita Burgener qui sait jouer avec les couleurs et s’adapter avec toutes les tendances.

14-Un moment inoubliable à partager ici : une vente remarquable, une pierre que vous n’oublierez jamais…etc. ?

Quand je travaillais dans la vente en Suisse, j’ai vendu un magnifique bracelet signé Bulgari. Serti des plus beaux rubis, saphirs, diamants blancs et jaunes… Le design était classique mais il était d’une élégance intemporelle. Remarquablement articulé, je ne pense pas que beaucoup d’artisans puissent aujourd’hui reproduire cela. Nous l’avons vendu pour presque 1 million d’euro et je ne l’oublierai jamais.

Chez Bonhams, nous avons vendu le spinelle Hope et je dois avouer que cette pièce était tellement particulière et rare que ce fut un honneur de participer à cette aventure. (La pierre fut vendue pour 1,4 millions de dollars, nda).

Lot 194 : bague Art déco en platine, diamants et zircon orange de 6,2 carats. Estimation entre 1800 et 2800€. Photo : Adam’s

15- Comment voyez-vous l’évolution de votre métier ? Internet change-t-il forcément le fonctionnement des maisons de ventes et l’attitude des vendeurs/acheteurs ?

Pour une maison de ventes comme Adams, bien connue en Irlande et à l’étranger pour ses ventes d’art mais moins pour ses ventes de bijoux, internet est un outils formidable ! Les catalogues sont accessibles en lignes comme la possibilité d’enchérir et les médias sociaux permettent une visibilité que nous n’avions pas avant. Mes ventes dépendent de cela. Certaines de mes pièces, postées sur IG, ont été vues au bout du monde et achetées par ces mêmes personnes. Cela ne serait pas possible sans internet. Nous n’avons pas de représentants dans les autres pays mais nous pouvons grâce à cela atteindre des clients partout dans le monde. Cela nous impose aussi d’être encore plus professionnel sur notre façon de cataloguer car les clients qui achètent depuis l’étranger ne se déplacent pas pour voir la ou les pièces. Ils nous font confiance et comptent sur notre expertise. Je ne peux donc pas seulement au marché irlandais pour estimer la joaillerie que nous proposons et je dois rester très à l’écoute du marché mondial. Cependant, mes clients cherchent aussi la meilleure affaire possible, c’est donc un jeu d’équilibre.

16- Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui veulent rentrer dans ce secteur ?

Je dirais que quel que soit le domaine dans lequel on souhaite évoluer, il faut faire les choses avec amour, passion et travailler dur. Bien sur connaître des gens dans un secteur aide mais si ce n’est pas le cas, il ne faut pas être timide et frapper aux portes mêmes quant elles paraissent impressionnantes. Je n’ai jamais été « aidée » pour obtenir un stage ou un travail mais j’ai toujours fait preuve de volonté et persisté pour obtenir ce que je voulais faire.

Enfin, et c’est un point très important pour ceux qui veulent rentrer dans ce secteur, je dirai qu’il est crucial d’avoir un diplôme reconnu de gemmologue mais que le plus important reste aussi l’expérience. Il faut voir des pierres, beaucoup de pierres. Des diamants comme des pierres de couleurs. Plus vous en verrez et plus vous affinerez votre intuition. Pour la joaillerie ancienne, il faut lire autant de livres que vous le pouvez. J’aime l’art et j’aime la joaillerie ; quand je me rends dans une exposition, je prête toujours une attention particulière à la joaillerie reproduite sur les tableaux. Elle reste la meilleure source de formation à l’histoire du bijou.

*****

Pour suivre Claire sur Instagram, c’est ici : @clm_adams_auctioneers

A bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

ma Bibliothèque idéale

Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.