Niché dans une cour du IXe arrondissement se trouve l’un des plus anciens ateliers lapidaires parisiens. La maison Lemercier qui a vu le jour à la fin du XIXe siècle, en 1893 avec Paul Edmond Lemercier, travaille toujours pour les plus grandes maisons de joaillerie, qu’elles soient françaises ou internationales. Avec une spécialité : la taille et l’ajustage sur œuvres des pierres qui entrent dans la composition des bijoux les plus prestigieux.
Derrière les grandes façades du 9e arrondissement de Paris se cachent souvent des pépites. A force de nous suivre dans nos pérégrinations joaillières, vous allez presque connaitre aussi bien que nous cet arrondissement où l’industrie de la joaillerie a posé, voila longtemps, ses valises, ses hommes, ses femmes, ses machines et son savoir-faire. Une grande porte cochère, puis un jardinet discret où s’entremêlent vélos et géraniums. Nous grimpons quatre à quatre les marches de l’immeuble où nous avons rendez-vous avec Damien Lemercier, directeur de l’entreprise éponyme depuis que son père la lui a transmis début 2018.
M. Damien Lemercier dans l’atelier en compagnie de l’un de ses lapidaires. Photo : Michel Rubinel
Grand, souriant et bien dans son époque, Damien Lemercier est présent depuis de nombreuses années dans l’entreprise familiale : « Je suis arrivé il y a neuf ans maintenant. Je suis venu ici pour me former et apprendre. C’était mon choix. J’ai passé mon CAP à la BJOP (aujourd’hui HEJ, nda). Ma formation est exactement la même que celle que nous dispensons à nos apprenti(e)s actuel(le)s. On ne forme pas pour que les gens partent après, notre objectif est qu’ils restent le plus longtemps possible. » A la question de savoir si rejoindre l’entreprise de son père était un choix naturel, Damien reconnait que « ce n’était pas évident ». De prime abord intéressé par une formation en ingénierie ou en architecture, il recherche quelque chose qui mélange technique et coté artistique : « Avec les pierres je cumulais tout ça, j’avais le sentiment d’être autant dans l’apprentissage que dans la productivité. Je me suis donné six mois pour voir ce que ça donnait. Et je ne suis jamais parti ! » ajoute-t-il en riant.
L’atelier regorge de matières aussi étonnantes qu’enthousiasmantes qui attendent d’être travaillées par les lapidaires de la maison. Ici, de l’agate blanche. Photo : Marie Chabrol
Ici, plusieurs pierres qui attendent d’être retaillées. Photo : Marie Chabrol
L’entreprise Lemercier fait partie de ces entreprises françaises dont le savoir-faire s’est enrichi et renforcé décennie après décennie. Ainsi que l’explique très justement Damien en déclarant : « C’est ce qui m’a plu ici quand j’ai découvert de manière plus intime l’entreprise de mon père. Si nous n’avions fait que de la pierre à facettes, je ne suis pas sûr que je serai resté. Mais il y avait tellement de choses et l’entreprise a toujours été précurseur dans ses réalisations. Elle sait répondre aux commandes complexes et atypiques. Ici les challenges ne nous font pas peur, c’est d’ailleurs ce que l’on préfère. Je suis arrivé à une période où le métier vivait des changements dans les modes de fabrication. Quelques années après, nous avons investi en intégrant l’usinage pour des tailles complexes ou de répétition. Car ce métier, s’il ne peut se passer de la main humaine, fait néanmoins face à des évolutions technologiques assez stupéfiantes ! »
Une taille spéciale en cours de réalisation, c’est la spécialité de la maison Lemercier. Photo : Marie Chabrol
Fixation d’une pierre avant sa taille sur mesure. Photo : Marie Chabrol
Si l’entreprise peut se permettre de travailler sur des toutes petites pierres facettées, à partir de 8/10e, elle a très vite compris que la pierre ornementale (lapis-lazuli, agate, malachite…etc.) allait reprendre une place importante sur le marché et qu’il fallait être prêt à répondre aux demandes des clients de la maison. D’ailleurs ni Marc, ni Damien Lemercier n’ont eu tort à ce sujet. Les cinq dernières années nous ont permis d’admirer des pièces de haute joaillerie où les pierres anciennement dites « dures » sont désormais parfaitement assorties aux gemmes facettées les plus rares : tourmalines de type Paraïba, grenats tsavorites, émeraudes, rubis et même diamants se mélangent audacieusement et apportent un contraste et une fraîcheur bienvenus dans les collections. Ainsi « nous avons initié très tôt des partenariats et des collaborations étroites avec des usines lapidaires basées hors de France, en Allemagne par exemple, où nous avons poussé le développement de techniques et de machines-outils. Nous avons imaginé des projets toujours plus complexes, plus techniques. En initiant une forme de département R&D au sein de Lemercier, nous avons pu proposer à nos clients des choses inédites dans la haute joaillerie. Nous avons aussi pu répondre à une demande de répétition des maisons pour des séries et ainsi fournir une matière suivie tant dans les formes et que les couleurs. C’est l’une des grandes forces de notre maison qui a certes su garder sa trame artisanale mais qui aujourd’hui peut répondre à des demandes provenant des chefs de produit dont la plupart sont souvent ingénieurs de formations » ajoute Damien Lemercier, qui complète : « j’aime l’idée que l’on associe l’entreprise Lemercier à son niveau de qualité et d’exigence. »
De très nombreuses matières pour répondre à toutes les demandes. Photo : Marie Chabrol
Ici, des feutres pour le polissage des pierres. Photo : Marie Chabrol
