Depuis quelques mois, déjà, l’envie de faire entrer des contributeurs sur legemmologue.com me tentait. Vous aviez pu, ainsi, lire l’excellent article de Marine Chabin sur les savoir-faire dans la joaillerie. Claire Fillet avec le podcast « Rubis sur Canapé » a rejoint l’aventure. Emmanuel Thoreux – désormais négociant en gemmes américaines avec sa maison White River Gems – vous a emmené par deux reprises aux USA. Aujourd’hui Sébastien Bahri, Asia Manager auprès de la maison Nomad’s, vous propose de découvrir la région d’Erongo en Namibie.
Paysage de la région d’Erongo. Photo : Sébastien Bahri
Couché de soleil sur le Spitzkoppe. Photo : Sébastien Bahri
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Par Sébastien Bahri (FGA)
1- Introduction
Il y a un peu plus de dix ans de cela, un jour de septembre 2008, j’arpentai les allées du salon de Bangkok avec un groupe d’étudiants de mon école de gemmologie lorsque notre attention fut attirée par un stand un peu particulier et surtout par ses vitrines de présentation. Ce jour-là, je fis connaissance en chair et en os avec mes futurs (et actuels) employeurs de Nomad’s et je découvris également pour la première fois les tourmalines d’Erongo. Ce fut une double révélation. Aujourd’hui, dix ans plus tard, je revois mentalement ces tourmalines. Bleu électrique, vert menthe, jaune vif, bleu-vert, elles hantent encore mes souvenirs. Il y a des coups de foudre que l’on n’oublie pas !
Aussi lorsque la possibilité se présenta de me rendre en Namibie pour visiter leur mine d’origine, ce fut un « oui » sans hésitation.
Tourmaline bleue néon de la mine d’Usakos en Namibie, issue de la poche découverte en 2005. Ces pierres, d’une couleur très proche des tourmalines Paraiba, sont pratiquement impossibles à trouver sur le marché à l’heure actuelle. Photo : Jinjuta Lohacharoenvanich
2- Un peu d’histoire et de géologie
Des immenses concessions diamantifères du Sperrgebiet du Sud au gisement de grenat mandarin de Marienfluss au Nord, en passant par les améthystes du Brandberg, la dioptase de Tsumeb et les aigues-marines, jéréméjevites, tourmalines et grenats démantoïdes d’Erongo, la Namibie est un pays au sous-sol extraordinaire. On pourrait écrire des ouvrages entiers sur les gemmes Namibiennes, aussi ce court article va s’intéresser uniquement aux tourmalines de la région d’Erongo. J’avoue bien volontiers ne pas être impartial, il y a longtemps que je suis tombé sous le charme de ces pierres…
L’Erongo est une caldéra gigantesque d’environ 30 kilomètres de diamètre, restes d’un ancien volcan actif il y a environ 135 millions d’années. Après une violente phase éruptive, le volcan s’effondra complètement formant la caldéra visible actuellement. Cette éruption fut suivie d’une seconde phase d’intrusion de granite dans la caldéra et dans la région autour de celle-ci. De nombreuses pegmatites furent ainsi créées, renfermant dans des cavités internes ou « poches » de nombreux cristaux, dont la tourmaline. [1]
La présence de tourmalines dans les pegmatites d’Erongo est connue depuis environ un siècle. Hans Cloos, célèbre géologue allemand, établi des cartes géologiques de la région et réalisa des études sur place avant la Première Guerre Mondiale. L’exploitation des pegmatites est encore faite en bonne partie de façon artisanale, à la pioche, au burin et à la barre à mine, c’est un travail physique absolument épuisant. [2]
Certains mineurs fabriquent eux-mêmes leur propre poudre noire pour faire sauter les blocs de roche. Lorsqu’ils ont les moyens financiers pour le faire, ils utilisent des marteaux-piqueurs pneumatiques pour briser la pegmatite. Le manque de carburant pour le compresseur est parfois un problème. [2] Car Erongo ne donne pas facilement ses trésors. Le climat, aride et semi-désertique, est rude et le manque d’eau rendent les conditions d’extraction difficiles. A cela s’ajoutent les difficultés inhérentes à l’exploitation de gisement primaire. La roche mère est dure et tenace et doit être attaquée à l’explosif : la progression du travail est lente et laborieuse. De plus, toutes les poches dans les pegmatites ne renferment pas de tourmalines gemmes non plus, une majorité sont remplies de quartz, de feldspath et de mica ou de tourmaline schorl (noire) de peu de valeur. [3] Dame Nature fut cependant un peu plus clémente par endroits. L’érosion a profondément altérée certaines pegmatites, fracturant les roches et les rendant friables ce qui facilite la tâche des mineurs.
Paysage de la région d’Erongo. Une partie de la caldera du volcan Erongo est visible en arrière-plan à gauche. Photo: Sébastien Bahri
3- Une visite d’une mine
La majeure partie de l’activité minière de la région se concentre dans une zone autour des villes d’Omaruru, Usakos et Karibib. S’il y a en permanence plusieurs dizaines de petites exploitations et mineurs indépendants chassant l’élusive poche de tourmalines, seules deux mines de plus grande ampleur sont encore en activité, celle d’Usakos près de la ville du même nom et celle de Katjanga, à environ 40 km au sud-est de la ville d’Omaruru.[2] Elles sont nettement plus modernes, utilisant des moyens mécanisés assez importants.
