Précieux Patrimoine

Mai 17, 2020

Chers lecteurs francophones, vous trouverez ci-dessous, la traduction de mon article « High-end heritage », publié originellement dans le magazine Rapaport et sur le site internet Jewelry Connoisseur. La version américaine est accessible via ce lien.

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Alors que de plus en plus de grandes maisons proposent des collections avec leurs propres bijoux vintage, les marchands et les commissaires-priseurs sont confrontés à une nouvelle concurrence.

Une rare broche papillon Belperron en or, platine, diamants et émeraudes des années 40. Vendu par Aguttes en juin 2018 pour plus de 300 000 € contre une estimation de environ 30 000-50 000 €. Photo : Olivier Baroin / Aguttes.

En mars 2001, une exposition historique ouvrait ses portes au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, une exposition qui allait relancer le marché des bijoux rares et signés. «Diamants», tel était le nom de ce remarquable événement, qui allait faire parler de lui durant longtemps. Celui-ci réunissait les joyaux de la couronne de plusieurs pays – dont la France, le Portugal, le Danemark, l’Égypte et l’Indonésie – et s’appuyait sur les archives et les collections privées de Tiffany & Co. et Cartier. Entre autres.

Le sponsor de l’événement était Robert Mouawad. Pour l’occasion, il avait mis à disposition 1,7 million d’euros pour la scénographie et la sécurité de l’exposition, mais il avait également prêté plusieurs pièces historiques de sa marque. L’exposition – ambitieuse – fut un véritable succès, attirant 400 000 visiteurs. Les maisons de joaillerie de la Place Vendôme – dont la plupart avaient alors refusé de participer à l’événement – commencèrent alors  à réaliser l’attrait du public pour le patrimoine joaillier et l’histoire de la joaillerie française comme internationale.

Depuis de nombreuses années, la plupart des grandes maisons de haute joaillerie construisent leurs propres collections privées. Cartier a ainsi mis en place une vraie politique interne autour de son patrimoine. Pierre Rainero, Directeur de l’image et du patrimoine de la maison Cartier, a contribué à commencer la constitution d’une collection interne dans les années 80. Elle compte aujourd’hui un peu plus de 1 500 pièces. Van Cleef & Arpels possède actuellement une collection de plus de 1 100 bijoux, tandis que Chaumet a accumulé plusieurs centaines de pièces. Aux États-Unis, la maison David Webb « achète parfois des pièces très rares pour la collection du musée« , explique Levi Higgs, archiviste de la marque.

En réalité, l’intérêt du public pour ces joyaux du patrimoine a commencé à apparaitre dans les années 1980, lorsque deux ventes records ont marqué un tournant dans le monde des enchères : les bijoux de Florence Gould ont ainsi rapporté plus de 8 millions de dollars à Christie’s à New York en 1984  et la collection de la duchesse de Windsor a rapporté plus de 50 millions de dollars lors d’une enchère de deux jours organisée par Sotheby’s à Genève en 1987. Les experts ont alors accepté et reconnu que la provenance et la signature seraient désormais des facteurs déterminants pour les ventes futures. Les derniers résultats des enchères ont confirmé cette tendance : la vente de Christie’s de la Collection Al-Thani a pulvérisé quelques records en juin dernier avec un total de plus de 109 millions de dollars, tandis que la vente aux enchères de Sotheby’s avec les bijoux de la famille Bourbon-Parme a rapporté plus de 53 millions de dollars.

Mais il faut attendre la fin des années 90 et le début des années 2000 pour que les maisons de joaillerie commencent à formaliser leurs départements patrimoine en recrutant des historiens et des diplômés du secteur culturel. Ces départements internes sont ainsi passés d’un seul archiviste dans la plupart des cas à l’ajout d’un éventail de nouveaux postes, tels que chef de projet pour les expositions ou les publications et directeur du patrimoine.
En effet, l’Histoire est devenue un élément indissociable du marketing des grands joailliers contribuant à maintenir le désir des acheteurs. «Le patrimoine est un point d’ancrage», déclare Catherine Cariou, ancienne directrice du patrimoine chez Van Cleef & Arpels, «c’est l’ADN interne d’une maison, et il est absolument nécessaire de le connaitre. »

Une bague en or jaune, corail rose et diamant de la collection William & Son Vintage Edit

