Victoire Winckler, directrice du département bijoux & montres chez Tajan

Avr 28, 2018

Je suis heureuse de reprendre mes portraits Carrière avec une personne que je souhaitais interviewer depuis longtemps. Victoire Winckler, la Directrice du Département Bijoux & Montres de la Maison de ventes aux enchères Tajan a accepté de se prêter au jeu des questions & réponses sur son parcours professionnel. Je vous invite donc à la découvrir pour mieux comprendre son quotidien au sein de belle maison.

victoire Winkler tajan

Mme Victoire Winckler. Photo : Tajan

1- Pouvez-vous vous présentez rapidement ?

Je m’appelle Victoire Winckler, j’ai trente-deux ans, trois enfants et je dirige le département Bijoux & Montres de la maison Tajan depuis 2015.

2- Quel métier vouliez-vous exercer lorsque vous étiez enfant ?

Cela n’a strictement rien à voir avec mon travail actuel. Mais dans un tout autre domaine, j’aurai aimé être pilote de chasse.

3- Comment êtes-vous arrivée à ce poste ?

J’ai fait des études d’art et j’ai eu la chance d’avoir une amie qui a été stagiaire au département bijou de cette maison. Elle avait des étoiles dans les yeux quand elle en parlait. J’étais à la fin de mes études et il me fallait un stage pour boucler mon parcours. J’ai donc contacté spontanément M. Loic Robin-Champigneul qui s’occupait des stagiaires de l’étude (aujourd’hui Directeur des Ventes de la maison Tajan, nda). La chance a voulu qu’il recherche quelqu’un et je suis rentrée de cette façon. D’abord comme « petite main » si je puis dire, puis j’ai voulu rester et j’ai posé la question pour savoir si cela pouvait se faire. Je commençais à vraiment aimer les bijoux et mon travail me passionnait. Il y avait la possibilité d’avoir un poste au département. J’ai donc commencé à travaillé plus étroitement avec Géraldine Richard qui est aujourd’hui consultante du département Montres et Gabrielle Moral qui dirigeait à l’époque le département bijoux. Donc en stage, puis un CDD, puis en CDI et depuis 2015 à la direction du département. J’ai évolué progressivement dans la maison depuis 2009.

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Vente 1653 – lot 96 : bague diamant en or gris rehaussée d’émeraudes. Travail français. Poids du diamant : 3,83 carats. Le diamant est accompagné d’un avis du Laboratoire LFG énonçant selon son opinion : couleur G, pureté VS2. Vendue 48 750 €. Photo : Tajan

4- Quelles études avez-vous suivi

J’ai fait une faculté d’arts plastiques à Paris 8. Mais c’était trop large, généraliste et pas assez spécifique. Cela était difficile de choisir un domaine après. Mais cela m’a permis de comprendre que je ne voulais pas travailler en galerie par exemple. Ensuite, j’ai intégré l’EAC en médiation culturelle en année professionnalisante. Et c’est à la fin de cette année que j’ai intégré Tajan en stage.

5- Et plus spécifiquement, quel est votre parcours de formation en relation avec le domaine de la joaillerie et de la gemmologie ?

La joaillerie, je l’ai apprise dans la maison Tajan, en relation avec nos différents experts. Mais j’ai suivi le parcours de l’ING en cours du soir et en session intensive. J’ai commencé cela alors que j’étais chez Tajan. Je voulais rester, mon profil les intéressait et je progressai rapidement sur le domaine de la bijouterie / joaillerie. Je souhaitais donc me spécialiser encore plus. Et il était nécessaire d’obtenir un diplôme dans la spécialité que je convoitai.

6- Pourquoi les bijoux et pas un autre domaine ?

Certainement par hasard, du moins au départ. Grâce à cette amie qui m’avait parlé de son stage absolument formidable. Mais j’ai toujours eu une sensibilité particulière pour les bijoux. Bien que je n’ai personne dans ma famille dans ce domaine particulier. Mes parents m’ont inculqué le gout des belles choses et des beaux objets, de l’art, des tableaux et surtout de la transmission familiale autour des bijoux. De plus le bijoux englobe l’Histoire et c’est un domaine qui me passionne. Les pièces de joaillerie racontent beaucoup de chose sur une période, sur une personne. Elles en disent long sur une famille et sur un univers.

