En novembre 2018 avait lieu la première vente bijoux Sotheby’s France. Une première depuis douze ans. Une manière pour la maison de célébrer les 50 ans de son installation en France et ses 20 ans dans ses bureaux historiques de la Galerie Charpentier, un ancien et superbe hôtel particulier de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Alors que la vente du 29 octobre 2019 s’annonce, et que les deux dernières ventes ont totalisé 4 millions d’euros chacune, nous avons eu envie de rencontrer Mme Magali Teisseire, Directrice du Département Bijoux de Sotheby’s France pour qu’elle nous explique pourquoi la maison a décidé de rouvrir les ventes aux enchères de bijoux à Paris. Nous vous invitons à noter également l’exposition événement qui précédera la vente et qui présentera vingt pièces issues de la collection privée des membres de la famille Buccellati. A ne pas manquer !
Mme Magali Teisseire, Directrice du Département Bijou de Sotheby’s France. Photo : Sotheby’s
Depuis maintenant plusieurs années, nous assistons à une montée en puissance des belles ventes de bijoux parisiennes. Si la Capitale a toujours proposé des ventes de ce type, ce n’est que récemment que les maisons aux enchères les plus qualitatives ont fait évoluer leurs politiques sur la place parisienne. Si la ville lumière n’égale pas Genève ou même Hong Kong, principalement pour des raisons fiscales, il n’empêche que les catalogues de maisons telles que Sotheby’s, Christie’s ou Artcurial offrent des perspectives remarquables pour les amoureux et les collectionneurs de pièces rares. Ainsi la vente inaugurale de Sotheby’s proposait, entre autres, des pièces provenant de très belles maisons et collections : la succession Zizi Jeanmaire, des bijoux Boivin ou Gérard, mais également un rare saphir du Cachemire de plus de 12 carats.
Lot 11 – Broche/pendentif émail et diamants, vers 1899. Le médaillon ovale orné d’émail multicolore guilloché, décoré des chiffres romains XIX et XX rehaussés de diamants taille rose, dans un entourage floral serti de diamants taille ancienne et rose, surmontant une citrine taille poire détachable. Estimation : 3,000 EUR – 4,000 EUR. Photo Sotheby’s
1- Pourquoi avoir relancé les ventes à Paris ?
Il faut savoir que le département existait malgré la non-organisation de ventes in situ. A ce sujet, le département de Paris exportait jusqu’à présent la totalité des pièces qu’il recevait et il exportait de manière très importante car de très nombreux objets passaient par celui-ci. Réalisant au passage plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaire de manière quasi invisible pour le grand public. Aussi il y avait et il y a toujours de la matière. Comme disent les anglais avec l’expression « Business getting », le marché parisien est porteur car la France est une sorte de coffre à trésors permanent pour les bijoux avec de fortes identités. Il y avait donc l’envie de recréer une dynamique sur Paris tant avec l’organisation de ventes, qu’elles soient sur place comme en ligne. J’avais une bonne connaissance du digital pour les ventes aux enchères, ce qui a séduit la maison dans sa décision de me recruter. Nous allons organiser notre troisième vente en octobre 2019, en s’appuyant sur les jolis succès des deux précédentes qui ont confirmé l’intérêt des acheteurs pour la place parisienne.
Lot 15 – Collier/broche émail et perle d’eau douce, René Boivin, vers 1900. La broche/pendentif à décor de fleurs de datura ornée d’émail plique-à-jour retenant une perle d’eau douce, poinçon de maître pour René Boivin. Estimation : 7,000 – 10,000 EUR. Photo : Sotheby’s
2- Est-ce que l’argument récurrent sur la fiscalité française que beaucoup considère comme trop lourde vous a fait hésiter ?
Il est vrai que les très belles pièces ou les pierres les plus exceptionnelles partent en général soit vers Genève soit vers Hong Kong. Pourtant nous n’avons pas vraiment hésité à relancer les ventes de Paris. Et ce d’autant plus que nos estimations sont conservatrices et à la juste valeur des pièces. Ce qui génère de bons résultats car nous adjugeons souvent bien au-dessus de nos estimations hautes, à la satisfaction des vendeurs qui peuvent ainsi vendre des objets qui ne trouveraient pas forcément preneurs ailleurs qu’à Paris. D’ailleurs la première vente nous a amené beaucoup d’acheteurs français mais également beaucoup d’acheteurs internationaux. Et parmi ces derniers, beaucoup d’américains, de suisses et d’acheteurs basés en Angleterre et en Asie. Rien que sur la première vacation, ce sont plus de 60 lots qui sont partis sur l’Asie. Sur une vente qui compte environ 250 lots, c’est un excellent résultat. Mais cela tient aussi à la composition de nos catalogues que l’on souhaite très qualitatifs.
