Tiphaine Brajeux, antiquaire 2.0 en joaillerie

Juil 16, 2018

Il y a peu, je rencontrais la pétillante Tiphaine Brajeux autour d’un café à la Pointe Drouot. Un long échange, beaucoup de points communs et l’occasion de vous proposer un nouveau portrait carrière avec une jeune personne passionnée, enthousiaste et avec un parcours vraiment intéressant. Je vous emmène donc à a rencontre de Tiphaine et de son entreprise ICYMI. Bonne découverte !

typhaine brajeux, icimi

Tiphaine dans son bureau du 9e arrondissement de Paris. Photo : ©MarieChabrol

1- Pouvez-vous vous présentez rapidement ?

 Je m’appelle Tiphaine, je viens de fêter mes 30 ans et de me marier et je suis la fondatrice d’ICYMI, Bijoux anciens d’aujourd’hui, un site de vente en ligne de bijoux anciens. Je suis gemmologue, diplômée du GIA de New York.

2- Quel métier vouliez-vous exercer lorsque vous étiez enfant ?

Petite je voulais être styliste mais je me suis vite rendu compte que je n’avais ni assez de talent de dessinatrice ni assez de créativité pour être vraiment douée. Important la lucidité !

3- Et finalement quel est votre poste actuel ?

Aujourd’hui, je suis Présidente d’ICYMI. Je fais tout ! Je suis gemmologue, responsable des achats et des ventes, je suis photographe, graphiste, je m’occupe de la communication, je gère les envois etc…! Un vrai couteau suisse… La seule chose que je ne fais pas c’est la compta.

tiphaine brajeux, icymi

Bague marquise en or et diamants. Photo : ICYMI

4- Quelles études avez-vous suivi ?

Après avoir eu mon bac en 2005, j’ai été prise à la Double Licence Droit – Histoire de l’Art à la Sorbonne. J’ai ensuite suivi le Master 1 Droit des Affaires Option Histoire de l’Art, toujours à la Sorbonne et enfin, le Master 2 Marché de l’Art. Après cinq ans à la Sorbonne, je suis partie à New York pour suivre la formation du Gemological Institute of America pour devenir Graduate Gemologist qui dure 6 mois. Sans doute la meilleure partie de mes études !

5- Et plus spécifiquement, quel est votre parcours de formation en relation avec le domaine de la joaillerie et de la gemmologie ?

En termes de formation pure, évidemment le GIA est le seul diplôme en relation avec le domaine de la joaillerie et de la gemmologie. Au cours de mes études j’ai fait de nombreux stages qui m’ont permis d’affiner mon « projet professionnel », j’ai commencé par plusieurs stages chez Gros & Delettrez ou j’ai vraiment découvert l’univers des bijoux et ou j’ai compris que j’aimais ça et que je pouvais avoir une carrière dans ce monde. J’ai ensuite effectué un stage au département Bijoux chez Christie’s avec Marie Laurence Tixier, puis mon stage de fin d’études avec Paul Louis Flandrin, propriétaire de sa Galerie à Paris, antiquaire spécialisé en bijoux anciens et argenterie. Enfin, à mon retour de New York, j’ai fait un stage au département bijoux de Philips de Pury à Londres. À chaque stage, j’ai pu comprendre ce que j’aimais faire et ce que je n’aimais et ça m’a permis d’avancer dans mes choix. Par exemple, j’ai compris que le métier d’expert n’était pas forcément fait pour moi et que le métier de marchand me paraissait plus excitant et riche en aventure.

tiphaine brajeux, icymi

Bracelet en or émaillé « plus qu’hier et moins que demain ». Photo : ICYMI

6- Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel et comment vous-êtes arrivées au poste qui est aujourd’hui le votre ?