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Vente 1653 – lot 180 : importante bague rubis et diamants, vers 1910. Monture en platine. Poids du rubis : 5,22 carats environ, il est accompagné d’un rapport du laboratoire SSEF énonçant selon son opinion : origine Birmanie, sans trace de traitement thermique.Vendue 171 000€. Photo : Tajan

7- Rentrons plus dans le vif du sujet, existe-t-il une journée ou une semaine type ?

C’est une question difficile car tout dépend de la période dans laquelle nous sommes : la préparation du catalogue, les rendez-vous clients avec des personnes qui viennent nous présenter des pièces pour une éventuelle vente, le moment des expéditions.

Quand nous sommes dans le temps de l’expertise, il y a tout un contexte relationnel à mettre en place. Le bijou, c’est particulier et intime. On touche à l’affect. Beaucoup de nos clients particuliers ne sont pas dans une simple démarche de vente. Car vendre un bijou n’est pas complètement anodin et les raisons – souvent – multiples : raison financière, financement d’un nouveau projet… Il faut être très précautionneux avec les gens et les traiter de manière individuelle, rentrer dans leur histoire, leur montrer que nous prendrons soin de cet objet en particulier, que ce n’est pas une simple marchandise. Il y a donc des journée avec un rythme effréné de rendez-vous et d’expertises.

Il y a toute la partie communication où nous passons du temps avec Romain Monteaux-Sarmiento (Directeur de la Communication, nda) et Julie Garcia (Digital et Webmarketing, nda) pour savoir comment mettre en avant les ventes. Nous réfléchissons alors a des supports d’annonces, à des partenariats, à des publicités ciblées.

Il y a toute la partie cataloging, où je passe des semaines au studio photos pour faire des compositions qui intégreront notre catalogue. Beaucoup de choses rentre en compte dans l’élaboration du catalogue : le client mais aussi le prix de la pièce, son esthétique.  Les pièces sont photographiées en planche et non à l’unité. Il faut donc réfléchir, essayer et se décider assez rapidement car les délais sont souvent courts.

Enfin la partie exposition et vente. Nous avons un vrai rôle de conseil auprès des clients, qui ont besoin que nous soyons à leur écoute. Nous devons entendre leurs recherches, tous ne sont pas des collectionneurs ou des grands marchands avec un goût sûr et affirmé. Un particulier qui recherche une pierre, par exemple, souhaite être orienté. Les clients qui ont vu une pièce en photo mais qui finalement souhaitent autre chose. Et puis les journées effrénées de ventes, avec les enchères, les prises de téléphone. Mais c’est un moment palpitant qui concluent des semaines voir des mois de travail. Donc, en réalité, nous avons de très nombreuses journées types qui se répètent tous les trimestres puisqu’au département Bijoux & Montres, nous avons quatre ventes par an.

8- Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous motive à travailler dans ce secteur et ce que vous préférez dans l’exercice de votre profession ?

C’est d’abord la découverte de nouvelles pièces quand des clients nous les apportent. Il y a de tout mais c’est fabuleux de découvrir quelque chose et de nouvelles pierres à chaque fois.

Chaque objet est particulier et singulier, et ça c’est vraiment magique. Deux diamants peuvent se ressembler et être pourtant si différents. Ils sont unique et c’est ce qui est beau dans le bijou. Et puis chaque personne est unique aussi. Il y aussi la magie des enchères, on peut y trouver quelque chose que n’aura pas votre voisin / voisine. Ce moment de la vente est palpitant, le coeur s’emballe, quand on est au téléphone avec les clients. On a presque l’impression d’enchérir pour nous, il y a une effervescence. On est tenu en haleine par le résultat final de la vente. J’aime particulièrement le coté cataloging, création. C’est la carte de visite de la vente, de la maison. C’est un élément essentiel chez Tajan. Ici, nous tenons à faire des catalogues de grande qualité, comme des livres d’art pour mettre en valeur les pièces, pour les clients, pour leur montrer le soin que nous apportons à leurs objets. Parce que sans les vendeurs, il n’y a pas d’acheteurs et inversement ! Et c’est ce qui représente tout le travail que nous avons fourni dans les semaines qui précédent.