Les quantités de tourmaline de qualité gemme extraites d’Erongo n’ont jamais pu rivaliser avec la production pléthorique du Brésil ou d’autres pays d’Afrique, mais elles n’ont rien à envier aux autres sources en termes qualitatifs. Les tourmalines bleues, indigo et bleu néon, ainsi que les tourmalines bleues-vertes « lagon » produites dans la région sont sans conteste parmi les plus belles du monde.
Les pierres Namibiennes sont très appréciées et recherchées par les connaisseurs, à la fois par leurs couleurs et aussi pour leur heureuse caractéristique d’avoir très fréquemment un axe c ouvert. Une bonne partie des plus extraordinaires tourmalines Namibiennes proviennent de deux mines en particulier qui ont acquis un statut presque légendaire : Neu Schwaben et Usakos.
Tourmaline bleue-verte dite « lagon » de la mine d’Usakos. La pierre taillée pèse plus de vingt-huit carats et provient de la poche découverte en 2016. Photo: Prangrak Ruahong
a- Neu Shwaben
L’une des plus anciennes mines de tourmaline de Namibie et probablement la plus connue, la mine de Neu Schwaben est située sur le terrain de la ferme (nom générique donnée à toute grande propriété terrienne en Namibie) Neu Schwaben Farm 73, à une douzaine de kilomètres au sud de la ville de Karibib.[4] Le gisement produit des tourmalines allant du bleu-vert lagon à un bleu indigo. C’est pour ces dernières que la mine est particulièrement réputée et ses pierres très recherchées pour la joaillerie mais également par les collectionneurs de minéraux.
La réputation de Neu Schwaben est plutôt méritée : les meilleures tourmalines indigolite qui en sortent sont absolument exceptionnelles. De l’humble avis de l’auteur, les tourmalines Indigolites Namibiennes de Neu Schwaben, Usakos et Katjanga probablement les meilleures au monde avec celles de la mine Mawi, Laghman, en Afghanistan.
Tourmaline bleue « Indigolite » d’Erongo. Les pierres Namibiennes peuvent rivaliser sans difficulté avec les plus belles Indigolites Afghanes ou Brésiliennes. Photo: Maria Arkhipova
L’histoire de la mine de Neu Schwaben est mouvementée. Elle fut longtemps la propriété de Sidney « Sid » Pieters, une véritable légende locale (La Pietersite, trouvée à Outjo en Namibie, porte son nom) qui exploita plusieurs mines dans la région (dont celle d’Usakos dont nous parlerons). [5] Sid légua Usakos et Neu Schawben à sa fille Shelly qui continua l’exploitation du gisement avec son mari, David Mansfield. [6] Dans les années 90, quelques mineurs indépendants travaillaient sur la pegmatite avec l’accord des propriétaires lorsque la mine fut vendue en 1996 à une compagnie britannique, Indigo Sky Gems.
Pendant ce temps, une importante découverte de tourmaline dans un dépôt éluvial en 1996 et 1997 à Neu Schwaben générèrent une ruée et près d’un millier de personnes venues de tout le pays arrivèrent sur le gisement, creusant de nombreux puits indépendants. [7] Face à cette situation totalement anarchique, Indigo Sky Gems demanda au gouvernement d’expulser les mineurs et une longue procédure juridique fut entamée. Les mineurs furent expulsés en 1998 mais la réputation d’Indigo Sky Gems souffrit lorsque la presse révéla les liens supposés de son actionnaire Tony Buckingham avec la compagnie de mercenaires Executive Outcomes, très active dans les guerres civiles d’Angola et du Sierra Leone. [8]
Officiellement fermée par le ministère des mines de Namibie, le gouvernement laissa néanmoins certains mineurs revenir à Neu Schwaben pour y exploiter la pegmatite. Quelques équipes de mineurs, de 3 à 5 personnes chacune généralement, continuent à ce jour à chercher activement la tourmaline dans quelques-uns des puits de Neu Schwaben, avec l’éternel espoir de trouver la poche de cristaux qui fera leur fortune… [2]
b- Usakos
Il y a près de 90 ans de cela, près de la petite ville d’Usakos, une explosion retenti. Un prospecteur à la recherche d’étain venait de faire sauter des blocs de roche à la dynamite dans sa concession. Incroyable coup du hasard ou destin ? La poussière dissipée et à sa grande surprise, il trouva des tourmalines. Et pas seulement un peu ! Il venait de d’ouvrir une gigantesque poche, peut être la plus grande jamais trouvée en Namibie. Celle-ci produisit au total 1 tonne de cristaux de tourmaline ! L’étain passa immédiatement à la trappe et la recherche de la tourmaline débuta : la mine d’Usakos était née.
