Chez Christie’s, François Curiel et Violaine d’Astorg racontent le bijou

Nov 17, 2018

Il y a quelques mois, le département joaillerie de la maison Christie’s Paris changeait de visage avec l’arrivée de la pétillante Violaine d’Astorg à la tête de celui-ci. Après une longue expérience de directrice de la joaillerie pour la maison Osenat de Fontainebleau, elle prenait la direction de l’un des départements joaillerie les plus en vus de Paris avec un objectif : continuer son développement pour rendre les ventes de la maison encore un peu plus inoubliables. Avec un premier très beau rendez-vous, la vente joaillerie du 4 décembre 2018. C’est dans cette optique que nous avons eu envie de rencontrer la nouvelle Directrice Joaillerie de la maison mais également François Curiel, Président Europe et Asie pour évoquer leurs carrières respectives, la place de Paris sur le marché du bijou, la façon de constituer un catalogue mais également la vente de décembre dont les signatures Boivin et Belperron brilleront de mille feux grâce à des pièces nombreuses et rares.

françois curiel, violaine d'astorg, christie's

François Curiel et Violaine d’Astorg. Dans les mains de François Curiel, le diadème de la maison Bapst & fils estimé entre 150,000 et 200,000 €. Photo : Marie Chabrol

1- Avant de démarrer cette interview, nous avions envie de resituer pour nos lecteurs la place de Paris sur le marché des bijoux. La capitale française reste une place de choix même si c’est Genève qui demeure la ville de référence pour la joaillerie en Europe. Comment cela s’explique-t-il ?

François Curiel (F.C.) : La place de Paris dans le marché du bijou s’explique par la présence des grandes maisons et la tradition française de la joaillerie. Il est donc normal d’y organiser des ventes importantes. Néanmoins, sa place demeure moindre au regard de Genève ou de New York, et ce principalement pour des raisons fiscales qui peuvent, parfois, ralentir l’appétit des acheteurs internationaux.

En Europe, c’est Genève le grand centre ; pour des raisons fiscales évidentes. La première vente a eu lieu en mai 1969. J’aimerai vous dire que c’est pour des raisons stratégiques mais en réalité, c’est un hasard qui a propulsé cette ville sur la place du bijou international. Peter Chance avait réussi à obtenir la vente de la collection de Nina Dyer qui avait mis fin à ses jours à Paris quelques mois auparavant. Le choix de la capitale française était impossible à cause d’une très vieille loi de 1556 qui interdisait la vente par des organismes autres que les SVV que nous connaissions jusqu’à l’ouverture du marché au début des années 2000 et l’arrivée des opérateurs tels que Christie’s. Londres était également impossible à cause d’un droit de douanes de 20% sur l’importation de bijoux. Nous avons donc pensé à la Suisse. Au départ Zurich, mais finalement Genève était réputé pour son cadre de vie agréable. Ce fut donc notre choix ! D’autant plus que les grands joailliers ont déjà, et depuis longtemps, choisi cette ville.

Cela a ravi les acheteurs et les vendeurs qui ont commencé à faire affluer des lots potentiels. Mais le catalogue était complet. Devant l’engouement, nous avons envisagé une deuxième vente, puis une troisième… Puis cinquante ans plus tard, nous organisons toujours ici nos deux grandes vacations annuelles en novembre et en mai.

christie's

Les lots 199 et 201 sont particulièrement représentatifs des belles pièces René Boivin qui figureront au programme de la vente du 4 décembre 2018. Les estimations respectives sont de 10,000 à 15,000 € pour le bracelet et de 10,000 à 12,000 € pour la broche. Photo : Christie’s

2- Comment êtes-vous entrés dans le secteur de la joaillerie ?