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Vente 1616 – lot 293 : importante bague ornée d’un saphir rectangulaire en châton à double griffes épaulé de deux diamants troïdia. Poids du saphir : 7,89 carats, il est accompagné d’un certificat du Laboratoire SSEF énonçant selon son opinion : origine Cachemire, sans trace de traitement thermique et d’un avis du Laboratoire GEM PARIS énonçant selon son opinion : origine Cachemire, sans trace de traitement thermique. Vendue 309 000€. Photo : Tajan

9- Et ce que vous aimez le moins ?

La partie la plus compliquée reste pour le département celle qui concerne le « shipping », c’est à dire l’expédition des marchandises à travers le monde. Aujourd’hui avec internet, on peut acheter de partout et cela demande de faire très attention au droit et aux règles de chaque pays pour ne pas créer de soucis pour les acheteurs lors du passage de la douane. Chez Tajan, nous n’avons pas de département dédié donc chaque département reste en charge de l’expédition de ses propres objets. S’il faut donc citer un point moins passionnant que les autres, c’est certainement la lourdeur administrative liée à cette étape.

10- Comment décririez-vous votre métier en 2018 ? Les ventes sont plus glamour, plus internationales : comment gère-t-on ce contexte international au quotidien ? 

Il faut beaucoup de souplesse, s’adapter à chaque client et à sa culture. Une fois le catalogue en ligne, nous sommes visibles de partout. Mais on ne va renier cette merveilleuse visibilité. Mais elle peut être à double tranchant. La parole donnée n’a plus la même valeur aujourd’hui que par le passé. Ce qui était le cas il y a plusieurs années. Un expert donnait son point de vue et cela faisait foi. Désormais on ne jure maintenant que par les certificats. Par exemple, chez Tajan, dès que nous vendons un diamant de plus d’un carat, nous le faisons certifier par le Laboratoire Français de Gemmologie (LFG). La parole de l’expert est importante mais pas toujours suffisante pour rassurer un éventuel client. Les gens recherchent du naturel, du non traité, presque du « bio » en quelque sorte : des perles fines, des pierres non chauffées, très peu incluses. L’aspect financier et la notion « investissement » est très important dans le contexte actuel des ventes aux enchères. Les acheteurs particuliers veulent être rassurés, avoir des garanties sur la possibilité de revente. Aussi, une pièce signée est souvent un gage de qualité. Les professionnels fonctionnent différemment car ils possèdent déjà une connaissance très fine du marché.

11- Revenons à un sujet plus léger. Avez-vous une signature que vous préférez ? Des périodes que vous aimez ? 

Chez Tajan, et je parle en mon nom et au nom de toute l’équipe, nous avons un énorme coup de cœur pour les bijoux anciens art déco. Nous avons véritablement le cœur qui s’emballe dès que nous en voyons. L’Art déco reste un gage de qualité, de savoir-faire qui se perd, sauf dans la très haute joaillerie. Ce sont des bijoux qui nous plaisent immédiatement. Quand nous les manipulons, il y a une telle excellence dans la réalisation, une telle finesse de travail, que nous ne pouvons qu’être qu’admiratif.

Pour les signatures, je citerai Boivin et Belperron, que j’ai découvert en entrant au département. C’est fabuleux de trouver des bijoux si forts et si peu copiés. Il suffit d’en voir un et on sait qu’il y a une forte probabilité que ce soit un de ces deux grands créateurs. Belperron disait « mon style est ma signature », elle ne signait pas tout, nous devions être capable de la reconnaitre. Elle était fabuleuse, une femme dans un milieu d’homme. Et puis suivent pour moi les grandes maisons Van Cleef & Arpels, Cartier, Boucheron. J’aime plus particulièrement la période qui va de l’art déco aux années 50. Je me dois de citer Mellerio pour les bijoux anciens qui possèdent une facture incroyable que j’apprécie particulièrement. Cela peut sembler classique, Mais ces grands noms perdurent aujourd’hui encore.