Après mes (nombreux) stages, j’ai rencontré, grâce à un ami de Drouot, un grand marchand de bijoux anciens : Alain Chassard. À l’époque il cherchait quelqu’un pour analyser les diamants qui passaient en vente pour savoir s’ils étaient intéressants à acheter. Mon diplôme du GIA lui a plu et nous avons commencé à travailler ensemble. Au fur et à mesure, je ne me suis plus occupé que des diamants et je surveillais la totalité des ventes à Paris, en province et à l’étranger. Nous achetions des bijoux anciens de très grande qualité, parfois non signés ou non identifiés. Mr Chassard est, entre autres, spécialisé dans les bijoux Boivin et Belperron. Nous faisions également des salons un peu partout dans le monde, Miami, New York et Hong Kong, plusieurs fois par an. Nous suivions toutes les ventes aux enchères de bijoux, y compris les grandes ventes à Genève de Christie’s et Sotheby’s. En plus des ventes aux enchères, j’étais en charge d’une grande partie de l’administratif de l’entreprise, gérer les achats, les ventes, les factures, les envois, l’agenda…

Au bout de cinq ans, à force d’absorber tous les catalogues de ventes, je voyais énormément de « petits » bijoux qui me plaisaient mais qui ne nous intéressaient pas commercialement. Je me disais que ces bijoux même anciens n’étaient absolument pas démodés et qu’une jeune fille de mon âge pouvait parfaitement porter ce genre de choses, avec un jean, un tee shirt blanc ou une petite robe sans ressembler à un sapin de Noël ou donner l’impression d’avoir dévalisé la boîte à bijoux de sa grand mère !

Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire, qu’il fallait expliquer, et prouver qu’on pouvait acheter des bijoux en or, en platine, ornés de pierres précieuses pour des prix raisonnables. Et qu’on avait pas besoin de choisir entre un bijou en métal plaqué or et la Place Vendôme. Grâce à mes économies, j’ai pu me lancer et commencer à constituer mon stock. Cela m’a pris 8 mois, pour avoir un fond de stock, tout prendre en photos, créer un site internet marchand clair et complet et j’ai lancé ICYMI.fr en décembre 2016.

7- Racontez-nous votre entreprise, son fonctionnement et ce que vous voulez mettre en avant avec celle-ci ?

ICYMI, qui est l’acronyme de l’expression anglaise « In Case You Missed It » propose trois prestations :

1 – la vente de bijoux anciens. Ce sont les bijoux que j’achète un peu partout en France, que je remets en état quand il faut, mais que je ne transforme pas et qui sont en vente sur le site.

2 – la reCréation. Quand je vois des bijoux jolis mais démodés et importables j’aime réfléchir à la façon dont je pourrais les remonter. Par exemple, transformer une épingle de cravate en bague ou une broche en paire de boucles d’oreilles ou en pendentif.

3 – le sur mesure. Icymi propose également de la création 100% sur mesure, sur demande, pour tout budget. Généralement, il s’agit de bagues de fiançailles.

Pour tous les bijoux (à part le sur mesure), je me suis imposée de rester dans une fourchette entre 50€ et 2000€. Le but étant de prouver que le bijou précieux ne doit pas forcément coûter des dizaines de milliers d’euros et n’est pas forcément (toujours) le cadeau d’un amoureux… On peut se l’offrir mais aussi se le faire offrir…

tiphaine brajeux, icymi

Broche en or, agate dendritique et diamants. Photo : ICYMI

8- Comment s’organise une journée / semaine type de travail ?

En fait, chaque semaine dépend du rythme des ventes aux enchères. Comme j’achète beaucoup en salles des ventes, quand il y en a beaucoup il faut réussir à suivre la cadence !

En règle générale, je commence la semaine en regardant l’intégralité des ventes qui ont lieu en France dans la semaine à venir, week end compris, souvent bien plus qu’une centaine. Je note les lots qui me plaisent pour ne pas les oublier et pouvoir participer à la vente.

Quand je reçois des bijoux, il faut les nettoyer (ce qui peut prendre beaucoup de temps !) pour leur redonner tout leur éclat, rédiger la fiche de chaque bijou (poids, dimensions, taille), les prendre en photo et enfin, les mettre en vente sur le site.

À chaque nouveau bijou il faut communiquer sur les réseaux sociaux pour que les gens ne ratent pas les nouveautés et ainsi je peux répondre aux questions et envoyer plus de photos si besoin. Il faut également communiquer même s’il n’y a pas de nouveautés pour que la présence d’ICYMI sur les réseaux sociaux soit permanente. C’est souvent plus facile à dire qu’à faire !