Vue générale de la mine d’Usakos. Photo: Sébastien Bahri
Le front de mine à Usakos. Les marques des anciens forages pour y introduire de la dynamite sont nettement visibles. Photo: Sébastien Bahri
Située à quelques kilomètres de la ville éponyme, cette mine à ciel ouvert exploite une grande pegmatite de plus de 600 mètres de longueur et de 350 mètres de largeur. [9] L’épaisseur de la pegmatite est également assez impressionnante et dépasse les 15 mètres par endroits. Les poches de tourmalines sont disséminées de façon assez aléatoire un peu partout dans cette pegmatite, ce qui rend la production assez irrégulière. [3] Aux périodes fastes succèdent de longs moments de production faible voire nulle.
La mine est connue pour ces tourmalines allant du bleu indigo au vert menthe, l’une de ces nuances, subtile fusion de bleu et de vert et dite « lagon » car sa couleur est proche de celle des eaux d’un lagon tropical, est particulièrement appréciée. La mine produit également parfois des tourmalines jaunes et rouge-brun. Entre 2005 et 2007, plusieurs poches de tourmalines furent mises au jour à Usakos et provoquèrent une véritable sensation sur le marché, à la fois par leurs couleurs lagon et bleu électrique mais surtout par leurs dimensions. Des gemmes pures à la loupe et pesant près de 100 carats furent taillées. [10]
La couleur bleu néon de ces tourmalines est si proche visuellement des tourmalines cuprifères « Paraiba » qu’elles furent testées par le laboratoire Suisse SSEF. Les analyses montrèrent la présence de fer et de manganèse et l’absence de cuivre. [10] Cette découverte extraordinaire fut suivie par une longue période de vaches maigres à Usakos, avec une production dérisoire de 2007 à 2016.
Alors que l’on pensait faire le deuil des tourmalines d’Usakos, la mine, semblant se moquer des prédictions des humains, donna à nouveau une superbe poche en mars 2016. Plusieurs kilogrammes de tourmalines vert-bleuté menthe et bleu-vert lagon en furent extraites. La mine d’Usakos sera bientôt centenaire et la pegmatite est encore loin d’être épuisée. Qui sait quels trésors renferme-t-elle encore ?
Exceptionnelle tourmaline taillée en poire de plus de 64 carats. C’est la plus grande gemme taillée issue de la poche découverte en mars 2016. Photo: Prangrak Ruahong
4- Conclusion
Source de tourmalines extraordinaires, la Namibie doit faire face à des défis majeurs en termes de production. La région d’Erongo renferme certes encore un grand potentiel, mais plusieurs facteurs freinent la prospection et l’exploitation des pegmatites gemmifères de la région. De nombreux terrains de la région appartiennent à des propriétaires privés qui ne souhaitent pas nécessairement voir se développer une activité minière sur leurs terres. A cela s’ajoutent les difficultés du climat et du terrain ainsi qu’au manque de moyens financiers pour lancer de plus grands projets.
Malgré tout, le tableau n’est pas totalement sombre. Les pierres Namibiennes sont appréciées et les couleurs lagon et indigo très demandées sur le marché. La hausse considérable des prix des tourmalines ces dix dernières années profite aux exploitants locaux en valorisant la production et rentabilisant les investissements en matériel. Cela encourage également la prospection de manière générale, ce qui tend de façon empirique à augmenter la probabilité de découvrir de nouvelles pegmatites et/ou une poche majeure.
La production plutôt confidentielle de Namibie peut être également vu sous un jour positif. Cela peut paraitre paradoxal au premier abord, mais le faible nombre d’acteurs, de l’extraction même aux compagnies travaillant avec cette matière, rend les tourmalines Namibiennes facilement traçables de la mine au marché. Avec la forte tendance actuelle de recherche de traçabilité et d’éthique dans le domaine de la joaillerie, cela représente un atout par rapport aux tourmalines d’autres origines pouvant avoir des couleurs similaires.
5- Remeciements
Je tenais particulièrement à remercier Mykola Kukharuk et Sviatoslav Grygorenko pour m’avoir permis de réaliser ce voyage en Namibie, Prangrak Ruahong pour l’aide apportée avec les visuels de cet article, Christopher L. Johnston pour les informations fournies sur les techniques d’extraction des tourmalines Namibiennes et la famille McDonald pour nous avoir gentiment autorisé à visiter la mine d’Usakos.
6- Bibliographie
[1] Erongo! The Mineralogical Record. September-October 2006, volume 37, number 5
[2] Christopher L. Johnston, communication personnelle
[3] Johan McDonald, communication personnelle
[4] Neu Schawben https://www.mindat.org/loc-7321.html
[5] http://www.tsumeb.com/en/biography/24/pieters-sidney-(inch-sidinch-)/
[6] https://mineralogicalrecord.com/labels.asp?colid=664
[7] Independent – Dispute in Namibia, Monday 3 August 1998
[8] Namibian – Government looks into mercenary link, 24 July 1998.
[9] Usakos https://www.mindat.org/loc-229686.html
[10] Sviatoslav Grygorenko, communication personnelle
À bientôt !