De la formation en bijouterie, rencontre avec Franck Massé

Mai 31, 2022

Durant de longues années, ma route a régulièrement croisé celle de Franck Massé quand il s’occupait de l’AFEDAP à Paris. Que ce soit à l’école ou lors de très beaux vernissages comme ceux de la Galerie Mazlo, c’était toujours un plaisir d’échanger avec lui autour de la bijouterie, de sa vocation et de son évolution. Cela faisait un moment que je voulais l’interviewer mais nos deux vies respectives (comme celles de beaucoup d’autres personnes) ont été chamboulées par la période que nous venons de traverser. C’est désormais chose faite et j’espère que vous prendrez autant de plaisir à lire cet article et à découvrir ses propos que j’en ai pris à lui poser mes nombreuses questions et à transcrire ses réponses riches, passionnantes et pertinentes. Au programme, la formation en bijouterie joaillerie, qu’est-ce que le bijou contemporain, comment former les générations de demain, l’histoire de l’AFEDAP et son héritage…

Photo : Franck Massé

1- Pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs ?

Aujourd’hui comme hier, je suis toujours le même petit garçon qui s’émerveille de ce qu’il découvre et des gens qu’il rencontre. Mais officiellement, je suis sculpteur, je dépends de la Maison des Artistes et je suis profondément attaché à la notion d’enseignement car j’ai toujours aimé transmettre. Je me rends compte avec le temps que c’est une capacité à se mettre à l’écoute des autres. Sculpteur enseignant, cela me définit bien.

2- Quel métier vouliez-vous faire quand vous étiez enfant ?

Cela m’a fait sourire quand j’ai découvert les questions. Je voulais être géologue. En fait je ne savais pas trop à quoi cela correspondait mais j’ai toujours mis des pierres dans mes poches lors de mes balades et j’avais une passion pour les cailloux. Ce que je trouvais dans la terre était, et est toujours, précieux.

3- Quel a été votre parcours de formation en relation avec le bijou ?

J’ai toujours eu une affinité avec l’art et la pratique artistique. J’étais un élève très en réaction avec le système. Je ne me retrouvais pas dans l’éducation telle qu’on la concevait. Rapidement, j’ai été déscolarisé à partir du secondaire. Je suis parti en voyage autour du monde et j’ai passé mon bac en candidat libre. J’ai trouvé de la compréhension auprès des professeurs d’art plastique qui étaient alors les seuls à me permettre de venir dans leur cours alors que je n’allais plus à l’école. J’ai ensuite tenté des concours dans différentes écoles d’art et la vie m’a permis de rentrer aux arts appliqués à Olivier de Serre. A mon époque, le concours d’entrée durait une semaine et j’ai eu la chance de suivre ce qu’on appelait alors « une mise à niveau » qui couvrait toutes les disciplines qui étaient enseignées à l’école. Ce fut une période faste et passionnante intellectuellement. Il faut comprendre que je ne savais pas vraiment pourquoi je voulais entrer dans cette école. Je n’avais alors pas de projet de vie défini. Et la rencontre avec les différents ateliers, les différentes pratiques m’a autorisé des expérimentations pour essayer de mieux me définir. Je me suis pleinement épanoui dans cette pluridisciplinarité avec la possibilité de faire de la céramique, de travailler des domaines très variés. Et rapidement, je suis resté sans voix devant le métal en fusion lors d’une visite dans l’atelier métal qui été alors tenu par Serge Mouille. Il m’a appris à souder et à apprivoiser ce métal. Ce fut une rencontre décisive.

J’ai eu la chance, si on peut appeler ça ainsi, d’être dans toutes les réformes de la formation. Aussi, l’école nous a rapidement annoncé qu’il fallait nous déterminer car le diplôme changeait. Je suis donc rentré dans le cursus « surfaces et volumes » qui me convenait au début mais qui commençait à manquer de cette possibilité d’expérimenter des choses. Nous nous sommes battus pour continuer à avoir accès aux ateliers et être moins mono centrés sur une pratique. Ce sont d’ailleurs des débats qui restent complètement actuels. Puis ma deuxième année est arrivée et cela restait un tronc commun. Je me suis posé beaucoup de questions sur ce que je voulais faire. Le hasard a voulu que mon enseignant de l’atelier métal, Serge, lance un nouveau programme de formation totalement inédit. Il montait alors avec d’autres enseignants ce que l’on allait appeler le Diplôme des Métiers d’Art (DMA) et j’ai donc fait parti de la toute première promotion dont je suis sorti en 1988. Il avait imposé de nombreuses nouveautés dans la formation mais l’une des plus marquantes c’était que les enseignants en matières générales devaient venir faire leur cours dans les ateliers. Nous étions 5 étudiants et notre approche comme la leur s’avéraient complètement bouleversées par le fait de ne pas faire cours dans une salle de classe basique. L’objectif n’était pas de reproduire bêtement des techniques mais bien de les convoquer en fonction de nos souhaits de réalisation. L’expérimentation était partout. J’allais chercher mes ressources, je sollicitais les enseignants sur des questions précises, je me confrontais à des spécialités qui me permettaient de donner corps à mes projets.