En terme de propositions, la maison peut répondre à peu près à toutes les demandes : facettes, cabochons, gravure sur pierres mais également sculpture. « Nous achetons du brut pour travailler. Ce peut être des pierres ornementales mais également des bruts d’exception pour des tailles à facettes ou complexes. Cette spécificité est nécessaire pour la réalisation de pièces particulières : améthystes, agates, cristal de roche, aigues-marines, turquoises…etc. Nous partons de la matière brute pour coller à la commande de notre client. Mais nous effectuons également des travaux de retaille à partir de pierres qui sont fournies par nos clients. » C’est cette manière de concevoir leur activité de lapidaire qui lui permet de travailler avec les plus grandes marques de joaillerie. « Voila deux ans, nous avons intégré un centre d’usinage en interne car cette technologie fait indéniablement partie de l’avenir du métier. C’est notre investissement le plus important de ces dernières années. C’était un vrai risque financier, humain et technique. Mais il a suscité l’intérêt de nos clients et ils ont répondu présents. On peut, grâce à cela, proposer des ajustages très complexes qu’il serait difficile de faire à la main. On peut ainsi ébaucher en machine puis terminer à la main. »
La maison Lemercier est force de propositions, aussi elle est capable de proposer des matières très différentes à ses clients. Photo : Marie Chabrol
Aussi la maison a toujours travaillé pour les plus grands noms de la joaillerie. Et ce depuis sa création. Et pourtant la maison transmise de père en fils , « il y a eu Pierre-Edmond, Paul, Marc et maintenant moi-même » explique Damien Lemercier, n’a que peu d’archives. Elle conserve cependant un petit trésor avec un carnet de croquis provenant de l’arrière grand-père où celui-ci dessinait toutes les pièces qui passaient dans son atelier. On note que la demande de l’époque concernait quasi uniquement du calibré avec des rubis, des saphirs et des émeraudes : « j’aime particulièrement un petit clip représentant une voiture, signe que cette nouvelle forme de circulation, était absolument révolutionnaire. » Un clin d’oeil touchant à une époque où l’on rêve, nous, de faire sortir les voitures des villes !
Ce croquis représente une petite voiture sur lequel il a fallu ajuster 16 rubis. Vers 1908. Photo : Marie Chabrol
Une longue histoire de famille qui remonte à 1893. Photo : Marie Chabrol
Aujourd’hui, l’entreprise Lemercier compte une quinzaine de personnes partagée entre administratif et atelier. Alors que Damien Lemercier a repris les rênes de la maison depuis presque deux ans, son père – Marc – vient d’officialiser son départ pour la fin de l’année 2019. « La transmission s’est faite en douceur et très progressivement. Il s’est habitué à déléguer et j’ai pris au fur et à mesure plus de responsabilité. Il est très heureux de partir à la retraite mais je ne doute pas un instant qu’il continuera à venir saluer très régulièrement son équipe ; sa famille professionnelle devrais-je même dire » complète celui qui est désormais dépositaire du destin de l’entreprise.
Détail d’une broche dans les archives de la maison sur laquelle il a fallu tailler quinze rubis et neuf émeraudes. Photo : Marie Chabrol
Etape de taille d’un onyx dans l’atelier. Photo : Marie Chabrol
Et justement, qui dit destin d’une entreprise artisanale de cette envergure, dit aussi recrutements. Un sujet sensible dans les métiers manuels qui peinent parfois à recruter. « L’entreprise s’est spécialisée dans les demandes complexes, c’est aussi sur cette spécificité que nous nous appuyons pour recruter. Nous avons ici des profils qui aiment la difficulté et le challenge permanent. Notre politique de recrutement passe donc d’abord par la formation et la transmission. On essaye de former un jeune tous les trois ans environ. » D’ailleurs, la maison reconnait ne pas avoir de trop grosses difficultés à trouver des jeunes gens motivés par ce métier si particulier. Non, le point faible dans le recrutement est sa localisation explique Damien Lemercier : « Paris est une ville certes formidable mais aujourd’hui plus de 80% de nos effectifs sont à plus d’une heure aller-retour de la capitale. Ils sont souvent basés loin en banlieue, par choix. La plupart de nos lapidaires aiment le calme et la nature. C’est certainement dû au métier qui exige une grande concentration. Et ce luxe est quasi impossible à trouver à Paris compte tenu des prix dans la capitale. Mais du coup, faire venir des gens extérieurs à la vie parisienne et à ses inconvénients est toujours compliqué. Parallèlement, cet éloignement géographique de nos salariés fait parti de nos défis en terme de management. » Un argument pleinement actuel à l’heure où la ville, qui perd désormais des habitants, doit se réinventer pour continuer à séduire.
Dans l’atelier. Préparation des dopps, ces batons en bois qui permettent de fixer les pierres. Photo : Michel Rubinel
Dans l’atelier, des matières par centaines attendent sagement. Ici, du bois fossilisé. Photo : Marie Chabrol
La maison Lemercier fait partie de ces entreprises françaises remarquables. Elle excelle dans l’art lapidaire et contribue à la réalisation de pièces de hautes volées. Dont nombres peuvent être admirées semaine de la mode après semaine de la mode. Que nous réservera-t-elle dans les années à venir ? Certainement des pièces incroyables. L’avenir semble s’annoncer sous les meilleurs auspices, nul doute que dans ce petit coin caché du 9e arrondissement, les lapidaires à l’oeuvre sauront répondre positivement aux défis les plus improbables. Et nous avons déjà hâte d’admirer les futures réalisations !
À bientôt !