F.C. : Quand j’étais petit, les bijoux n’étaient pas ma passion première. Pourtant, mon père était marchand en joaillerie-orfèvrerie dans le quartier de Drouot, mais on ne parlait jamais ou alors très peu de joaillerie à la maison. Il connaissait le patron de Christie’s. Et me voila en juin 1969 en stage à Londres pour occuper mes vacances durant mes études de droit. Quelques jours avant la fin de celui-ci, un assistant d’un assistant…etc. quitte le département. Et on me propose de rester. Vous savez, à l’époque, le département bijou était tout petit et il n’y avait pas de service RH… Les choses se faisaient comme ça. Aujourd’hui ce serait impensable. J’ai donc appelé mes parents, expliqué que j’étais embauché si je le souhaitais. Ma mère aurait bien aimé que je termine mes études de droit, mais il me restait trois années d’études. C’était donc impossible. Il me fallait faire un choix. Le droit ne me plaisait pas tant que ça et je suis restée chez Christie’s. Cela fait désormais 49 ans que j’y suis !

Violaine d’Astorg (V.A.) : Je suis tombée dans ce secteur durant mes études de droit et d’histoire de l’art. J’avais un grand-père qui aimait profondément ses petits enfants et qui nous considérait comme des spécialistes en fonction de nos études. Quand il a su que je voulais travailler dans les ventes aux enchères, il m’a un jour emmené au coffre pour me montrer des bijoux qu’il souhaitait vendre. Je ne connaissais absolument pas ces pièces et ce fut une vraie découverte. J’ai donc entrepris de comprendre ses bijoux et d’en obtenir une estimation. Mais vous allez chez dix marchants et vous avez dix prix radicalement différents. J’ai donc essayé de mieux appréhender le marché, j’ai commencé à m’intéresser aux acteurs importants de celui-ci et de fil en aiguille, le bijou ne m’a plus quitté. D’abord en stage chez Tajan, puis j’ai intégré la maison Osenat où j’ai monté le département bijou. Et aujourd’hui chez Christie’s Paris depuis avril 2018.

3- Cette question s’adresse surtout à vous François Curiel. Quel fut pour vous le tournant dans l’intérêt du public pour les bijoux ?

F.C. : La vente de la Duchesse de Windsor a clairement été un événement radical dans les ventes aux enchères. Mais je dirais que déjà, un peu plus tôt, un tournant avait été franchi en avril 1984 avec la vente de Florence Gould. Jusque là, les ventes de bijoux faisaient entre 1 et 1,5 millions de dollars. Pour cette vente, ce fut une vente du soir, la première pour des bijoux et ce fut dans l’hôtel Delmonico. C’était une vente « black tie », ça ne s’était jamais fait car le soir était réservé aux ventes de tableaux. On annonce la vente, on communique de manière très importante et voila que deux jours avant nous recevons une lettre du service de défense des consommateurs de NY qui donne l’aval pour les ventes. Et qui nous explique que nous devons annuler la vente car celles concernant les bijoux ne peuvent avoir lieu que quand il y a de la lumière du jour ; parce qu’il faut que les gens puissent observer avec certitudes si les diamants sont vrais. C’était une vieille loi de 1820. Nous avons demandé une exception, nous l’avons eu, et la maison Christie’s s’est engagée à rembourser en cas de litiges. Nous avons fait 7 millions de dollars. Pour moi, c’est cette vente qui a amorcé quelque chose dans l’intérêt des acheteurs pour la provenance d’un bijou. Et puis trois ans plus tard, la vente de la Duchesse à battu tous les records chez Sotheby’s avec 50 millions de dollars. Le monde des ventes aux enchères de bijoux avait changé !

Les lots 55 et 56 sont parmi les plus beaux lots de la vente. Le numéro 55 est une broche en platine et or, diamants, améthyste, rubis. Il est estimé entre 6000 et 8000 €. Le lot 56 est un très bel exemple de René Boivin vers 1930 en or et diamants. Estimation entre 15,000 et 20,000 €. Photo : Christie’s

4- Comment se passe la constitution d’un catalogue chez Christie’s ?

