Dans les archives de la maison Chaumet

Avr 23, 2018

Place Vendôme, outre la colonne connue du monde entier et le Ritz, les plus célèbres maisons de joaillerie françaises et internationales offrent aux regards éblouis des promeneurs et des passionnés leurs plus beaux diamants, leurs plus belles émeraudes et leurs parures éblouissantes. Mais ce lieu recèle de secrets bien gardés. Parmi ses endroits inconnus du grand public, il en existe un plus étonnant que les autres : le Bureau Bleu. C’est dans ce boudoir, admirablement restauré, que je vous emmène afin de découvrir une petite partie de l’un des plus beaux trésors de la place : les archives de la maison Chaumet.

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Un peu d’histoire

La maison Chaumet doit son nom à un joaillier, Joseph Chaumet, qui donnera son nom à la maison éponyme après son mariage avec Marie Morel, la fille du précédent dépositaire de cette adresse connue pour avoir fournie parmi les plus belles pièces aux têtes couronnées françaises comme européennes. Mais c’est une histoire bien plus ancienne qui remonte à 1780 avec l’installation de Marie-Etienne Nitot. C’est lui qui fonde les bases de cette maison. Puis son fils lui succède en 1809. Ensuite c’est une histoire de transmission de chef d’atelier à chef d’atelier. Il y aura la période Fossin, puis Morel et ensuite Chaumet.

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Quelques croquis dans l’Album Fossin, vers 1810. Photo : ©MarieChabrol

François-Régnault Nitot installe d’abord la maison au 15 Place Vendôme où il acquiert en 1812 l’hôtel particulier. On y trouve alors son appartement et sa boutique. Quasiment un siècle plus tard, Joseph Chaumet fait bouger la maison au 12 de la même place. Nous sommes en 1907, l’adresse est désormais définitive. Cet hôtel particulier date, comme le reste de la place, de la fin du XVIIe siècle. Au premier étage se trouve le musée Chaumet et sa célèbre « salle des diadèmes ». Cet appartement fut celui Claude Baudard de Vaudrier, seigneur de Saint-James, trésorier général de la marine du roi Louis XVI. En 1777, il commande à l’architecte François-Joseph Bélanger le Grand Salon. Désormais restauré et classé aux Monuments Historiques, ce lieu est l’un des plus beaux de la Place. Le Bureau Bleu devait être une chambre. Il fut surtout durant de très nombreuses années celui de Béatrice de Plinval : rentrée en 1969, elle fut dessinatrice, conservatrice, créatrice du musée interne de la maison, elle est aussi la « mémoire » de la maison. Son successeur a été nommé il y a peu. Guillaume Robic – passé par le Ministère de la Culture, le CMN ou encore la Monnaie de Paris, a pris ses fonctions au sein de la maison au 1er janvier 2018.

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Projet pour un devant-de-corsage, platine et diamants, vers 1910. Photo : ©MarieChabrol

Les archives de la maison

Découvrir les archives de la maison, c’est d’abord se plonger dans un ensemble absolument étonnant et particulièrement complet. Très tôt, les joailliers de la maison conservent des documents pour garder une trace des commandes. Des albums sont constitués, rassemblant des dessins, croquis et gouachés. Lesquels sont numérotés. Certains albums sont ordonnés autour d’une thématique comme les nœuds quand d’autres datent d’une époque particulière. Aujourd’hui encore, les archivistes de la maison ignorent qui a constitués ces albums. Il n’existe pas de documents ni « d’ordre de mission » en quelque sorte. Il semble que ce fonds se soit d’abord créé de manière complètement empirique. Les plus anciens dessins datant de 1810. Nous sommes en pleine période F.-R. Nitot dont le chef d’atelier est Jean-Baptiste Fossin. Il ne s’agit pas de gouachés aussi élaborés que ceux que nous pu voir lors des dernières expositions consacrées à ce médium. Il est question ici, dans cet album, de croquis souvent réalisés au crayon graphite. Il n’y a que peu de couleurs, mais le travail du volume est assez remarquable.

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Projet de broche en or jaune et diamants, vers 1970. Photo : ©MarieChabrol

Pour comprendre la richesse comme la complexité du fonds, quelques chiffres sont nécessaires. Aussi les archives de la maison Chaumet se composent comme suit :

  • 80,000 dessins principalement dans les fameux albums
  • 66,000 négatifs dont 33,000 sont en réalité des plaques de verres.
  • 300,000 photos sur papier qui représentent les pièces avant livraison. Une nuance cependant, ce chiffre important intègre des doublons. En effet, certaines pièces ont pu faire l’objet de 3, 5 ou encore 10 tirages photos identiques.
  • S’ajoutent ensuite des pièces comptables : livres de caisses, livres de dépôt et même environ 500 plâtres principalement réalisés au XIXe siècle.