Lot 30 – Bracelet diamants, vers 1930. De forme ligne, à décor de nuages et de coucher de soleil, orné de diamants et de diamants de couleur taille ancienne, marquise et poire en serti millegrain, un diamant de couleur plus important au centre. Estimation : 15,000 EUR – 30,000 EUR. Photo : Sotheby’s
3- Pour rebondir sur vos derniers mots, comment ajustez-vous vos catalogues à la clientèle internationale ?
Nous avons un réseau d’experts avec des bureaux dans les principales grandes métropoles internationales. Ce sont eux qui sont souvent en première ligne avec les acheteurs basés dans ces mêmes villes. Aussi, pour répondre à votre question, nous sommes très à l’écoute de leurs demandes sur la qualité des pièces. Nous fournissons des rapports sur l’état des pièces, des photos des pièces portées, des documents sur la qualité des pierres. La clientèle asiatique est très demandeuse de documents sur la qualité et l’authenticité. Ils nous font donc être irréprochables.
4- Comment expliquez-vous l’intérêt des acheteurs étrangers pour les ventes françaises ?
Les situations sont très différentes selon la culture de nos acheteurs. Par exemple, la clientèle asiatique est plus acheteuse que vendeuse car elle n’a pas la même histoire que l’Europe vis-a-vis de la joaillerie. Les bijoux issus de traditions familiales et provenant de maisons comme Van Cleef & Arpels, Cartier ou Boucheron ne sont pas légion en Asie. L’attrait pour le bijou européen signé est assez récent finalement. Notre deuxième vente était très riche en diamants anciens consignés par une clientèle particulière quasi exclusivement française. Sur les 257 vendeur, nous avions 197 vendeurs. Cette configuration n’existe pas dans la constitution des ventes asiatiques où on retrouve plus facilement des belles pierres de couleurs et des acquisitions récentes. Mais comme ils sont de grands acheteurs, nul doute que dans les 10 à 15 ans qui arrivent, ils vont devenir de plus en plus vendeurs afin de renouveler et faire évoluer leurs propres collections. Notre deuxième vente a été un succès auprès des acheteurs asiatiques et américains et le département parisien a reçu beaucoup de demandes de renseignements. La France n’a représenté que 4% de nos acheteurs.
Lot 78 – Manchette citrines, Suzanne Belperron, 1955-1970
En or texturé, ornée de citrines taille ovale en serti griffe, poinçon de maître pour Darde et Fils. Accompagnée d’une attestation de Monsieur Olivier Baroin. Estimation : 15,000-30,000 EUR. Photo : Sotheby’s
5- Est-ce que la France a encore beaucoup de choses inédites à proposer dans les ventes ? Est-elle vraiment ce grenier miraculeux ?
Complètement. Il y a dans ce pays une longue histoire avec le bijou et des traditions familiales de cadeaux pour les grandes occasions. Des familles qui ne vont que chez Cartier ou Van Cleef & Arpels. Ou aussi des familles qui étaient uniquement clientes de la maison Boivin par exemple. Il faut relier cela à la présence de la Place Vendôme, mais également à la tradition joaillière qui est ancienne et historique en France et dans les pays alentours que sont l’Angleterre ou la Belgique par exemple. De ce fait, il y a toujours de très pièces qui sortent des coffres et qui sont proposées à la vente. Je pense que ce pays a encore de très belles ressources à nous faire découvrir en matière de joaillerie et de pièces historiques.
Lot 102 – Collier saphirs, rubis et diamants, « Anthurium », Gianmaria Buccellati, 1993. Formant une succession de cinq fleurs d’anthurium stylisées, chacune pavée de rubis et saphirs taille ronde, le centre orné d’un saphir taille poire et rehaussé de diamants taille brillant, signé Buccellati, numéroté, poinçon français d’import pour l’or 18K (750°/00), accompagné d’une reproduction du dessin original et d’un écrin signé Buccellati. Estimation : 7,000 EUR – 14,000 EUR. Photo : Sotheby’s
6- Vous parliez d’exportation tout à l’heure pour mieux coller aux désirs des acheteurs. Qu’est-ce qui vous guide dans la constitution d’un catalogue ?
