De l’Art nouveau

Août 31, 2023

Depuis le 2 juin et jusqu’au 30 septembre 2023, L’École des Arts Joailliers présente une remarquable exposition gratuite sur ce mouvement artistique au style affirmé qui fait aujourd’hui quasiment l’unanimité. Et pourtant, ce ne fut pas toujours le cas. En rassemblant, pendant encore un mois, une centaine de pièces absolument superbes, L’École des Arts Joailliers vous invite à découvrir les joailliers qui ont façonné des bijoux incroyables empreints, pour la plupart, d’une grande poésie.
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Peigne Cigales, circa 1903. Gaston Chopard, bijoutier (1883 – 1942). Écaille, émail, or émaillé, perles fines.
Don Madame Gaston Chopard, 1952, inv. 37291 Paris, Musée des Arts décoratifs © Les Arts Décoratifs – Jean-Marie Del Moral

1- L’Art nouveau, un mouvement novateur mais fugace

Si ce mouvement fait quasiment, aujourd’hui, l’unanimité, il a fallu une véritable redécouverte de celui-ci pour faire oublier les destructions multiples du milieu du XXe siècle quand le « style nouille » ne faisait plus recette et que l’on remisait dans les greniers les vases et objets que beaucoup de gens trouvait alors trop chargés. Mais force est de constater que depuis la fin des années 90, le grand public redécouvre ce mouvement.

La faute, ou plutôt la chance, à l’année 1999 et le centenaire de l’École de Nancy, fer de lance de l’Art nouveau en France, qui aura permis de remettre sur le devant de la scène l’action et l’engagement de créateurs engagés dans un changement de perception des arts décoratifs tels que Gallé, Majorelle ou Prouvé. En témoigne depuis les restaurations de bâtiments et les différentes expositions qui enracinent désormais profondément cette période courte mais féconde dans l’imaginaire populaire.

Lucien Hirtz pour la Maison Boucheron, La Forêt, broche, or vert et émail, 1910. Paris, collection Boucheron.
Photo Benjamin Chelly

Puisant ses racines dans le mouvement Arts & Crafts né en Angleterre dans les années 1860, l’Art nouveau apparait autour des années 1890 avec le souhait de revaloriser la main, le geste et plus largement le « faire ». Siegfried Bing reprend alors l’expression utilisée par Edmond Picard en 1894 dans la revue belge L’Art moderne pour désigner ceux qui s’érigent contre l’historicisme et en fait l’enseigne de son magasin, situé rue de Provence à Paris et ouvert en 1895. En s’appropriant tous les médiums d’expression possibles, l’Art nouveau devient un art total.

Si l’exposition se penche sur les dates extrêmes du mouvement, 1880-1914, essayant de proposer une lecture plus large de ses inspirations et de cerner ses racines, son héritage comme les causes de l’extinction de celui-ci, la période de gloire de l’Art nouveau dans la joaillerie est bien plus restreinte, allant plus généralement du début des années 1890 jusqu’en 1905/1906. Dès le début des années 1910, le bijou change, en témoigne d’ailleurs la remarquable broche de René Lalique, en acier, qui fut vendue en décembre 2021 lors de la dispersion de la Collection Claude H. Sorbac et qui est désormais la propriété de la Collection Shai Bandmann & Ronald Ooi et qui est en dépôt à Wingen-sur-Moder au Musée Lalique.

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Broche, circa 1910–1915. René Lalique, verrier, bijoutier, joaillier (1860 – 1945). Perle, miroir, métal. Wingen-sur-Moder, Musée Lalique.
Dépôt Shai Bandmann & Ronald Ooi. Photo Musée Lalique © Karine Faby

2- L’Art nouveau, femme fleur et nature sublimées

Au tournant du XXe siècle, un bouillonnement créatif s’empare de la société. Révolution industrielle, expansion coloniale, progrès technologiques, évolution très (trop ?) rapide de la société démontre la nécessité d’un ancrage. La redécouverte de civilisations oubliées ouvre la voie à une forme de nostalgie où le passé serait mieux que le présent. Avec la redécouverte de l’Histoire, celle également des styles anciens qui nourrit d’une manière puissante les artistes de l’époque qui les réinterprètent. En témoigne la broche Sphynx de Lalique (1893).

Dans ce foisonnement vertigineux, la nécessité de repères, immuables, se fait sentir. Les liens avec l’extrême-orient comme la découverte de cultures méconnues ouvrent un champ des possibles quasi infini aux joailliers qui s’emparent de ces nouveaux imaginaires pour créer des formes nouvelles, expérimentant sans fin, faisant du bijou un laboratoire où tout devient possible. Créatures mystérieuses, serpents ailés ou sirènes sont ainsi largement représentés.