Généralement, quand j’arrive au bureau le matin je fais un point sur mes mails et sur le site, les notifications réseaux sociaux et trafic. À 11h j’essaye d’aller à Drouot s’il y a une vente qui m’intéresse, en rentrant je refais le point sur les ventes qui ont lieu dans l’après-midi, pour être sûre de ne rien rater. Entre deux enchères, je m’occupe des envois, je fais des photos, je prépare les fiches bijoux, je mets à jour le contenu du site et j’essaye de préparer les prochains posts que je compte partager sur les réseaux sociaux.

9-  La joaillerie est un monde peu connu du grand public même si les choses changent progressivement. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous motive à travailler dans ce secteur et ce que vous préférez dans l’exercice de votre profession ?

J’ai deux amours. Drouot et le bijou ancien. J’ai découvert le bijou ancien grâce à Drouot et j’aimerais garder ces deux constantes le plus longtemps possible dans ma vie professionnelle.

De Drouot, j’adore ce côté village, parfois on dirait une petite fourmilière. Il y a de tout, des jeunes, des vieux, des riches, des moins riches, des gens hyper stylés et branchés ou au contraire des gens très classiques : mais tout le monde trouve son bonheur. Bien sûr Drouot peut apparaître comme très fermé, ce qui est à peu près vrai, mais quand on arrive à faire sa petite place, c’est assez agréable ! 

J’aime le bijou ancien car j’aime l’Histoire, la petite comme la grande. J’adore trouver des pièces datées de façon précise, que ce soit par une inscription ou un poinçon de maître identifiable. Quand cela arrive j’ai l’impression d’avoir une pièce importante, un petit bout d’histoire dans les mains. Par exemple, j’ai une bague datée de 1871 et une autre de 1893, je suis fascinée par le fait qu’elles soient arrivées jusqu’à moi ! Je ne sais jamais ce que je vais trouver ni si je vais réussir à acheter les bijoux qui me plaisent. Il y a toujours de l’excitation ! En fait ce que j’adore c’est cette impression de partir à la chasse au trésor tous les jours

10- Et ce que vous aimez le moins ?

Je crois que ça n’est pas quelque chose de lié à mon domaine d’activité mais il y a deux choses que je n’aime pas, ou moins.

  • la comptabilité. J’ai toujours été réfractaire aux chiffres et aux tableaux excels mais je fais de mon mieux pour tout garder très organisé et ne rien perdre. Je sais à quel point c’est important mais ça n’est clairement pas mon activité favorite !

  • la communication digitale. Je ne suis pas si vieille mais j’ai beaucoup de mal à me faire aux nouvelles techniques de communication, que ce soit Instagram, Facebook ou même tout ce qui a trait au référencement. Je maîtrise bien sur l’utilisation des différents réseaux sociaux mais ça n’est pas quelque chose qui me passionne. Il faut être très régulier et exigeant avec le rythme des publications et des abonnements. J’ai souvent du mal à respecter ces cadences mais je fais de mon mieux vu l’importance que ça peut avoir. 

tiphaine brajeux, icymi

Broche de bavoir « bébé » en or et perles. Photo : ICYIMI

11- Revenons à l’exercice de votre métier : quelles sont aujourd’hui les grandes tendances dans le secteur des ventes et comment le métier d’antiquaire s’adapte-t-il ? 

Je ne peux pas parler pour les autres mais pour moi la vraie grande tendance ce sont les réseaux sociaux. Même dans ce milieu parfois un peu « old-school », de plus en plus de maisons de vente ont des pages Facebook et beaucoup communiquent via Instagram, tout comme les marchands et les experts. Pour la plupart ce sont les « jeunes » maisons de vente qui se servent des ces nouveaux moyens de communication.

12- Les ventes aux enchères se sont « glamourisées » depuis quelques années. Comment cela se gère-t-il dans la sélection des pièces qui vous intéressent et comment cela se ressent sur les prix ? 