4- Vous avez longtemps dirigé l’Association pour la Formation Et le Développement des Arts Plastiques (AFEDAP), comment est né ce projet de créer une école avec une vrai ouverture créative et contemporaine?

Suite à ce DMA, avec deux de mes collègues de promotion, nous avons acheté du matériel et nous avons monté un atelier. De rencontres en rencontres, j’ai rencontré un atelier d’architectes et nous avons grandi avec eux en cherchant un lieu plus grand dans lequel nous épanouir professionnellement. Je suis resté dans ce lieu durant 15 ans. Je travaillais alors sur des projets de sculptures et aussi avec des associations autour de l’inclusion sociale. Entre autres, une association de professeurs dans le quartier de La Nacelle à Corbeil-Essonnes qui avait lancé le projet de l’école ouverte. Nous avons donc animé des ateliers de conceptions d’instruments de musique et de costumes pour faire des spectacles de rues.

Assez rapidement, j’ai commencé à enseigner quand j’ai remplacé un de mes anciens enseignants dans l’école de la rue Jules César (Paris) qui faisait parti de la BJO et qui s’adressait uniquement à des adultes. Je me suis alors frotté à la pédagogie, à la conception de cours, à la transmission. Certains étudiants voulaient évoluer vers une vraie pratique d’atelier hors les locaux n’étaient pas adaptés et le dialogue était compliqué avec les enseignants plus traditionnels qui intervenaient sur le CFA de la rue du Louvre. Petit à petit, une idée un peu dingue a germé : celle de faire notre propre structure. J’avais alors co-fondé une association pour faire du modelage, de la sculpture, du modèle vivant. Une fois par mois, on organisait une session de travail et de recherche qui se terminait invariablement par un diner pour refaire le monde et échanger sur nos univers. L’idée de l’AFEDAP est partie de ces discussions. Et avec mon collègue Jean-Jacques Victor, nous avons décidé de créer l’école dont nous rêvions. Nous avons cherché une surface qui pouvait accueillir ce projet et nous avons trouvé dans le 19e. La naissance puis l’installation de l’école ont été une période très intense, nous travaillions presque jours et nuits. Ce fut assez incroyable. On a démarré tout petit et on a construit avec les gens qui nous ont fait confiance. Nos enseignants étaient tous des artisans, des artistes et ils étaient même plus nombreux que les élèves. Avec un objectif, permettre aux étudiants d’apprendre et de developer leurs idées dans la direction qu’ils souhaitaient donner à leur travail. L’école n’a jamais fonctionné selon une vision verticale. C’était alors très novateur.

5- On a souvent comparé l’AFEDAP à La Escola Massana? C’est un sacré compliment à mon sens. Etes-vous d’accord avec cette vision de ce qu’à été l’école AFEDAP?

Quand on a créé l’AFEDAP, je ne connaissais pas la Massana. Mais j’ai rapidement découvert des gens qui y enseignait comme Ramon Puig Cuyas. Les comparaisons sont toujours compliquées à faire en réalité. Mais La Massana, pour un français, c’est le symbole de l’ouverture. Car elle est loin du modèle français premier de l’apprentissage où on apprend déjà un métier sans forcément y mettre de la créativité. Car c’est la vocation première de l’apprentissage qui sert à donner un métier et les savoir-faire qui vont avec. Sauf qu’apprendre un métier, à mon sens, c’est puiser dans les objets, dans les gens qui les ont fabriqués, dans les choses qui les ont inspirés. Donc cette comparaison elle est bien sur gratifiante. Plus tard, j’ai rencontré plusieurs fois Ramon, entre autres à Minorque où il y avait un colloque autour d’un salon qui s’appelait Euro Bijou. Nous y avons plusieurs fois envoyé des étudiants de l’école qui sont allés présenter leurs pièces. Je crois qu’il faut bien saisir que ce que nous avons voulu faire était d’être des facilitateurs de rencontres. Avec un objectif précis, que les gens soient heureux d’être là et d’apprendre tous ensemble dans le respect de leur différences et de leurs univers.

ROC. Bague. Acier. 2015.

6- Une école de bijouterie ne devrait, à mon sens, jamais fermer. Pourquoi avoir pris cette décision?

