Daniela Mascetti, une femme Sotheby’s

Sep 6, 2018

Le 12 novembre 2018, la maison de vente aux enchères Sotheby’s proposera certainement ce qui devrait être La vente de la saison 2018-2019 en proposant aux acheteurs internationaux la collection de bijoux de la Famille Bourbon-Parme. Une collection incroyable qui retrace plusieurs siècles d’une histoire royale européenne pleine de rebondissements et de changements. Parmi les pièces qui seront proposées figurent plusieurs pièces ayant appartenu à la Reine Marie-Antoinette. Des pièces que l’on pensait perdues définitivement…

Daniela mascetti

Daniela Mascetti en Mai 2017. Photo : Sotheby’s

En mai 2018, je me suis rendue à Genève pour découvrir GemGenève mais également les expositions des grandes ventes de printemps des maison Sotheby’s et Christie’s. A cette occasion, j’ai eu la chance et le privilège de rencontrer durant plus d’une heure Mme Daniela Mascetti, la Directrice Europe pour la Joaillerie et l’une des plus grandes spécialistes dans ce domaine. Ce fut un moment vraiment remarquable et particulièrement enrichissant. Je lui ai donc proposé de se raconter à travers cette interview que je vous livre aujourd’hui avant de vous reparler d’ici quelques semaines des bijoux d’une reine dont les français se souviennent pour son destin plus que tragique.

1- La joaillière est votre passion. Pourquoi avoir finalement choisi de travailler dans ce domaine ? Est-ce que ce fut une opportunité, est-ce que vous aimiez la joaillerie depuis longtemps ou cela avait-il un lien avec votre histoire familiale ?

Ce fut un vrai hasard ! J’étais archéologue et j’étais fatiguée de la bureaucratie excessive des musées italiens et des universités. Dans un premier temps, je suis partie à Londres pour améliorer mon anglais. Comme mon niveau n’était pas mauvais du tout, j’ai décidé de trouver un cours sur l’art et je me suis inscrite chez Sotheby’s pour un programme sur neuf mois : « Sotheby’s Works of Art ». Imaginé pour être complètement immersif, ce programme m’a permis de compléter mes connaissances sur toutes les formes d’art que la maison avait la chance de voir passer dans ses différents départements. J’ai adoré ces quelques mois et je dois dire que cela a été une de mes meilleures années. Après cela, j’étais prête à rentrer en Italie, à reprendre l’archéologie et à retrouver la bureaucratie italienne. J’ai alors reçu une proposition pour un entretien chez Sotheby’s et après dix minutes de discussion, on me proposait un poste dans la maison. J’ai dit oui avant même de savoir de quoi il retournait. En réalité, il s’agissait d’un poste pour intégrer et débuter au département bijoux à Milan. Alors j’ai dit « Je ne connais rien aux bijoux – je les aime beaucoup, mais je ne suis pas une experte ! » ; et on m’a répondu « Pensez-vous que ce soit un problème ? Vous pourriez apprendre ! ». Ce fut alors le début d’un long processus d’apprentissage. Et me voila aujourd’hui devant vous !

Daniela mascetti,

Paire de boucles d’oreilles en or et argent, diamants, XIXe siècle. En provenance de Marie-Thérese de Savoie, Duchesse de Parme. Estimation entre 150,000 et 250,000 $. Photo : Sotheby’s

2- Vous avez rejoint Sotheby’s en 1980. Comment décririez-vous vos quarante dernières années au sein de cette vénérable maison ?

J’ai débuté de zéro avec quelques connaissances extrêmement basiques : les saphirs sont bleus et les émeraudes sont vertes… Ce serait difficile de décrire tout ce long processus d’apprentissage mais je suis passée par de nombreux cours de gemmologie, j’ai appris l’approche clientèle de la maison, la psychologie des acheteurs et des vendeurs. Enfin, j’ai appris à tenir le marteau et à devenir un véritable auctioneer pour la maison Sotheby’s.

3- Quel fut votre plus beau souvenir dans votre parcours chez Sotheby’s ?

Et bien, je pense pouvoir dire que l’un des moments les plus excitants de ma carrière fut d’être l’une des premières personnes à pouvoir admirer les écrins de la Duchesse de Windsor. C’était en 1986. Nous préparions alors la vente qui s’est tenue une année plus tard à Genève en Avril 1987. Ce fut un moment vraiment spécial et émouvant que de pouvoir tenir dans mes mains les bijoux offerts par un roi, qui avait décidé d’abdiquer pour une femme américaine deux fois divorcée, à cette femme qu’il aima toute sa vie. Cette histoire d’amour fut l’une des plus belles du XXe siècle et les bijoux qui la racontent étaient absolument somptueux. Cette vente de 1987 a véritablement entériné quelque chose dans notre domaine : l’importance de la provenance des bijoux pour les acheteurs. Ce fut un changement d’une importance capitale pour les ventes aux enchères de bijoux.

