Tout le monde possède des archives. Que ce soit des documents de famille ou bien des documents administratifs. On peut également être dépositaire de papiers d’une entreprise familiale que l’on garde dans un coin de sa maison sans savoir s’il faut les jeter ou garder. Des documents qu’on garde souvent car ils sont liés à l’affect et dont on ne sait pas vraiment quoi faire. Afin de mieux comprendre ce que sont les archives, quoi en faire, je suis allée à la rencontre de Stéphanie Desvaux, archiviste et fondatrice de l’agence S’toria basée à Toulouse, passée par la maison Van Cleef & Arpels. L’occasion de décoder les subtilités du classement et de la conservation avec celle qui est commissaire, avec Michaël Decrossas, de la future exposition de l’école Van Cleef & Arpels « Le bijou dessiné » et co-auteur du livre qui accompagnera cet événement, une coédition Éditions Norma et l’École des Arts Joailliers. Rencontre.
Stéphanie Desvaux. Photo: S’toria
1- Pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs et nous expliquez quel est exactement votre métier?
Bonjour, je m’appelle Stéphanie Desvaux, je suis archiviste en freelance ayant créé mon entreprise S’toria en mars 2020. Mes missions sont à la croisée du métier d’archiviste et de celui d’historienne. Je travaille sur des missions d’archivage : collecte, classement, conservation des documents anciens mais aussi gestion de l’information quand les documents ou données sont récents. Je mène également des missions de recherches historiques et de valorisation du patrimoine (expositions, composition de visites guidées, publications, organisation d’événements de type anniversaires d’entreprise ou de lieux culturels, et Journées européennes du Patrimoine).
2- Quelles formations avez-vous suivi pour arriver à votre poste actuel?
J’ai d’abord fait une classe préparatoire à l’Ecole des Chartes puis un Master recherches en Histoire et enfin un Master professionnel Archives.
3- Par quel biais avez-vous découvert la joaillerie?
Lors de mon dernier poste d’archiviste en tant que salariée pendant près de trois ans au sein d’une grande maison joaillière. Je ne connaissais pas bien cet univers avant d’entrer dans cette maison, mais c’est aujourd’hui un sujet qui me passionne et sur lequel je mène des recherches.
Photo: S’toria
4- Rentrons dans le vif du sujet, quelles sont les différences entre des archives privées et des archives publiques? Y-a-t-il une différence de traitement entre les deux?
Les archives privées sont celles conservées dans une structure non publique comme les entreprises, les associations, les partis politiques, les familles… Alors que les archives publiques rassemblent les documents issus de l’activité de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées de la gestion d’un service public, dans le cadre de leur mission de service public. Hormis les obligations légales de conservation qui s’appliquent sur les archives publiques et qui sont définies dans le Code du Patrimoine, le traitement des archives, qu’elles soient publiques ou privées, est similaire dans la manipulation, les méthodes de classement, d’indexation et de conditionnement de ces documents en tant qu’ « objets ». Les normes sont internationales et peuvent s’appliquer aux deux.
5- De quelles manières peut-on exploiter des archives?
Il y a 1000 facettes dans la valorisation du patrimoine. Les archives sont une matière très riche qui offre de nombreuses possibilités d’exploitation: elles peuvent être animées dans une vidéo, faire l’objet d’une exposition ou d’un livre, être présentées en appui d’une visite guidée, et même reproduites sur des objets commerciaux. Depuis une vingtaine d’années, elles sont remises au goût du jour et sont largement employées par les services marketing et communication de grandes entreprises. Elles peuvent aussi être source d’inspiration pour les studios de création voire des artistes contemporains. De manière moins visible, les archives permettent d’enrichir et documenter le passé d’une famille, d’une entreprise, d’un lieu, d’un bâtiment. Ce travail aboutit généralement à un dossier d’analyse historique.
6- Vous parlez de stratégie patrimoniale. Je comprends donc que l’organisation et la communication sur des archives répond à des critères particuliers. Lesquels?