S’OUVRIR AU GRAND PUBLIC

Bien avant l’exposition « Diamants », Cartier organisait déjà régulièrement des expositions de sa collection de pièces anciennes et historiques. La première exposition date de 1989 et ce type d’événement devient de plus en plus régulier à partir de 2004. Beaucoup d’autres maisons emboîtent le pas au géant de la joaillerie. Parmi elles, on peut citer Bulgari, Chaumet ou encore Van Cleef & Arpels. Mais les maisons doivent veillez à ne pas « noyer » leur message. Et c’est plus vrai maintenant que les départements du patrimoine de plusieurs entreprises sont rattachés à leurs divisions marketing et communication.
Les marques ont su parfaitement capitaliser sur l’enthousiasme des clients internationaux pour le vintage. Dans de nombreux magasins, les pièces acquises par les services du patrimoine peuvent être mises en vente. Van Cleef & Arpels, par exemple, a inauguré une galerie du patrimoine dans son magasin Place Vendôme en 2016. Et certaines marques invitent leurs clients à les contacter quand ils possèdent des pièces anciennes signées. Comme la maison Boucheron par exemple. Sur son site Web, une section encourage les propriétaires de ses bijoux les plus anciens à contacter l’entreprise. Enfin, Cartier organise régulièrement des campagnes de publicité proposant d’acheter des pièces vintage de la marque.

Pourtant, ce tournant n’est pas toujours bien accepté. Ainsi la Biennale des Antiquaires de Paris 2014 a marqué un point d’étape décisif. Cette année-là, plusieurs maisons de joaillerie proposaient des pièces anciennes sur leurs stands, et pas seulement les nouvelles collections qu’elles étaient habituées à présenter. Une modification qui n’a pas vraiment fait plaisir aux antiquaires et membres du SNA de l’époque. L’événement a été un «point de rupture», ont déclaré plusieurs marchants qui désirent rester anonymes.

Et aujourd’hui ? Et bien, les maisons de joaillerie sont devenues des acteurs importants du marché du bijoux anciens, affichant leurs trésors dans des salons incontournables du secteur tels que Tefaf et Masterpiece London.

Bracelet David Webb « Zebra » en or, platine, diamants, émail, 1963. Désormais en exposition au Met Museum de New York.

L’AUTHENTIFICATION EST LA CLÉ

On peut dire désormais que deux catégories de bijoux vintage sont particulièrement recherchées : les pièces signées et celles qui possèdent – en plus – des certificats d’authentification de la marque qui a fabriqué la ou les pièces. Si les meilleurs marchands sont en mesure d’émettre des hypothèses sur la provenance d’une pièce non signée, il est bien plus utile que les papiers la confirment. Mais au cours de la dernière décennie, il est devenu bien plus compliqué d’obtenir ces assurances de la part des maisons de joaillerie, expliquent les marchands. «Aujourd’hui, certaines maisons hésitent davantage à fournir des informations», commente un commissaire-priseur basé à Genève. « Cartier, Van Cleef & Arpels, ainsi que Boucheron font payer l’authentification quand elle acceptent de la réaliser. Avec un coût de plusieurs centaines d’euros, cela peut être prohibitif pour un petit bijou estimé à moins de 5 000 euros.» De nombreuses maisons justifient cela en expliquant le travail qui est nécessaire pour retracer l’histoire d’une pièce. «Chaque bijou, qu’il soit signé ou non signé, fait l’objet de recherches approfondies lors de son authentification. Le processus est payant », déclare Levi Higgs, de la maison David Webb.

Mais une autre raison parfaitement compréhensible est la constitution des collections internes. Catherine Cariou explique que fournir une authentification n’est pas dans l’intérêt de la maison si celle-ci souhaite acheter la pièce, car cela «en augmenterait considérablement le prix. Or Van Cleef & Arpels achète régulièrement pour composer sa collection patrimoniale. »

Parure Van Cleef & Arpels avec boucles d’oreilles et collier en or jaune, diamants, saphirs bleus et jaunes et émeraudes, 1959.

REVENDICATIONS ET CONTENTIEUX

Les archives sont une mine d’informations inestimables et peuvent devenir l’objet de batailles juridiques. Un cas récent a opposé la société américaine E. J. Landrigan, propriétaire de Verdura, et l’expert français de bijoux Olivier Baroin qui a découvert puis acheté les archives personnelles de Suzanne Belperron en 2008 ; il a ensuite publié un livre sur les bijoux Belperron. Cependant, E. J. Landrigan, qui avait acheté la marque Belperron dans les années 1990, s’est opposé à l’utilisation des archives par Baroin. Les tribunaux français ont déterminé que les documents pouvaient être utilisés par Baroin. L’expert français a gagné son procès en première et deuxième instance.