Je crois que c’est vrai mais pour les « grosses » pièces. En ce qui me concerne, ma première motivation est de « bien » acheter, je ne peux pas me permettre d’acheter trop cher car j’ai besoin de pouvoir rester dans le budget que je promets. Ensuite, j’aime tous les styles voire même certains designs un peu particuliers. Je fonctionne vraiment au coup de coeur et plus j’avance plus je sais ce qui se vend bien et vite quand je les propose sur le site. Du coup, même si ça ne me parle pas forcément personnellement, j’achète car je sais que cela aura du succès.

13- Quelles sont vos signatures préférées ?

Belperron est sans aucun doute une de mes créatrices préférées. Pour avoir acheté et eu en main énormément de ses créations pendant les cinq ans passés avec Mr Chassard, je connais bien son travail et j’adore l’utilisation qu’elle faisait des pierres et l’originalité des montures. Je ne suis pas peu fière de figurer dans les remerciements du livre de Ward et Nico Landrigan ! J’aime aussi beaucoup Buccellatti, qui n’est pas une maison très présente dans les ventes. Et bien sûr, on ne peut être qu’amoureux des pièces début 20ème des grandes maisons de la Place Vendôme ! J’aurais rêvé de me marier avec un diadème !!

tiphaine brajeux, icymi

Bague en or et diamant brun taille rose. Photo : ICYMI

14- Un moment inoubliable à partager ici : une vente remarquable, une pierre que vous n’oublierez jamais…etc. ? 

En termes de ventes remarquables, c’est sans doute les ventes de Genève qui remportent la palme. C’est toujours l’occasion de voir des pièces exceptionnelles, que ce soit en qualité ou en puissance historique. Par exemple des diamants de plus de 100 carats ou un diadème en acier par Cartier. Et tout ça dans des conditions exceptionnelles ou il est possible de manipuler les pièces et de les observer sous toutes les coutures !

J’ai aussi participé à la vente Paul Louis Weiller à Drouot en 2011, ça reste un grand souvenir ! Une semaine de vente, tout le premier étage de Drouot occupé pendant toute une semaine, une logistique que je n’ai jamais revu depuis. 

Je crois que c’était à Bâle ou j’ai eu l’occasion d’essayer la parure Belperron en calcédoine bleue composée d’un collier et d’une paire de manchettes qui appartenait à la Duchesse Wallis Simpson, niveau Histoire c’est assez exceptionnel !

15- Comment voyez-vous l’évolution de votre métier ? Internet change-t-il forcément le fonctionnement des maisons de ventes et l’attitude des vendeurs/acheteurs ? 

Pour moi, vu le canal de vente que j’ai choisi, Internet est clairement essentiel. En ce qui concerne les maisons de vente elles ont réussi à s’adapter. Interenchères et Drouot Live ont changé énormément de choses, aujourd’hui on peut se retrouver contre un acheteur américain, anglais voire même asiatique dans une vente à Dijon ou à Narbonne et ça fait toute la différence. Heureusement, ils ne sont pas forcément partout, c’est encore possible de faire des bonnes affaires sur les petits lots mais pour les gros lots, avec toute la publicité que les maisons de vente font c’est devenu plus difficile. Mais c’est tout bénéf pour les commissaires-priseurs et les vendeurs. Si le lot est bon, ils sont sûr de faire le bon prix !

Pour moi c’est une vraie chance de pouvoir utiliser Interencheres et Drouot Live, ça me permet d’acheter partout en France sans avoir à me déplacer. Sans ces outils, je me ruinerais en billets de train ! Je ne pourrais vraiment suivre une vente à Lyon et à Brest dans la même journée… C’est vraiment ce qui m’a décidé à me lancer !

16- Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui veulent rentrer dans ce secteur ? 

Multipliez les stages et les expériences, ne pas hésiter à poser des questions, il n’y aucune question bête et surtout surtout ne jamais hésiter à frapper à toutes les portes. Il suffit d’un mail bien écrit, gentil et aimable pour potentiellement décrocher un stage. Pas besoin d’un carnet d’adresses long comme le bras…

Il y a peu, je rencontrais la pétillante Tiphaine Brajeux autour d’un café à la Pointe Drouot. Un long échange, beaucoup de points communs et l’occasion de vous proposer un nouveau portrait carrière avec une jeune personne passionnée, enthousiaste et avec un parcours vraiment intéressant. Je vous emmène donc à a rencontre de Tiphaine et de son entreprise ICYMI. Bonne découverte !

typhaine brajeux, icimi

Tiphaine dans son bureau du 9e arrondissement de Paris. Photo : ©MarieChabrol

1- Pouvez-vous vous présentez rapidement ?