Il n’y a pas de critère préexistant. Cela dépend des désirs et objectifs du client. La stratégie à appliquer s’appuie sur les échanges avec ce dernier. Par exemple, s’agit-il de communication interne ou externe, quel public est visé, quels sont les supports de communication?
7- Je suis propriétaire de papiers divers et variés ou je suis une entreprise sans politique patrimoniale, par où dois-je débuter si je veux organiser un peu mieux mes archives?
Faire appel à une archiviste ! C’est le meilleur moyen d’être accompagné sur le court et le long terme, l’idée étant d’aider le propriétaire d’archives à classer ses documents dans l’immédiat mais aussi de lui transmettre une méthodologie pour poursuivre ce travail sur le long terme et s’assurer que les archives soient bien conservées à l’avenir. Le volume des archives ou le vrac font souvent peur : s’adresser à un expert est la meilleure façon d’avoir la bonne méthode pour ne pas se sentir submergé.
Photo: S’toria
8- Beaucoup d’entreprises utilisent les archives comme un levier de communication. On parle, je crois, de marketing patrimonial. Pouvez-vous nous expliquez en quoi cela consiste exactement? Quelle est la meilleure manière de valoriser des archives?
Effectivement, depuis les années 2000, de plus en plus d’entreprises valorisent leur patrimoine et se dotent de service Patrimoine dédié à ce que certains appellent « marketing patrimonial ». Il s’agit d’ancrer l’identité d’une marque par son histoire en y apportant du sens, une certaine émotion. L’important est donc de préserver ce patrimoine pour le valoriser mais aussi pour le transmettre aux futures générations. Ce sont d’ailleurs les trois grandes missions qui rythment l’activité de S’toria : protéger, valoriser, transmettre. Il convient avant tout de bien connaître son fonds d’archives, bien le conserver, le numériser pour ensuite pouvoir révéler toute sa richesse au public.
Les archives peuvent être valorisées en interne en constituant une source d’inspiration pour les différents services (communication, architecture, studio de création…), en agrémentant des conférences sur l’histoire de l’entreprise auprès des collaborateurs, des sessions de team building (par ex. escape game). En externe, nous l’avons déjà évoqué, les formes de valorisation sont également variées. Elles peuvent être digitales : les archives ne sont plus rares sur les réseaux sociaux. De manière plus classique, on peut penser aux expositions, livres, visites guidées. Le patrimoine d’entreprise est de plus en plus présent chaque année lors des Journées du Patrimoine. Bien loin du cliché sur l’aspect poussiéreux, surannée des archives, leur richesse offre de nombreuses possibilités de valorisation. C’est un support merveilleux qui fascine le public, qui le fait rêver et qui garde aussi une part de mystère. Il ne faut pas croire, on peut véritablement « s’amuser » avec des archives !
9- Ouvrir les archives, c’est aussi découvrir parfois des choses difficiles sur l’histoire. Comment doit s’articuler cette prise de conscience. Peut-elle trouver sa place dans une communication globale quand il s’agit d’une entreprise?
Ça peut être un sujet délicat en effet. Lorsqu’il s’agit d’une entreprise, elle fait le choix de communiquer ou non sur ce passé difficile. Il n’y a aucune obligation. Néanmoins, je pense qu’on peut toujours tirer une force de ses faiblesses. Cela peut permettre de montrer comment l’entreprise y a fait face et a su rebondir.
10- Doit-on tout garder quand il s’agit de penser à constituer des archives? Et comment les archivistes décident-ils de ce qu’il faut conserver?
Non, les archives n’ont pas vocation à être toutes conservées. Elles ont un caractère unique et précieux. Ici encore intervient l’expertise de l’archiviste qui s’appuie sur plusieurs critères juridiques ou administratifs. L’archiviste va établir un tableau de gestion qui répertorie les documents et leur durée de conservation. A l’issue de cette durée, leur sort est déterminé : les documents peuvent être éliminés, échantillonnés ou conservés. L’important est d’estimer quelle pierre ils apportent à l’histoire.
A bientôt