La question est particulièrement pertinente car de nombreuses maisons de bijoux aux États-Unis utilisent leurs archives pour reproduire des pièces anciennes, comme Tiffany & Co. le fait avec les bijoux dessinés par Jean Schlumberger. E. J. Landrigan est l’une de ces sociétés qui tente de relancer les maisons Belperron et Verdura. Les rééditions du bracelet iconique Croix de Malte de ce dernier coûtent actuellement entre 40 500 $ et 58 500 $, tandis qu’une pièce vintage peut coûter près de 100 000 $. En 2004, deux broches Croix Verdura de 1930, appartenant à la journaliste de mode Diana Vreeland, ont été vendues chez Christie’s pour 192 300 $.

Avec des prix toujours très élevés, les bijoux vintage signés constituent un investissement assez solide. Convaincre les clients d’investir appartenait autrefois aux maisons de vente aux enchères et aux antiquaires. Mais maintenant, avec les marques historiques qui jouent désormais sur ce terrain, la question n’est pas tant de savoir si les gens achèteront, mais qui sera le premier à vendre la pièce recherchée par les collectionneurs.

Une rare broche « Cigale » en or, diamants et émail par Boucheron de 1902. Non signée mais avec un certificat Boucheron. Vendu chez Christie’s Paris en novembre 2018 pour plus de 335 000 €. Image: Christie’s.

TROIS BIJOUTIERS AVEC DES CORNERS VINTAGE DANS LEURS BOUTIQUES

William & Son
Depuis un peu plus de cinq ans, la célèbre boutique de luxe londonienne William & Son – fournisseur de la Reine – propose un espace vintage avec des pièces non signées. «Nous sommes passionnés par les bijoux anciens», explique Clémence Mérat, consultante en joaillerie et ancienne responsable du département joaillerie de l’entreprise, « c‘est aussi un engagement écologique, car nous donnons une seconde vie à des bijoux en parfait état. » Dans cet espace raffiné, les clients peuvent trouver des pièces de la fin du XIXe siècle aux années 1980. Le réapprovisionnement est basé sur des découvertes qui attirent l’attention du département.

Buccellati
Il y une petite année, le joaillier italien Buccellati inaugurait un espace dans ses magasins pour présenter des pièces de sa propre collection patrimoniale. Les bijoux sont authentifiés et ils sont vendus avec un certificat et une copie de leurs dessins d’archives. Si la boîte d’origine n’existe plus, l’entreprise la reproduira à l’identique. «Il existe une énorme collection vintage que nous avons divisée en différentes parties et que nous avons [envoyée] dans le monde entier en Asie, en Europe et aux États-Unis. De cette façon, tout le monde peut profiter et voir cette collection spéciale », explique la société. Ajoutant « Toutes les pièces vintage représentent le design signature de Buccellati. » Il y a quelques mois, la maison vendait aussi certaines pièces chez Sotheby’s lors d’une vente exclusive.

Fred Leighton
«Pour tout amateur de beauté, il y a un bijou. Mais pour ceux qui recherchent quelque chose d’unique, une pièce généalogique, un design au style audacieux, il n’y a qu’une seule source: Fred Leighton. » Une bonne manière d’introduire les choses et de rappeler le talent de dénicheur de pièces rares que posséde cette célèbre maison de New York. Et en effet, sa boutique Madison Avenue est une source privilégiée pour des pièces de bijoux signées uniques. L’histoire a commencé dans les années 1970, lorsque Murray Mondschein, propriétaire d’une boutique de vêtements à Greenwich Village, a commencé à vendre des bijoux (il a ensuite changé son nom en Fred Leighton pour correspondre au magasin). Aujourd’hui, l’entreprise crée ses propres collections contemporaines, mais affiche également ses bijoux anciens sur les tapis rouges du monde entier, où ils ornent des stars hollywoodiennes telles que Meryl Streep et Nicole Kidman.

Collier Buccellati en or jaune avec émeraudes, saphirs roses et aigues-marines, 1992. Vendu pour plus de 52,000 € chez Sotheby’s Paris.

A bientôt !

Photo de couverture : Christie’s

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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