Déjà il y a un calendrier des ventes qui est mis en place pour la division joaillerie pour le monde entier. Avec un objectif, que les départements ne se concurrencent pas. Notre objectif est de s’entraider entre les départements. Après on fait en fonction des ventes et catégories de lots qui rentrent dans ces ventes. Ainsi les Magnificent sales n’incorporent que des pièces rares et donc exceptionnelles. Pour Hong Kong, c’est encore particulier, il faut du jade, des pierres de centres remarquables et des diamants de couleurs par exemple. Il y a des codes culturels particuliers, entre autre pour l’Asie. Il faut donc bien connaitre ces spécificités pour tomber juste. En Asie, comme aux USA, nous avons beaucoup de femmes qui achètent : des femmes très au fait de la mode et des tendances, avec des goûts sûrs et des demandes spécifiques de pièces qui possèdent un vrai caractère. On retrouve aussi une notion d’investissement qui va guider beaucoup d’acheteurs. Ce qui explique la présence de pièces iconiques qui sont très demandées. En France, c’est plus souvent un achat plaisir ou coup de coeur, ce n’est en rien dépréciatif mais selon les pays, les clientèles sont très différentes. Quand l’Asie achètent des pièces historiques, de l’Art nouveau et de l’Art déco, les américains achètent beaucoup de diamants. Beaucoup de marchands basés aux US achètent ici, ils trouvent une marchandise difficilement disponible chez eux.
Lot 113 – Demi-parure citrines et améthystes, « Jacqueline », Gianmaria Buccellati, 1988 & 1990. Comprenant un collier et une paire de clips d’oreille, le collier composé d’une succession de feuilles gravées selon la technique segrinato, ornées alternativement de citrines et d’améthystes taille ovale, retenant au centre une citrine taille poire pesant 35.66 carats, les clips d’oreille assortis ornés d’améthystes taille ovale, signée Buccellati, numérotée, accompagnée d’une reproduction du dessin original et d’un écrin signé Buccellati. Estimation : 20,000 EUR – 30,000 EUR. Photo : Sotheby’s
7- Sur quoi auriez-vous envie de miser au département bijoux de la maison Sotheby’s France ?
On mise énormément sur le digital car il permet de faire beaucoup de choses. On peut faire collaborer des mondes qui ne se parlaient pas. Aussi ce qui nous intéresse, par exemple, c’est de faire dialoguer luxe et enchères, car la clientèle du luxe ne venait pas forcément vers les maisons de ventes. Cette tendance s’est largement inversée et elle a profondément modifié le visage des ventes. On est en train de bien installer les ventes de bijoux online avec des thématiques particulières : on a eu des bijoux coutures de la maison Dior, récemment des bijoux d’artistes dont on connait désormais l’engouement du public pour ces signatures particulières. Parallèlement, nous avons développé une vraie politique client depuis la demande d’informations jusqu’à la finalisation de la vente et l’expédition. Notre objectif est de laisser une excellente impression à toutes les personnes qui rentrent en contact avec nos départements.
Lot 164 – Collier tourmalines, Haroldo Burle Marx, vers 1970
Orné de tourmalines vertes rectangulaires en serti clos, en alternance avec des rectangles d’or brossé, signé Burle Marx. Estimation: 3,500 EUR – 5,500 EUR. Photo : Sotheby’s
8- Pour terminer, qu’est-ce qui vous fait choisir une pièce plutôt qu’une autre ?
C’est une question complexe, mais je dirais que c’est le potentiel de la pièce qui me guide dans mes choix. Je prête une attention à l’état de la pièce, aux pierres, à l’histoire… S’ajoute une question de valeur, pour les ventes digitales la limite basse est de 3000 € quand elle est de 5000 € pour les ventes cataloguées. Cela tient au fait que les pièces sont toutes photographiées, étudiées…etc. Aussi, une pièce coûte en temps et en énergie, il faut donc que ce soit intéressant pour le vendeur de passer par notre maison. Après, il y a toujours un coté affect qui rentre en jeu. Si la pièce est charmante, atypique et cohérente avec le catalogue en cours de constitution, il m’arrive de prendre des pièces qui sont en-dessous des valeurs citées plus haut. Enfin, j’essaye d’avoir une thématique et que les pièces se répondent les unes aux autres pour créer une dynamique. Pour conclure, la vente d’octobre proposera des pièces que l’on trouve tous très sympathiques. J’espère qu’elles plairont !
À bientôt !