Je m’appelle Tiphaine, je viens de fêter mes 30 ans et de me marier et je suis la fondatrice d’ICYMI, Bijoux anciens d’aujourd’hui, un site de vente en ligne de bijoux anciens. Je suis gemmologue, diplômée du GIA de New York.

2- Quel métier vouliez-vous exercer lorsque vous étiez enfant ?

Petite je voulais être styliste mais je me suis vite rendu compte que je n’avais ni assez de talent de dessinatrice ni assez de créativité pour être vraiment douée. Important la lucidité !

3- Et finalement quel est votre poste actuel ?

Aujourd’hui, je suis Présidente d’ICYMI. Je fais tout ! Je suis gemmologue, responsable des achats et des ventes, je suis photographe, graphiste, je m’occupe de la communication, je gère les envois etc…! Un vrai couteau suisse… La seule chose que je ne fais pas c’est la compta.

tiphaine brajeux, icymi

Bague marquise en or et diamants. Photo : ICYMI

4- Quelles études avez-vous suivi ?

Après avoir eu mon bac en 2005, j’ai été prise à la Double Licence Droit – Histoire de l’Art à la Sorbonne. J’ai ensuite suivi le Master 1 Droit des Affaires Option Histoire de l’Art, toujours à la Sorbonne et enfin, le Master 2 Marché de l’Art. Après cinq ans à la Sorbonne, je suis partie à New York pour suivre la formation du Gemological Institute of America pour devenir Graduate Gemologist qui dure 6 mois. Sans doute la meilleure partie de mes études !

5- Et plus spécifiquement, quel est votre parcours de formation en relation avec le domaine de la joaillerie et de la gemmologie ?

En termes de formation pure, évidemment le GIA est le seul diplôme en relation avec le domaine de la joaillerie et de la gemmologie. Au cours de mes études j’ai fait de nombreux stages qui m’ont permis d’affiner mon « projet professionnel », j’ai commencé par plusieurs stages chez Gros & Delettrez ou j’ai vraiment découvert l’univers des bijoux et ou j’ai compris que j’aimais ça et que je pouvais avoir une carrière dans ce monde. J’ai ensuite effectué un stage au département Bijoux chez Christie’s avec Marie Laurence Tixier, puis mon stage de fin d’études avec Paul Louis Flandrin, propriétaire de sa Galerie à Paris, antiquaire spécialisé en bijoux anciens et argenterie. Enfin, à mon retour de New York, j’ai fait un stage au département bijoux de Philips de Pury à Londres. À chaque stage, j’ai pu comprendre ce que j’aimais faire et ce que je n’aimais et ça m’a permis d’avancer dans mes choix. Par exemple, j’ai compris que le métier d’expert n’était pas forcément fait pour moi et que le métier de marchand me paraissait plus excitant et riche en aventure.

tiphaine brajeux, icymi

Bracelet en or émaillé « plus qu’hier et moins que demain ». Photo : ICYMI

6- Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel et comment vous-êtes arrivées au poste qui est aujourd’hui le votre ?

Après mes (nombreux) stages, j’ai rencontré, grâce à un ami de Drouot, un grand marchand de bijoux anciens : Alain Chassard. À l’époque il cherchait quelqu’un pour analyser les diamants qui passaient en vente pour savoir s’ils étaient intéressants à acheter. Mon diplôme du GIA lui a plu et nous avons commencé à travailler ensemble. Au fur et à mesure, je ne me suis plus occupé que des diamants et je surveillais la totalité des ventes à Paris, en province et à l’étranger. Nous achetions des bijoux anciens de très grande qualité, parfois non signés ou non identifiés. Mr Chassard est, entre autres, spécialisé dans les bijoux Boivin et Belperron. Nous faisions également des salons un peu partout dans le monde, Miami, New York et Hong Kong, plusieurs fois par an. Nous suivions toutes les ventes aux enchères de bijoux, y compris les grandes ventes à Genève de Christie’s et Sotheby’s. En plus des ventes aux enchères, j’étais en charge d’une grande partie de l’administratif de l’entreprise, gérer les achats, les ventes, les factures, les envois, l’agenda…