V.A. : Dans une maison comme Christie’s, il y a des identités pour chaque vente. Dans le cas de Paris qui est désormais le département dont je m’occupe, je pense déjà design parisien, signatures phares de la Place Vendôme. Boivin et Belperron font désormais partis des noms intimement liés à notre département. Nous allons travailler avec des familles françaises qui sont dépositaires de joyaux remarquables. A l’image du diadème qui passera en vente le 4 décembre et provenant de la maison Bapst. Aussi, nous travaillons beaucoup sur la notion de patrimoine et de culture française. Mais les pierres très importantes et les bijoux extrêmement prestigieux partiront à Genève. Notre fil conducteur, c’est véritablement d’obtenir le meilleur prix pour notre client. Aussi nous n’hésitons pas à exporter. Un catalogue parisien est principalement composé de vendeurs européens. Mais la TVA française rend quasi impossible de convaincre un vendeur américain ou asiatique. Cela dit, pour décembre, nous avons presque 30% du catalogue qui n’est pas franco-français. C’est très élevé et c’est une bonne surprise. Preuve que Paris reste aussi un lieu de vente important et que les acheteurs hors France nous font confiance pour bien vendre leurs bijoux ici. Comme nous le disions, l’aura de Paris est extrêmement importante.

F.C. : Je rebondis sur les propos de Violaine. Effectivement, il faut bien avoir en tête que les bijoux voyagent. Selon les pièces et le moment de l’année où ils arrivent chez nous, nous allons ensuite les aiguiller vers le meilleur endroit pour se vendre. Et puis, il faut également tenir compte des impératifs des vendeurs. Enfin, Il ne faut oublier la diffusion du catalogue. Vous venez à Paris mais vos pièces vont êtres visibles à New York, Londres, Hong Kong….etc. C’est un vrai plus pour les vendeurs de savoir que leurs bijoux vont être vus partout. Et puis internet a en plus tellement changé les pratiques.

5- Qu’en est-il du poids des restaurations dans une estimation et dans quelle mesure cela peut-il influer votre choix d’inclure ou non une pièce dans le catalogue ?

V.A. : Chez Christie’s, nous annonçons la totalité des réparations et des restaurations. Mais si les matières principales sont là et en bon état, c’est aussi ce qui va primer. Par exemple, un bijou avec un saphir birman. Si celui-ci a été très réparé mais que la pierre n’a pas subit de dommages, c’est la pierre qui donne l’estimation. Par contre, pour certaines pièces, il faut absolument que celles-ci soient vierges d’intervention pour obtenir un certificat d’authenticité. C’est le cas sur le René Boivin où Françoise Cailles est particulièrement pointilleuse avec l’état des pièces. Aussi, nous nous appuyons énormément sur l’avis des experts avec lesquels nous travaillons.

F.C. : Il y a aussi des bijoux que l’on ne prend pas car il y a eu trop de modifications. Si l’objet a été trop transformé, il n’a plus véritablement d’intérêt. C’est souvent le cas avec des bijoux avec des centres importants. Dont les pierres ont été changées. Il faut donc garantir la qualité Vendôme des pièces signées de maisons et si celle-ci n’est plus au rendez-vous et qu’il ne reste qu’une signature… Il peut être compliqué de valoriser un bijou.

Les lots 63 et 64 sont de très beaux bijoux de type Art Déco. Le premier est un bracelet en or, diamants, onyx et aigue-marine dans un écrin de forme Fouquet. Son estimation va de 20,000 à 40,000 €. La broche est signée de Raymond Templier, elle est en or, cristal de roche, émail et diamants. Son estimation va de 6000 à 8000 €. Photo : Christie’s

6- La provenance a désormais une importance cruciale pour de nombreux acheteurs. Est-ce que le story-telling a trop d’importance dans la valorisation d’un bijou ?

V.A. : Chez Christie’s, c’est vraiment la pièce avant tout le reste. La provenance est importante mais on ne peut pas mentir sur la qualité d’une pièce. Si l’histoire de celle-ci est indissociable, elle est néanmoins compliquée à chiffrer. C’est ça aussi qui est passionnant dans notre métier, car entre l’estimation et le coup de marteau, il y a un monde inconnu fait de désir et de volontés de collectionneurs. Et entre ce que l’on pense et ce qui se réalise, on est souvent extrêmement surpris et de manière très positive !