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René Lalique, broche Sphinx, vers 1893, or émail. Musée Lalique (c) Studio Y Langlois

Les progrès scientifiques et l’essor des disciplines telles que la botanique ou la géologie, associés au développement des moyens de diffusion, convoquent passion et intérêt pour la connaissance et la compréhension du vivant. La nature qui reste néanmoins mystérieuse a toujours été un terreau fertile pour les joailliers. Mais avec l’Art nouveau, il ne s’agit plus simplement de la représenter. Il faut également la sublimer et dévoiler sa part de mystère. Dans une époque qui bouge trop vite, le rêve est un exutoire parfait.

Chez Lalique, la femme devient libellule. Son corps est sublimé et ses proportions sont parfaites. La femme, à l’image de la nature, est une beauté intouchable et insondable, auréolée de mystères. A la même époque, deux figures artistiques féminines jouent de leur image respectives pour susciter curiosité et intérêt, modifiant également la perception des femmes.

Loïe Fuller danse le lys, le papillon et l’orchidée. Ses travaux entre danse et lumière la rendent emblématique d’une société qui s’enthousiasme pour les progrès techniques, sociaux et scientifiques. Avec ses dances lumineuses, elle transforme le réel et donne aux arts scéniques une tout autre perception. Dans un autre registre, la comédienne Sarah Bernhardt devient autant un mythe qu’une muse. Son style, sa curiosité sans limites et sa liberté la rendent incontournable d’une époque en mutation. Les affiches Art nouveau de Mucha deviennent de véritables œuvres d’art quand son image, savamment orchestrée par son attitude, ses costumes et ses bijoux (signés Lalique ou Fouquet), la fait paraitre inaccessible.

Georges Fouquet. Devant de corsage « Serpent de mer ». Or, émail, ‚émeraudes, perles 1901. Tokyo, Collection Albion Art.
Photo Tsuneharu Doi ё Albion Art Institute & ADAGP, Paris, 2023

3- Incompréhension, déclin et retour à l’ordre

Dès les premières années du XXe siècle, on note l’amorce d’un retour à un certain ordre établi. Certains bijoux Art nouveau voient l’apparition de motifs répétitifs et symétriques. On pense, dans l’exposition, au peigne signé Henri Dubret datant de 1902 et faisant parti des collections du Musée d’Orsay. Loin de la nature sublimée, c’est ici la vocation décorative du motif naturaliste qui s’exprime. Les bijoux et les motifs, progressivement, se veulent plus rigides et figés.

Il y a dans l’Art nouveau une forme d’utopie artistique. Le mouvement, qui voulait remettre l’artisan au centre du processus, voulait également une diffusion plus large et massive, initiant ainsi une forme d’industrialisation de l’art. Dans une société qui se cherche, séduite et en même temps effrayée par une montée en puissance de la machine, le mouvement demeure accessible à peu de gens et est principalement tourné vers la bourgeoisie. Hors, celle-ci n’aime pas forcément que les lignes bougent. En 1904, Le Figaro se félicite que l’on renonce à modifier la place de l’Opéra  » avec
ces rampes contorsionnées, ces lampadaires bossus qui signalent par d’énormes yeux de grenouille les autres stations du Métropolitain. »

Pendentif Algues, 1900 E. Colin & Cie (1875 – 1903). Or, émail, perles.
Chicago The Richard H. Driehaus Collection © The Richard H. Driehaus Collection, photo Michael Tropea

L’Art nouveau, incompris et même moqué, décline. On lui reproche d’être trop chargé et peu fonctionnel. Alors que la première guerre mondiale approche, l’heure n’est plus au rêve et la réalité reprend le dessus. Le mouvement qui faisait l’essence des pièces de cette époque s’efface et l’ornement – structuré et décoratif – reprend sa place.

Il faut attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que l’Art nouveau retrouve une certaine réalité avec la reprise de son esthétique dans le mouvement psychédélique, des décisions politiques fortes – André Malraux fait classer les entrées de Métro Guimard en 1965 – et l’ouverture de galeries spécialisées telles que la Tadema Gallery à Londres.

Depuis, l’Art nouveau a retrouvé la place qui lui est du. La vente de nombreuses collections privées telles que la Collection Sorbac ou la vente Beyond Boundaries chez Christie’s a clairement assis son statut de mouvement majeur dans l’histoire du bijou. L’exposition actuelle, qui vous faut visiter absolument, ne fera, je l’espère, que vous confirmer l’apport majeur des artistes de cette époque à l’histoire du l’art.

A bientôt !


ABOUT ME

marie chabrol

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