Au bout de cinq ans, à force d’absorber tous les catalogues de ventes, je voyais énormément de « petits » bijoux qui me plaisaient mais qui ne nous intéressaient pas commercialement. Je me disais que ces bijoux même anciens n’étaient absolument pas démodés et qu’une jeune fille de mon âge pouvait parfaitement porter ce genre de choses, avec un jean, un tee shirt blanc ou une petite robe sans ressembler à un sapin de Noël ou donner l’impression d’avoir dévalisé la boîte à bijoux de sa grand mère !

Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire, qu’il fallait expliquer, et prouver qu’on pouvait acheter des bijoux en or, en platine, ornés de pierres précieuses pour des prix raisonnables. Et qu’on avait pas besoin de choisir entre un bijou en métal plaqué or et la Place Vendôme. Grâce à mes économies, j’ai pu me lancer et commencer à constituer mon stock. Cela m’a pris 8 mois, pour avoir un fond de stock, tout prendre en photos, créer un site internet marchand clair et complet et j’ai lancé ICYMI.fr en décembre 2016.

7- Racontez-nous votre entreprise, son fonctionnement et ce que vous voulez mettre en avant avec celle-ci ?

ICYMI, qui est l’acronyme de l’expression anglaise « In Case You Missed It » propose trois prestations :

1 – la vente de bijoux anciens. Ce sont les bijoux que j’achète un peu partout en France, que je remets en état quand il faut, mais que je ne transforme pas et qui sont en vente sur le site.

2 – la reCréation. Quand je vois des bijoux jolis mais démodés et importables j’aime réfléchir à la façon dont je pourrais les remonter. Par exemple, transformer une épingle de cravate en bague ou une broche en paire de boucles d’oreilles ou en pendentif.

3 – le sur mesure. Icymi propose également de la création 100% sur mesure, sur demande, pour tout budget. Généralement, il s’agit de bagues de fiançailles.

Pour tous les bijoux (à part le sur mesure), je me suis imposée de rester dans une fourchette entre 50€ et 2000€. Le but étant de prouver que le bijou précieux ne doit pas forcément coûter des dizaines de milliers d’euros et n’est pas forcément (toujours) le cadeau d’un amoureux… On peut se l’offrir mais aussi se le faire offrir…

tiphaine brajeux, icymi

Broche en or, agate dendritique et diamants. Photo : ICYMI

8- Comment s’organise une journée / semaine type de travail ?

En fait, chaque semaine dépend du rythme des ventes aux enchères. Comme j’achète beaucoup en salles des ventes, quand il y en a beaucoup il faut réussir à suivre la cadence !

En règle générale, je commence la semaine en regardant l’intégralité des ventes qui ont lieu en France dans la semaine à venir, week end compris, souvent bien plus qu’une centaine. Je note les lots qui me plaisent pour ne pas les oublier et pouvoir participer à la vente.

Quand je reçois des bijoux, il faut les nettoyer (ce qui peut prendre beaucoup de temps !) pour leur redonner tout leur éclat, rédiger la fiche de chaque bijou (poids, dimensions, taille), les prendre en photo et enfin, les mettre en vente sur le site.

À chaque nouveau bijou il faut communiquer sur les réseaux sociaux pour que les gens ne ratent pas les nouveautés et ainsi je peux répondre aux questions et envoyer plus de photos si besoin. Il faut également communiquer même s’il n’y a pas de nouveautés pour que la présence d’ICYMI sur les réseaux sociaux soit permanente. C’est souvent plus facile à dire qu’à faire !

Généralement, quand j’arrive au bureau le matin je fais un point sur mes mails et sur le site, les notifications réseaux sociaux et trafic. À 11h j’essaye d’aller à Drouot s’il y a une vente qui m’intéresse, en rentrant je refais le point sur les ventes qui ont lieu dans l’après-midi, pour être sûre de ne rien rater. Entre deux enchères, je m’occupe des envois, je fais des photos, je prépare les fiches bijoux, je mets à jour le contenu du site et j’essaye de préparer les prochains posts que je compte partager sur les réseaux sociaux.