Enfin, et c’est l’une des richesses de ce fonds, La maison conserve quelques 500 maquettes en maillechort (souvent rehaussées de gouache) qui représentent une partie des réalisations de la maison. Il s’agit ici, principalement, de diadèmes et de devant-de-corsages.

Projets de noeuds. Vers 1920. Photo : ©MarieChabrol

Parmi les éléments importants, il faut avoir à l’esprit que ce fonds est assez homogène. Ce qui n’est pas toujours le cas des archives. Les guerres comme les déménagements sont autant de problèmes pour la conservation. Ici, il n’y a pas à vraisemblablement parler de « zones blanches ». Les archivistes arrivant à retrouver les éléments dont des chercheurs peuvent avoir besoin en consultant les différents composants du fonds : dessins, plaques photos, tirages papiers ou documents comptables…etc.

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Détail d’un croquis dans l’album Fossin, projet de diadème, vers 1810. Photo : ©MarieChabrol

Les recherches et la volonté de la maison Chaumet de pérenniser comme d’exploiter ses archives a permis aussi de comprendre leur constitution. On sait par exemple qu’à partir de 1870 la maison a des photographes en interne. Le studio photo a d’ailleurs eu pignon sur la Place en raison de la lumière. Avant de déménager à plusieurs reprises. Mais l’étude de certaines photos révèlent le reflet de la colonne…

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Projet de devant-de-corsage certainement en platine, diamants et peut-être aigues-marines. Photo : ©MarieChabrol

La numérisation, un gage de préservation

A partir de 1990, la maison programme des campagnes annuelles de restauration et de conservation de ses archives. Les albums anciens sont confiés à des restaurateurs d’arts graphiques (INP) afin de les stabiliser et de les conditionner différemment quand ils sont trop endommagés. Papiers neutres et boites de protection sont ainsi intégrés afin de conserver durablement ce fonds. Des travaux sont aussi entrepris créant les conditions hygrométriques optimales pour la préservation et la consultation des pièces. La cellule patrimoine de la maison Chaumet s’agrandit progressivement. Une, puis deux personnes, pour compter aujourd’hui 5 personnes à temps plein.

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Projet de broche en or blanc et jaune, diamants et peut-être chrysobéryl oeil-de-chat. Vers 1970-1980. Photo : ©MarieChabrol

Les photos sont parmi des documents les plus compliqués à conserver. Les papiers sèchent et craquellent, les tirages passent et ne supportent pas la lumière du jour. A titre d’exemple, les gouachés de l’exposition de la Piscine vont devoir retrouver dans le noir durant 18 mois après deux mois d’exposition. Un temps nécessaire pour les « reposer » et les pérenniser.

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Ce croquis de 1907 a servi d’inspiration pour la réédition de la broche présentée dans la collection haute joaillerie de juillet 2017. Il faut savoir qu’elle existe encore et qu’elle sera exposée à Tokyo à partir de juin 2018 dans le cadre d’une grande exposition consacrée à la maison. Photo : ©MarieChabrol

Depuis les années 2000, la numérisation est venue aider le travail des archivistes. Ainsi les livres de factures entre 1838 et 1958 sont désormais accessibles sous format numérique. Un gain de temps pour les recherches. Depuis l’année dernière, c’est le fonds photographique qui est numérisé progressivement au rythme de campagnes récurrentes. Car il faut du temps, une photo demande parfois jusqu’à 15 min de travail pour obtenir un rendu satisfaisant.

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Projet de broche en diamants sur or jaune, vers 1970. Photo : ©MarieChabrol

En prendre plein les yeux

Cette visite et cette découverte des archives aura été particulièrement inspirante. L’album Fossin est remarquable par son contenu. Mais l’album thématique sur les nœuds est encore plus surprenant. Sur des centaines de pages, des croquis, des gouachés témoignent du talent des dessinateurs de la maison. Et le nœud, ADN de la maison, a fait l’objet d’un traitement plus que pointu. A toutes les époques, dans tous les styles et avec toutes les matières possibles, celui-ci se réinvente perpétuellement. Enthousiasmant ! Enfin, je me suis plongée avec bonheur dans un album des années 70 où l’or jaune est parfaitement traité. Travail du fil et des pierres pour des rendus intemporels. Un vrai beau voyage rendu possible par l’équipe de la maison qui a su répondre à mes trop nombreuses questions !

A bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

ma Bibliothèque idéale

Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.