L’aventure de l’AFEDAP aura duré 26 ans. Alors, il y a eu des raisons techniques liées au bâtiment. Mais ce qui nous a fait arrêter, c’est surtout l’évolution des apprentissages. On nous sollicitait de plus en plus pour des formations courtes et des apprentissages de loisir. Ce n’était pas la vocation de l’école. L’augmentation de la concurrence dans le secteur de la formation a joué aussi. Et puis le contexte général, les attentats à Paris, la diminution des effectifs étrangers, en particulier d’Asie, ne nous a pas aidé. Hors, cette confrontation des cultures était l’un des piliers de l’école. Et puis il y a eut une part d’essoufflement personnel car l’énergie pour porter l’école était énorme. Et, enfin, les reformes successives de la formation, l’arrivée du datadoc, la complexité entre les différents organismes et acteurs du financement des formations qui ont ajouté des complications pour des étudiants qui voulaient faire financer les formations et à qui on opposait un refus pour des raisons administratives. Nous voulions continuer à donner une vraie qualité d’enseignement et nous avons décidé de fermer mais d’accompagner comme nous l’avions toujours fait la dernière génération d’étudiants de l’AFEDAP.

7- Quelle est aujourd’hui le devenir de l’AFEDAP et son ambition?

Administrativement, l’association n’existe plus depuis 2020. L’AFEDAP continue d’exister par ses diplômés mais d’autres choses peuvent naitre de cette fermeture.

8- Comment voyez-vous l’avenir du métier de bijoutier joaillier?

A mon sens, c’est une période assez incroyable pour les étudiants qui ont accès à de très nombreuses techniques et aussi à une ouverture du métier qui est finalement très nouvelle. Je pense que l’arrivée des filles dans les ateliers a aussi profondément changé la donne de ce métier avec l’apport d’une sensibilité différente. J’ai assisté à ce changement que je juge plus que bénéfique. J’ai le sentiment que ce qui va faire la différence, c’est plus le cadre dans lequel on va apprendre et pratiquer que la transmission du geste. Je pense aussi qu’il va y avoir encore plus de transversalité (entre les métiers d’art). Être bijoutier céramiste ou bijoutier verrier est quelque chose de normal désormais. Le cumul des compétences est aussi symptomatique de cette époque de bouleversements. Avec comme perspective, d’inventer de nouvelles pratiques au service des objets.

9- Quelle est la place du bijou contemporain aujourd’hui? Comment doit-il se définir?

Rien que de prononcer le mot c’est une polémique. Entre la vision du marketing et celles des créateurs, on obtient autant de définitions que de visions de ce bijou dit contemporain. En réalité, ce bijou, il est en fait à la frontière de nombreuses pratiques : métier d’art, design, artisanat…etc. Tout en tenant compte que ces différentes pratiques se cherchent également. Car un artisan d’art, c’est déjà un assemblage que de nombreuses personnes ne comprennent pas : le mélange de l’artisan et de l’artiste. Aussi, le bijou contemporain, se cherche lui aussi. A l’AFEDAP, nous avions définit l’appellation de « bijou d’auteur » avec une vocation à relever plutôt de la Maison des Artistes que de la Chambre des Métiers. La démarche que mène Ateliers d’Art de France est intéressante avec son idée d’un statut unique pour les « auteurs artisans », c’est à dire des gens qui parfois font de la production, de la sous-traitance et qui ont aussi une activité artistique. Parce qu’on peut être technicien et artiste, ou artiste mais technicien aussi. L’un ne va pas sans l’autre mais peut aussi amener à monter des collaborations. Car il y a des intelligences techniques et des intelligences artistiques. Plus particulièrement dans la bijouterie où une réalisation est souvent la somme de nombreuses compétences et de nombreuses personnes. Mais il ne faut pas hiérarchiser, il faut travailler ensemble. Les solutions pouvant autant venir de la technique brute que de la manière d’aborder les choses.

10- Comment voyez-vous l’évolution de l’industrie du bijou? Comment les enseignants doivent-ils concevoir leur métier dans les années qui arrivent?

Il n’y a pas de définition globale du métier d’enseignant. Il faut certes aimer ce qu’on enseigne et savoir de quoi on parle. Mais une des choses qui me semble la plus importante, c’est de travailler sur l’erreur car elle est formatrice et précieuse à bien des égards. Travailler sur l’erreur, sur le process qui n’a pas fonctionné, c’est aussi chercher comment le faire aboutir. Ce qui n’a pas marché chez l’un, va peut-être marcher chez un autre. Pourquoi, comment, il y a une part d’impondérable la-dedans. Aussi, il faut noter et s’appuyer sur l’erreur pour inventer de nouveaux procédés. Cela permet également d’acquérir un esprit critique et de faire évoluer sa vision des choses et des techniques.

11- Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui veulent rentrer dans ce secteur?

Depuis que l’humanité existe, la pratique du bijou existe. Il n’y a donc aucune raison pour que cela s’arrête. Si vous avez envie d’y aller, allez-y, faites des rencontres, essayez, testez des choses et des techniques, cherchez des matériaux et, surtout, exprimez-vous!

A bientôt !

À propos

marie chabrol

Bonjour, je m’appelle Marie. Conférencière, consultante & formatrice, j’écris avec passion sur l’univers de la joaillerie.

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Voici ma bibliothèque idéale. Tous ces livres font partis de ma propre bibliothèque et je les relis toujours avec un immense plaisir.