9-  La joaillerie est un monde peu connu du grand public même si les choses changent progressivement. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous motive à travailler dans ce secteur et ce que vous préférez dans l’exercice de votre profession ?

J’ai deux amours. Drouot et le bijou ancien. J’ai découvert le bijou ancien grâce à Drouot et j’aimerais garder ces deux constantes le plus longtemps possible dans ma vie professionnelle.

De Drouot, j’adore ce côté village, parfois on dirait une petite fourmilière. Il y a de tout, des jeunes, des vieux, des riches, des moins riches, des gens hyper stylés et branchés ou au contraire des gens très classiques : mais tout le monde trouve son bonheur. Bien sûr Drouot peut apparaître comme très fermé, ce qui est à peu près vrai, mais quand on arrive à faire sa petite place, c’est assez agréable !

J’aime le bijou ancien car j’aime l’Histoire, la petite comme la grande. J’adore trouver des pièces datées de façon précise, que ce soit par une inscription ou un poinçon de maître identifiable. Quand cela arrive j’ai l’impression d’avoir une pièce importante, un petit bout d’histoire dans les mains. Par exemple, j’ai une bague datée de 1871 et une autre de 1893, je suis fascinée par le fait qu’elles soient arrivées jusqu’à moi ! Je ne sais jamais ce que je vais trouver ni si je vais réussir à acheter les bijoux qui me plaisent. Il y a toujours de l’excitation ! En fait ce que j’adore c’est cette impression de partir à la chasse au trésor tous les jours

10- Et ce que vous aimez le moins ?

Je crois que ça n’est pas quelque chose de lié à mon domaine d’activité mais il y a deux choses que je n’aime pas, ou moins.

  • la comptabilité. J’ai toujours été réfractaire aux chiffres et aux tableaux excels mais je fais de mon mieux pour tout garder très organisé et ne rien perdre. Je sais à quel point c’est important mais ça n’est clairement pas mon activité favorite !
  • la communication digitale. Je ne suis pas si vieille mais j’ai beaucoup de mal à me faire aux nouvelles techniques de communication, que ce soit Instagram, Facebook ou même tout ce qui a trait au référencement. Je maîtrise bien sur l’utilisation des différents réseaux sociaux mais ça n’est pas quelque chose qui me passionne. Il faut être très régulier et exigeant avec le rythme des publications et des abonnements. J’ai souvent du mal à respecter ces cadences mais je fais de mon mieux vu l’importance que ça peut avoir.

tiphaine brajeux, icymi

Broche de bavoir « bébé » en or et perles. Photo : ICYIMI

11- Revenons à l’exercice de votre métier : quelles sont aujourd’hui les grandes tendances dans le secteur des ventes et comment le métier d’antiquaire s’adapte-t-il ? 

Je ne peux pas parler pour les autres mais pour moi la vraie grande tendance ce sont les réseaux sociaux. Même dans ce milieu parfois un peu « old-school », de plus en plus de maisons de vente ont des pages Facebook et beaucoup communiquent via Instagram, tout comme les marchands et les experts. Pour la plupart ce sont les « jeunes » maisons de vente qui se servent des ces nouveaux moyens de communication.

12- Les ventes aux enchères se sont « glamourisées » depuis quelques années. Comment cela se gère-t-il dans la sélection des pièces qui vous intéressent et comment cela se ressent sur les prix ? 

Je crois que c’est vrai mais pour les « grosses » pièces. En ce qui me concerne, ma première motivation est de « bien » acheter, je ne peux pas me permettre d’acheter trop cher car j’ai besoin de pouvoir rester dans le budget que je promets. Ensuite, j’aime tous les styles voire même certains designs un peu particuliers. Je fonctionne vraiment au coup de coeur et plus j’avance plus je sais ce qui se vend bien et vite quand je les propose sur le site. Du coup, même si ça ne me parle pas forcément personnellement, j’achète car je sais que cela aura du succès.

13- Quelles sont vos signatures préférées ?