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Pendentif en or et argent, diamant et perle fine. En provenance de l’écrin de la Reine Marie-Antoinette. XVIIIe siècle. Estimation entre 1 et 2 million de dollars. Photo : Sotheby’s 

4- Sotheby’s a vendu de nombreuses collections d’un grand raffinement mais la collection Bourbon-Parme est certainement l’un des plus beaux ensembles jamais présenté ces dernières années. Si des pièces Bourbon-Parme ont pu être admirées ponctuellement, cette collection demeure incroyable. Comment se passe le processus d’estimation quand un tel ensemble se présente dans un département ?

C’est véritablement un processus excitant ! Il y a cette sorte « d’électricité » partout dans le département et les membres « clés » commencent à tous travailler ensemble. C’est absolument fascinant de voir tout ce petit monde qui bourdonne autour des pièces. Par exemple, le spécialiste des pierres de couleurs va se damner pour les incroyables rubis birmans qui se présentent ; un historien va se focaliser sur la généalogie qui accompagne les bijoux ; et un autre historien va essayer de trouver la trace de la fabrication des objets. Par exemple, ce bijou que l’on pensait des années 1870, et bien on se fait confirmer qu’il date de 1869 parce que l’on retrouve sa trace dans des documents de famille. Et c’est un grand bonheur que de pouvoir détailler autant l’histoire de ces pièces. C’est un véritable travail d’équipe. C’est si rare et tellement extraordinaire de devoir documenter un tel écrin. C’est un moment dont l’on veut profiter au maximum.

5- Combien de mois ont été nécessaires pour s’assurer de la réelle provenance des pièces et pour pouvoir communiquer avec certitudes sur la collection ?

Mais les recherches continuent. Nous n’avons pas encore terminé de tout documenter. Mais il nous a fallu de très nombreux mois pour arriver au stade où nous en sommes.

6- Découvrir les bijoux perdus de Marie-Antoinette est un moment rare. Comment avez-vous pu donner une estimation à ces objets ?

C’est certainement le plus gros challenge de notre travail. Vous pouvez calculer le prix par carat d’un diamant ou donner une estimation pour une perle en vous basant sur son lustre, son poids ou la perfection de sa forme. Mais vous ne pouvez absolument pas quantifier de manière scientifique l’engouement du marché pour une provenance historique. Donc, par exemple, pour le pendentif de Marie-Antoinette en diamants et perle, nous avons donné une estimation entre 1 et 2 million de dollars. En considérant sa provenance et le fait que la Reine a eu cet objet dans ses mains, cela ne nous a pas semblé extravagant. Mais peut-être fera-t-il bien plus et c’est ce que nous espérons !

7- Durant le processus d’évaluation, avez-vous découvert des poinçons, des signatures (particulièrement sur les pièces de Marie-Antoinette) nous permettant d’en savoir plus sur les joailliers qui oeuvraient pour elle ?

A l’époque de la fabrication de ces bijoux, les joailliers ne signaient quasiment jamais leurs pièces. Nous ne nous attendions donc pas à une grande découverte. Et nous n’en avons pas fait d’ailleurs. Mais, par contre, les pièces plus tardives possèdent des poinçons et des signatures. Cela nous a donc permis de les documenter plus encore.

Daniela mascetti

Broche en argent et or, diamants et rubis de 6,89 carats, signée Bachruch, donné à l’Archiduchesse Marie-Anne d’Autriche – Princesse Elie de Bourbon-Parme – pour la naissance de son fils Charles en 1905. Estimation entre 200,000 et 300,000 $. Photo : Sotheby’s 

8- En tant que française, je souhaiterai que certaines pièces intègrent un musée comme le Louvre. Est-ce que certains musées européens ont fait part d’un intérêt pour ces bijoux ?

Premièrement, il faut bien avoir en tête que les pièces proviennent de la collection de Marie-Antoinette mais aussi de la famille Bourbon-Parme. Bien sur, nous serions heureux d’en voir dans nos musées mais c’est à eux de décider.

Dans le passé, plusieurs bijoux vendus par notre maison ont été acquis par des musées. Par exemple la tiare de l’Impératrice Eugénie (qui faisait partie de la collection de la famille Thurn & Taxis) est désormais au Louvre. Cette pièce fut vendue en 1887 lors de la vente des diamants de la Couronne et elle fut acquise par la famille Thurn & Taxis, 17 ans après la fin de la Monarchie. Mais les pièces de novembre sont des pièces de collections privées personnelles. Il ne s’agit pas des diamants de la couronne.

9- Pour finir, j’aimerai vous demander comment serait votre vente idéale ? Est-ce que vous rêveriez de voir passer en vente une pièce en particulier ?

En tant qu’historienne de la joaillerie, je crois que j’aimerai voir une collection qui couvre la totalité de la création joaillière, de 1700 aux années 2000. Ce serait merveilleux de trouver un ensemble où chaque décennie serait représentée par une pièce typique et marquante. Ce serait assez incroyable de voir 300 ans d’histoire et de périodes stylistiques parfaitement résumées en 30 pièces !

À bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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