F.C. : Désormais la provenance est très demandée dans les ventes. Elle joue un rôle mais on laisse les acheteurs décider. Chez nous, l’estimation est basé sur la valeur intrinsèque de la pièce, le métal et les pierres et éventuellement la signature si elle existe. Nous laissons la provenance car c’est un facteur que l’on ne peut quantifier. Mais on sait que celle-ci va fortement influer sur le prix final. Par exemple avec les bijoux de Elizabeth Taylor, ce fut absolument incroyable.

7- Quelle est le rôle des maisons de ventes dans l’augmentation de la côte d’un artiste ?

V.A. : Un objet amène toujours un autre objet. Quand le Boivin et le Belperron ont commencé à réapparaitre sur le marché, nous avons assisté à une montée du nombre de pièce de ce type disponible. Par contre, l’estimation est toujours juste par rapport à la matière, à la signature, par rapport aux derniers référentiels des résultats de ventes. Ensuite l’engouement des acheteurs ne se décide pas. Nous, nous sommes là pour faire le maximum pour nos clients, notre rôle est de porter les pièces et de les emmener au maximum de ce que l’on peut faire. Nous sommes ainsi lecteur du marché, acteur aussi car on construit des ventes et puis spectateur au moment du coup de marteau. Bien sur, nous avons une certaine maîtrise mais nous sommes néanmoins spectateurs des résultats et d’une possible envolée des enchères.

Les lots 251 et 252 montrent combien la couleur était importante chez René Boivin et Suzanne Belperron. La bague en or, rubis, saphirs et émeraudes (Belperron) est estimée entre 15,000 et 20,000 €. La broche Boivin en or et émeraude est, elle, estimée entre 20,000 et 30,000 €. Photo : Christie’s

8- Quel est votre meilleur souvenir de vente ?

F.C. : Le meilleur, je crois que c’est la vente d’Elizabeth Taylor. Quand on me demandait ce que j’aimerai expertiser, je disais souvent les pièces de la Reine d’Angleterre, mais ça – je crois – que ça n’arrivera pas et puis les pièces de Mme. Taylor. Et puis, un jour, on nous appelle pour voir ses pièces. Donc, en 2002, j’ai été amené à aller faire un inventaire des pièces pour ses assurances. Je me suis rendu à Los Angeles car il fallait mettre à jour ses listes de bijoux. Nous sommes donc allées dans sa maison, nous commençons à travailler à 9 heures du matin et puis vers 11 heures, j’ai entendu du bruit au 1er étage de la maison. Dans la pièce dans laquelle nous étions, il y avait un grand escalier à l’américaine, incroyable, et la voila qui descend habillée avec un majestueux caftan. Elle s’est alors assise à coté de nous toute la journée pour commenter ses bijoux. Elle les connaissait par cœur : «Ça c’est un cachemire, il parait Ceylan, mais j’ai le certificat de la SSEF»… Elle s’est mise à parler de ses bijoux car elle les aimait tellement. Puis elle m’a sorti des pièces Art déco signées de Yard, et d’un coup elle a dit : «Je vais vous montrer des pièces d’un bijoutier que vous ne connaissez surement pas» et elle amène une pièce de JAR. Elle ajoute : «c’est un américain qui habite à Paris, il est à coté de la place Vendôme dans un tout petit bureau et il est épatant». Ma journée avec Elizabeth Taylor reste mon plus beau souvenir.

V.A. : J’ai adoré le pouvoir de l’histoire sur les pièces. Nous rejoignions ce que nous disions sur la provenance. Le souvenir de la bague de fiançailles de Napoléon reste gravé dans ma mémoire. Quand nous avons reçu chez Osenat cette bague avec ce saphir et ce diamant, nous avons fait une estimation entre 10,000 et 15,000€. Et la pièce est partie pour 900,000 €  avec les frais. Et là, il y a un phénomène durant la vente. Ce n’est pas la matière que nous avons vendu mais clairement l’histoire. C’est le pouvoir des enchères.

À bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

ma Bibliothèque idéale

Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.