Belperron est sans aucun doute une de mes créatrices préférées. Pour avoir acheté et eu en main énormément de ses créations pendant les cinq ans passés avec Mr Chassard, je connais bien son travail et j’adore l’utilisation qu’elle faisait des pierres et l’originalité des montures. Je ne suis pas peu fière de figurer dans les remerciements du livre de Ward et Nico Landrigan ! J’aime aussi beaucoup Buccellatti, qui n’est pas une maison très présente dans les ventes. Et bien sûr, on ne peut être qu’amoureux des pièces début 20ème des grandes maisons de la Place Vendôme ! J’aurais rêvé de me marier avec un diadème !!

tiphaine brajeux, icymi

Bague en or et diamant brun taille rose. Photo : ICYMI

14- Un moment inoubliable à partager ici : une vente remarquable, une pierre que vous n’oublierez jamais…etc. ? 

En termes de ventes remarquables, c’est sans doute les ventes de Genève qui remportent la palme. C’est toujours l’occasion de voir des pièces exceptionnelles, que ce soit en qualité ou en puissance historique. Par exemple des diamants de plus de 100 carats ou un diadème en acier par Cartier. Et tout ça dans des conditions exceptionnelles ou il est possible de manipuler les pièces et de les observer sous toutes les coutures !

J’ai aussi participé à la vente Paul Louis Weiller à Drouot en 2011, ça reste un grand souvenir ! Une semaine de vente, tout le premier étage de Drouot occupé pendant toute une semaine, une logistique que je n’ai jamais revu depuis.

Je crois que c’était à Bâle ou j’ai eu l’occasion d’essayer la parure Belperron en calcédoine bleue composée d’un collier et d’une paire de manchettes qui appartenait à la Duchesse Wallis Simpson, niveau Histoire c’est assez exceptionnel !

15- Comment voyez-vous l’évolution de votre métier ? Internet change-t-il forcément le fonctionnement des maisons de ventes et l’attitude des vendeurs/acheteurs ? 

Pour moi, vu le canal de vente que j’ai choisi, Internet est clairement essentiel. En ce qui concerne les maisons de vente elles ont réussi à s’adapter. Interenchères et Drouot Live ont changé énormément de choses, aujourd’hui on peut se retrouver contre un acheteur américain, anglais voire même asiatique dans une vente à Dijon ou à Narbonne et ça fait toute la différence. Heureusement, ils ne sont pas forcément partout, c’est encore possible de faire des bonnes affaires sur les petits lots mais pour les gros lots, avec toute la publicité que les maisons de vente font c’est devenu plus difficile. Mais c’est tout bénéf pour les commissaires-priseurs et les vendeurs. Si le lot est bon, ils sont sûr de faire le bon prix !

Pour moi c’est une vraie chance de pouvoir utiliser Interencheres et Drouot Live, ça me permet d’acheter partout en France sans avoir à me déplacer. Sans ces outils, je me ruinerais en billets de train ! Je ne pourrais vraiment suivre une vente à Lyon et à Brest dans la même journée… C’est vraiment ce qui m’a décidé à me lancer !

16- Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui veulent rentrer dans ce secteur ? 

Multipliez les stages et les expériences, ne pas hésiter à poser des questions, il n’y aucune question bête et surtout surtout ne jamais hésiter à frapper à toutes les portes. Il suffit d’un mail bien écrit, gentil et aimable pour potentiellement décrocher un stage. Pas besoin d’un carnet d’adresses long comme le bras…

17- Où est-ce que vous vous voyez dans dix ans ?

J’aimerais qu’ICYMI existe encore et soit devenue la référence du bijou ancien facile et accessible. Que ça ne soit plus considéré comme compliqué et risqué d’acheter un bijou ancien. J’aimerais avoir accueilli plein de nouveaux membres dans l’équipe et avoir déniché plein de belles pièces au fils des années. Pourquoi pas avoir un peu élargi la sélection et proposer des belles bagues de fiançailles anciennes entre 3000 € et 10000 € par exemple !

Et sinon, j’aimerais beaucoup avoir la chance de travailler ou au moins de participer au département Patrimoine d’une grande maison de joaillerie. Je suis fascinée par les dessins d’atelier de bijoux, je pourrai passer mes journées à en regarder !!

À bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

ma Bibliothèque idéale

Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.