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Vente 1522 – lot 262 : Important bracelet Suzanne Belperron, vers 1936. Il est constitué d’un motif bombé à l’imitation d’un coussin rehaussé de rubis et de diamants taille brillant. Travail français. Le bracelet est accompagné d’un certificat d’authenticité de Monsieur Olivier Baroin. Un des rubis a été testé par le Laboratoire GEM PARIS énonçant selon son opinion : origine Birmanie, sans trace de traitement thermique. Ce lot fait partie d’une parure dont les différentes pièces ont été vendus séparément dans la vente. Vendu 175 960€. Photo : Tajan

12- Un moment inoubliable à partager ici : une vente remarquable, une pierre que vous n’oublierez jamais…etc. ?

Quand nous faisions nos ventes à Monaco, nous avons eu un collier de perles fines, anciens, assez abimés. Il aurait eu besoin d’être pelé (opération qui consiste à retirer la couche superficielle d’une perle fine endommagée pour lui redonner son éclat. Ce savoir-faire est quasi disparu désormais. nda). Son estimation était de 8000 €. A la vente, une effervescence s’est emparée de la salle et des acheteurs qui étaient aux téléphones. Finalement ce bijou est parti à plus de 200.000 €, c’était spectaculaire. Je me souviens bien de cette vente car je venais de débuter dans le métier. La cliente a été ébahie par ce résultat. Nous étions au début de cette nouvelle ère des perles fines. C’était émouvant de vivre ce moment.

13- Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui souhaite faire le même métier. A quoi faut-il prêter attention ? 

Il faut savoir saisir sa chance et la créer. L’industrie de la joaillerie est un monde fabuleux, mais il faut s’accrocher, être très ouvert et très rigoureux car le bijou est un objet délicat. Il faut s’adapter au client, l’écouter lui et son histoire. Car un bijou se porte et se veut un objet intime. Il a traversé les âges et les modes. La question émotionnelle est très importante. On ne peut pas dissocier le bijou du coté humain qui est extrêmement important. Mais pour ça, il n’y a pas de formation. C’est une question d’attitude personnelle et d’éducation.

Je crois que cela dépend des gens, il faut donc savoir rester humble. Ici on travaille en équipe avec un expert qui a de très nombreuses années d’expérience, qui a travaillé avec Françoise Cailles et qui sait expliquer comme transmettre. S’adapter aux clients demande de savoir apprendre à gérer la déception. Savoir refuser une pièce qui ne se vendra pas plutôt que de la brader n’est pas un acte anodin. Il vaut mieux la transformer ou la transmettre. Pour cela il faut connaitre les bijoux, les techniques de fabrication. Une base en bijouterie peut également être un préalable.

14- J’ai envie de terminer cet entretien avec un question sur l’avenir. Aussi, j’aimerai savoir si vous feriez un pari sur l’avenir avec certaines signatures. Quelles sont les maisons qui pourraient battre des records d’enchères dans les années qui arrivent ?

Cette question est assez compliquée car il est difficile de prévoir l’évolution du marché. Les clients veulent des signatures, des pièces uniques et assez importantes. Les pièces modernes intéressent peu actuellement. Les acheteurs recherchent une facture, un savoir-faire. Une pièce qui représente un investissement minimise les risques. Même quand c’est un coup de cœur.

Alors je ne sais pas si c’est un pari, mais un des premiers beaux bijoux que j’ai vu était un Mellerio et j’ai une affection particulière pour cette maison. Je rêverai qu’ils reprennent dans les enchères une véritable visibilité. C’est une très belle maison, avec une belle émotion, une remarquable facture. J’ai visité un jour les archives et j’ai tellement aimé ce lieu. Je garde un souvenir ému de cette visite. Je voudrais vraiment qu’elle revienne plus sur le devant de la scène des enchères.

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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